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Décryptage

Le dessous de l'audio interactif : pourquoi la voix cartonne autant sur le web ?

Après l'explosion des podcasts, des assistants vocaux, le réseau social basé sur la voix Clubhouse, fait à son tour des petits… Derrière l'aspect « select » de ce réseau qui explose, l'oralité ne serait-elle pas finalement le nouveau moteur de la viralité sur Internet ?

L'audio concentre plusieurs atouts, c'est pratique, moins énergivore qu'une vidéo, et plus facile à entretenir techniquement.
L'audio concentre plusieurs atouts, c'est pratique, moins énergivore qu'une vidéo, et plus facile à entretenir techniquement. (iStock)

Par Marion Simon-Rainaud

Publié le 5 mai 2021 à 07:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

Lancé confidentiellement en mars 2020 dans la Silicon Valley, Clubhouse est désormais fréquenté par 2 millions de personnes dans le monde toutes les semaines - dont Elon Musk ou encore Kanye West. Le principe est simple : il s'agit d'un réseau social où vous échangez uniquement à l'oral au sein d'une « room » (comprenez « salle de conférences virtuelle privée sans image ») à la condition d'y être invité. Une fois membre de la communauté, vous pouvez écouter des conversations sur le financement des start-up ou l'éducation, ou encore la musique, tout en promenant votre chien ou en faisant la cuisine. Vous pouvez même y trouver un boulot . Le réseau audio est à mi-chemin entre une plateforme de podcasts, une page privée Facebook et un bon vieux webinaire qui vous donne rendez-vous, telle date, à telle heure.

Dans cette brèche de l'audio interactif ouverte sur le web par Clubhouse, tentent de s'engouffrer les géants historiques des réseaux sociaux : Facebook avec son service en phase de test baptisé Hotline , Twitter avec Spaces ou encore Reddit qui veut proposer également une forme orale de son forum 2.0. Mais, à l'ère de la toute-puissance des images et de l'éternelle visio , comment expliquer ce succès ?

D'abord, il y a le format « club », c'est-à-dire que l'on y entre uniquement sur invitation d'un utilisateur déjà « in ». En comparaison avec les réseaux sociaux basés sur l'écrit, comme Twitter (au hasard), passer par la voix (en tout cas pour l'instant) réduit la taille de l'audience. Même si une « room » de Clubhouse peut accueillir plus de 5.000 personnes, « on choisit à qui on parle », résume Tommaso Venturini, chercheur au Centre Internet et société au CNRS. L'environnement est donc a priori plus safe, d'autant que la « room » est dotée d'un modérateur, celui qui la crée. Un bon moyen de contourner les dérives haineuses. Un marqueur singulier puisqu'aujourd'hui de plus en plus de réseaux sont pointés du doigt pour la « culture du clash » qui s'y est développée et la grande difficulté à y tenir un débat apaisé et fouillé. Dans son livre J'ai vu naître le monstre, publié en février dernier, le journaliste au Monde Samuel Laurent, ancien responsable des Décodeurs au quotidien, raconte à la première personne comment il a vu le site de microblogging devenir une plateforme envahie par les trolls.

« Quoi de plus viral que l'oral ? »

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Ce à quoi il faut ajouter un élément connexe : l'audio interactif par nature live et éphémère surfe une FOMO (« fear of missing out » ou « la peur de manquer quelque chose ») bien dosée - et entretenue. Les utilisateurs qui se connectent sur Clubhouse « veulent en être ». Interviewé par l'AFP en février dernier, au moment où le réseau explose en France, Sheel Mohnot, un investisseur californien suivi par plus d'un million de personnes sur l'application raconte : « Au printemps dernier, j'étais très actif sur Clubhouse. Et puis j'étais très occupé par ailleurs, ce n'était plus une priorité. Mais là, à nouveau, il s'y passe des choses que je ne peux pas manquer. »

