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Décryptage

« Dry January » : pourquoi les géants de l'alcool parient sur la modération

Dans les rayons des supermarchés, une nouvelle catégorie de boissons commence à prendre une place sérieuse : les spiritueux sans alcool. Une réponse de l'industrie aux modes de consommations toujours plus sains.

Pernod Ricard vient d'annoncé, pendant les fêtes de fin d'année, la commercialisation en France de son spiritueux sans alcool, appelé Ceder's.
Pernod Ricard vient d'annoncé, pendant les fêtes de fin d'année, la commercialisation en France de son spiritueux sans alcool, appelé Ceder's. (Pernod Ricard)

Par Gabriel Nédélec

Publié le 8 janv. 2020 à 14:10Mis à jour le 9 janv. 2020 à 14:22

Non, il n'y aura pas de « Dry January » officiel en France. Malgré le lobby des organisations de santé et de plusieurs associations, le gouvernement français n'a pas soutenu cette campagne qui vise à inciter les consommateurs à l'abstinence éthylique après les fêtes de fin d'année. Le « janvier sobre » est né chez nos voisins britanniques qui n'ont pas la réputation d'être avares en excès d'alcool. La nuit de la Saint-Sylvestre fait, d'ailleurs, chaque année le bonheur des photographes de la presse anglaise qui sillonnent Londres. C'est au réveil de l'une de ces nuits éprouvantes, en 2014, qu'environ 17.000 Britanniques ont choisi de mettre leurs foies au repos pendant un mois, lançant officiellement le mouvement. Aujourd'hui, le phénomène a pris une telle ampleur que les géants de la boisson alcoolisée ne peuvent plus faire l'impasse sur cette mode.

Dans les rayons des supermarchés, au côté des spiritueux classiques, une nouvelle catégorie de bouteilles commence à s'imposer : des spiritueux sans alcool . A part la dernière étape, qui consiste à laisser s'échapper l'éthanol, le procédé de fabrication est le même que pour une eau-de-vie traditionnelle.

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Ces breuvages sont issus d'un subtil assemblage de plantes et promettent d'être quasiment aussi complexes en saveurs que n'importe quelle autre liqueur. Au-delà du « janvier sobre », ces boissons séduisent un public de plus en plus large au Royaume-Uni et ailleurs. Un public soucieux d'adopter un mode de vie plus sain (la mode du « healthy », disent les acteurs du secteur), sans pour autant se priver des moments de sociabilité où l'alcool est souvent invité.

L'expérience plutôt que l'ivresse

Le premier de ces breuvages est né dans les alambics de Ben Branson qui, en 2015, a décidé d'arrêter totalement de boire. Cherchant une alternative au soda, le jeune entrepreneur britannique constate un manque dans l'industrie de la boisson et décide de prendre les choses en main. Seedlip vient de naître. La première année, sa société vend un petit millier de bouteilles de son simili-gin mais ne séduit, dans un premier temps, que quelques bars à cocktail exigeants qui cherchent à se passer des mocktails - des cocktails dont on a retiré la liqueur. Ainsi que quelques curieux à l'étranger, comme le Little Red Door à Paris, l'un des bars à cocktail les plus réputés de la capitale et dont la majorité du personnel est… Britannique. « En tant que buveur, je suis plus attiré par l'expérience que par l'ivresse, souligne Rory, derrière le comptoir. Et c'est le cas de plus en plus de nos clients. »

Quatre ans plus tard, la machine s'est emballée : les bouteilles de Seedlip s'écoulent par dizaines de milliers (environ 30.000 l'année dernière) dans plus d'une vingtaine de pays. Plus significatif encore, Diageo, le mastodonte anglais, propriétaire de Guinness ou Johnnie Walker, a pris une part majoritaire dans la petite société au mois d'août dernier. Le symbole d'une tendance ? Diageo y croit en tout cas. Le groupe avait déjà pris une participation dans Seedlip dès 2016, conscient que la jeune pousse pouvait lui fournir le chaînon manquant dans son catalogue. Pas question de la laisser s'échapper. D'autant qu'entre-temps, un autre géant s'est réveillé.

En 2018, Pernod Ricard, qui contrôle des marques emblématiques du monde de l'alcool comme Jameson, Clan Campbell ou Absolut, a jeté son dévolu sur le principal concurrent de Seedlip, la petite société Ceder's. « Ceder's est une boisson complexe qui résulte de la distillation d'une dizaine de plantes, affirme Ian Peart, business développer chez Pernod Ricard UK. Aujourd'hui, nous distribuons Ceder's dans tous les supermarchés du Royaume-Uni. Nous sommes également présents dans une vingtaine d'autres pays. » En juillet dernier, le français, qui affiche plus de 9 milliards d'euros de chiffre d'affaires, a élargi sa gamme en lançant Celtic Soul, une boisson non alcoolisée censée charmer les amateurs de whisky.

