Attaque du capitole : comment Facebook a laissé prospérer les messages de haine
Les documents publiés ce week-end par la presse américaine montrent une série de dysfonctionnements dans la manière dont la plateforme gérait la désinformation. Les alertes de certains employés ont été ignorées.
Par Nicolas Rauline
Des dirigeants sûrs d'eux, une culture exacerbée du profit, des négligences à tous les étages… Les documents publiés ce week-end et les enquêtes de la presse américaine montrent comment les événements du 6 janvier dernier au Capitole ont pu s'organiser et s'amplifier en toute quiétude sur Facebook. Selon le « Washington Post » , les équipes mobilisées par le réseau social pour lutter contre la désinformation étaient éreintées après avoir travaillé sans relâche sur l'élection présidentielle de novembre - selon la société, une quarantaine d'équipes différentes ont été d'astreinte sur l'élection, qui était préparée depuis deux ans, et plus de 5 milliards de faux comptes ont été supprimés en 2020.
Une fois le scrutin passé, la tension est retombée. Certains, qui travaillaient sur le sujet, sont partis en vacances ou ont été affectés à d'autres postes. Début décembre, le « Civic Integrity », une cellule qui vérifiait la conformité des messages publiés sur les élections, est démantelé. Et Facebook revient sur plusieurs mesures prises spécialement pour l'élection. Le groupe « Stop the Steal » (« Arrêtez le vol »), qui remettait en cause le résultat de l'élection, avait ainsi été interdit, mais les équipes de Facebook ont ensuite cessé de faire la chasse aux copies qui se sont multipliées sur le réseau social.
De nombreux avertissements
Pourtant, les équipes qui continuent de travailler sur la désinformation alertent à de nombreuses reprises leur direction. Et, le 6 janvier, ils voient avec effroi ce qu'ils craignaient et ce qu'ils ressentaient depuis des semaines sur Facebook. « Ce n'est pas un problème nouveau, décrit le jour même un employé, de manière anonyme, sur Workplace, la plateforme interne au groupe. Cela fait des années que nous observons le comportement de certains politiciens comme Trump et, au mieux, les actions insipides de la direction. Nous avons lu les messages d'adieu de collègues de confiance, expérimentés et aimés, qui disent qu'ils ne peuvent plus travailler pour une entreprise qui n'en fait pas davantage pour atténuer les effets négatifs de sa plateforme. »
Les propos visent notamment des moyens qui auraient été identifiés, depuis plusieurs années, pour lutter contre les contenus violents, et que la direction de Facebook n'a finalement jamais mis en oeuvre. Mark Zuckerberg craignait alors que ces actions ne découragent les utilisateurs d'interagir. « L'histoire ne nous jugera pas avec bonté », écrit un autre salarié.
« Croissance météorique »
Dans les heures qui précèdent l'attaque sur le Capitole, les messages incluant « Stop the Steal » connaissent une « croissance météorique » sur la plateforme, selon des documents internes. Et ils sont presque tous associés à des appels à manifester et à des propos suprémacistes.
Tard dans la journée, la direction de Facebook décide de supprimer certaines vidéos. Le lendemain, elle prend sa mesure la plus radicale : l'exclusion provisoire de Donald Trump de la plateforme. Trop tard, selon certains employés. Et les dirigeants de la société continueront de nier tout dysfonctionnement. « Les événements ont surtout été organisés sur d'autres plateformes, qui n'ont pas nos capacités à stopper la haine », se félicitera même Sheryl Sandberg.
Aujourd'hui, Facebook reste droit dans ses bottes. « La responsabilité des violences du 6 janvier repose sur ceux qui ont attaqué le Capitole et ceux qui les ont encouragés, a répondu ce week-end une porte-parole de la société. Nous avons pris des mesures pour limiter le contenu qui cherchait à délégitimer l'élection, notamment en étiquetant les messages des candidats avec le dernier décompte des voix ou en suspendant les publicités politiques. »
Nicolas Rauline (Bureau de New York)