En prenant un peu de recul, on peut y voir une évolution « cohérente et logique » du web 2.0, selon Tommaso Venturini. Inventé par Tim Berners-Lee en 1989, cet espace virtuel était moins un « système de communication » qu'une « bibliothèque géante » destinée aux universitaires. Dix ans plus tard, au tournant des années 2000, les acteurs du web y ont vu un marché potentiel en capitalisant sur la publicité. Le modèle pensé initialement pour « archiver » a ainsi basculé vers un outil pour « capter l'attention des utilisateurs ». On est alors passé à un système de flux, ce que l'on appelle couramment l'économie de l'attention . « A part pour déterrer des bad buzz, personne ne va lire un contenu daté de plus de six mois sur Facebook ou Twitter. Ce qui compte pour ces plateformes, c'est qu'il y ait le plus de flux possible pour générer de l'attention, et donc du clic », souligne le chercheur. En bref, les géants du web cherchent à rendre le partage de contenus toujours plus rapide, plus performant et plus fluide car c'est de cette manière qu'ils sont prospères. « Et quoi de plus viral que l'oral ? », interroge-t-il.

Sans oublier les avantages techniques qui découlent de l'audio : plus simple à mettre en place et à entretenir que les plateformes sur lesquelles on échange de l'écrit, du visuel et de l'animé, car moins énergivore (le partage auditif prend moins de bande passante que celui d'images ou de vidéos). Et puis, l'audio est le média qui laisse le moins de traces. Or, s'il y a bien une source de tension sur le web moderne c'est bien celle liée aux données personnelles et à leurs usages. « Pour les utilisateurs, il y a une sorte de contradiction entre la liberté symbolisée par l'anonymat sur Internet et le risque de se faire rattraper par ce que l'on y a écrit, même des années auparavant. Pour les éditeurs, c'est leur problématique principale : maintenir l'équilibre entre respect de la vie privée de leurs usagers et efficacité de leur système de modération », explique Tommaso Venturini. En clair, l'oral réduit cette contrainte.

« Le retour de la voix »

L'avènement de l'audio interactif s'inscrit enfin dans un contexte généralisé du « retour de la voix » amorcé depuis une dizaine d'années comme l'explique Mathieu Gallet, fondateur de Majelan, la plateforme audio payante lancée en 2018, et auteur du livre Le nouveau pouvoir de la voix, publié à l'été 2020. « La voix ne ment pas, elle est très humaine, chaleureuse, pleine de nuances et très personnelle. Elle crée une certaine proximité », pointe-t-il. Résultat : l'offre audio explose. En octobre 2020, l'institut Nielsen recensait plus de 1.500.000 podcasts actifs dans le monde, offrant plus de 34 millions d'épisodes. Le tout accompagné par l'explosion des assistants vocaux (Alexa, Siri et consorts). Même Spotify vient de lancer aux Etats-Unis son propre assistant vocal, une nouvelle fonction de son appli.

Dans la société française en particulier, l'oral est progressivement revalorisé. Pour la première fois en 2021, les élèves de Terminale passeront un grand oral. Et les étudiants sont toujours plus nombreux à s'enthousiasmer pour les concours d'éloquence . Cette dynamique s'illustre aussi dans le milieu professionnel, notamment celui des start-up. Les entrepreneurs doivent « pitcher » leur idée pour la faire financer. Les médias ne sont pas en reste : l'offre de podcasts a explosé et les « lecteurs audios » sur les sites d'information pour « écouter » les articles au lieu de les lire ont fleuri. Même constat pour les livres audio.

La voix concentre un certain nombre d'atouts - vous l'aurez compris. Et les investisseurs l'ont bien compris. « Le marché est en pleine construction, c'est très excitant », s'enthousiasme Mathieu Gallet, un des pionniers sur le marché de l'audio payant. Reste à savoir si demain dans nos oreilles se multiplieront les pubs et leurs corollaires, les cookies

Marion Simon-Rainaud

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