Un secteur en plein boom

Tous les acteurs du secteur tentent de s'imposer dans ce secteur en plein boom. C'est le cas, par exemple, de la distillerie William Grant & Son - derrière Glenfiddich notamment -, ou, plus surprenant, du distributeur Lidl. Ce dernier a cependant choisi un positionnement tarifaire différent : quand Diageo et Pernod Ricard visent le marché premium - leurs flacons aux designs léchés se vendent environ 30 livres - le spécialiste du low cost a choisi de vendre son équivalent gin CeroCero pour un peu moins de 10 livres. Au total, pas moins de dix nouvelles marques de spiritueux sans alcool ont vu le jour rien que cette année, selon le décompte du site spécialisé The Spirit Business, et plus de 40 depuis 2015.

Il faut dire que cette toute nouvelle catégorie a de quoi susciter l'appétit : selon le cabinet IWSR, les ventes de spiritueux sans alcool devraient bondir de 80 % entre 2018 et 2022 sur le marché britannique. Tandis que, plus largement, le marché des boissons contenant peu ou pas d'alcool devrait croître de 39 %. Parallèlement, l'alcool traditionnel devrait afficher une timide hausse de 1,2 %. « En un an, nos ventes ont progressé de près de 400 % et le secteur a atteint le million de livres cette année », souligne Ian Peart.

Le secteur est d'autant plus intéressant qu'avec une alcoolémie nulle, cette nouvelle catégorie de boissons échappe aux lourdes taxes qui pèsent d'ordinaire sur les spiritueux. De quoi booster les marges déjà importantes sur des produits catalogués dans la catégorie dite « Premium ». Celles-ci vendent autant leur contenu que l'histoire qui va avec, comme Seedlip qui évoque les terres tricentenaires encore cultivées par la famille de son fondateur dans le nord de l'Angleterre, ou Ceder's qui marie des plantes sud-africaines aux eaux montagneuses de Suède.

« Un secteur complémentaire »

Derrière ce boum, il y a l'effet conjoint de la mode d'une consommation plus modérée et plus saine (dans tous les domaines) et de l'arrivée de générations qui boivent particulièrement peu d'alcool. Plus de la moitié des Britanniques tentent en effet de réduire leur consommation, selon l'IWSR. Près des deux tiers des 25-34 ans, la catégorie qui consomme d'ordinaire le plus, affirme également chercher à moins boire. « Le marché du Royaume-Uni est mature, commente Ian Peart, chez Pernod Ricard. Mais il ne s'agit nullement d'un repositionnement. C'est un secteur complémentaire. »

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Les Français ne boivent pas encore autant de spiritueux sans alcool. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, la consommation d'alcool a cessé de baisser entre 2013 et 2017, de quoi inquiéter. Les jeunes de l'Hexagone ne sont pas pour autant imperméables à la mode du « healthy ». « On n'a jamais eu une génération de moins de 30 ans qui buvait aussi peu, constate Maxime Costille, délégué général du syndicat des brasseurs de France. Il y a une très forte recherche de boissons moins alcoolisées et moins sucrées. » En 2017 et 2018, le marché français des boissons peu ou pas alcoolisé a progressé d'environ 20 %, puis de 30,5 %, pour, respectivement, 2,6 % et 3,5 % de part de marché en volume.

Les alternatives à l'alcool ont longtemps pâti de la très mauvaise image des premières bières sans alcool, arrivées sur le marché au début des années 2000. « Les premiers produits étaient quasiment imbuvables, reconnaît Maxime Costille. Aujourd'hui, il y a une convergence entre une technologie qui arrive enfin à produire de bonnes boissons au titrage nul et une forte demande. » Pernod Ricard l'a bien compris : le groupe vient d'annoncer l'arrivée sur le marché hexagonal de ses bouteilles de Ceder's. Le timing parfait pour ceux qui voudraient copier les Anglais durant ce mois de janvier.

Chiffres clefs

1.000, c'est le nombre de bouteilles de Seedlip, le pionnier du genre, lors de sa première année de commercialisation,en 2015.

80 %, le taux de croissancede la filière des spiritueux sans alcool anticipé par les analystes entre 2018 et 2022.

10 nouvelles marques de spiritueux sans alcool se sont lancées rien que sur l'année 2019. Le secteur en compte près d'une quarantaine aujourd'hui.

65 % des jeunes Britanniques de 25 à 34 ans, la catégorie d'âge qui boit le plus, affirment vouloir réduire sa consommation d'alcool.

23,5 % des Européens de plus de 15 ans ne consomment pas d'alcool selon les derniers chiffres de l'OMS.

30 %, c'est la croissance en 2018 du secteur des boissons contenant peu ou pas d'alcool en France. En part de marché, le secteur est passé de 2,6 % en 2016 à 3,5 % en 2018.

Gabriel Nedelec 

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