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La légalité des frappes en Syrie débattue à Londres

A la Chambre des communes, le leader de l’opposition, Jeremy Corbyn, a vivement critiqué l'intervention occidentale, sans parvenir à mettre en cause le bien-fondé des frappes

Jeremy Corbyn s’est trouvé bien isolé dans ses critiques. Non seulement les conservateurs ont soutenu Theresa May, mais une large partie des députés travaillistes ont aussi choisi de se ranger derrière la première ministre.  — © Sana Sana
Jeremy Corbyn s’est trouvé bien isolé dans ses critiques. Non seulement les conservateurs ont soutenu Theresa May, mais une large partie des députés travaillistes ont aussi choisi de se ranger derrière la première ministre.  — © Sana Sana

Le leader de l’opposition britannique, Jeremy Corbyn, a, lundi, vivement critiqué Theresa May pour avoir mené des frappes militaires en Syrie samedi, en coordination avec les forces américaines et françaises. «Toutes les options diplomatiques n’ont pas été épuisées», a-t-il lancé lors d’un débat à la Chambre des communes, sous les huées des députés conservateurs. Il a estimé que l’efficacité militaire de l’opération, qui a visé trois sites censés être liés à la production d’armes chimiques du régime de Bachar el-Assad, est très discutable. «Pourquoi la première ministre croit-elle que ces frappes vont dissuader de prochaines attaques chimiques? Ne sait-elle pas qu’en 2017 les Etats-Unis ont déjà procédé à des frappes après [une autre attaque chimique]?» Jeremy Corbyn a aussi porté son attaque sur la question du droit. «Je crois que la légalité (des frappes) est discutable.»

Trois critères

La première ministre britannique ne s’est pas laissé démonter. Elle a répliqué en justifiant pas à pas son action. Elle se base sur le droit d’intervention humanitaire, invoqué à de nombreuses reprises par le passé. C’était le cas en 1991, quand une zone d’interdiction aérienne avait été mise en place en Irak, ou encore lors de l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999. Juridiquement, trois critères doivent être remplis pour permettre cette action, a-t-elle ajouté: il faut des «preuves convaincantes des souffrances humanitaires extrêmes et à grande échelle»; il doit être «objectivement clair qu’il n’y a pas d’alternative à l’usage de la force»; et celle-ci doit être «nécessaire», «proportionnée» et «strictement limitée dans le temps et son objectif».

Pour Theresa May, ces trois critères ont été respectés. Elle insiste en particulier sur le fait que les frappes ont été ciblées et limitées. «Il ne s’agissait pas d’intervenir dans une guerre civile ni de changer de régime.» L’objectif était simplement de rétablir la ligne rouge de l’interdiction internationale de l’utilisation des armes chimiques.

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Ces arguments n’ont pas convaincu Jeremy Corbyn, qui s’est historiquement opposé à toutes les interventions militaires britanniques de ces dernières décennies. Selon lui, si la question humanitaire était vraiment urgente, mieux aurait-il valu se pencher sur la souffrance du peuple du Yémen, en proie à une guerre civile ravageuse. Il questionne aussi la responsabilité présumée du régime de Bachar el-Assad dans les attaques chimiques sur la Ghouta orientale, qui ont déclenché ces frappes: «Tout pousse à penser que le régime était derrière ces attaques, mais d’autres groupes en Syrie ont utilisé des armes chimiques par le passé.»

Il demande aussi à Theresa May de faire preuve de plus d’initiative diplomatique aux Nations unies pour convaincre la Russie de coopérer. La première ministre a répliqué qu’une telle approche relevait du doux rêve diplomatique. «Nous aurions fait face à un veto de la Russie au Conseil de sécurité.» Elle rappelle que Moscou a posé son veto à six reprises aux Nations unies depuis le début 2017 à toute action en Syrie.

Jeremy Corbyn isolé

Le leader de l’opposition britannique s’est trouvé bien isolé dans ses critiques. Non seulement les conservateurs ont soutenu Theresa May, mais une large partie des députés travaillistes ont aussi choisi de se ranger derrière la première ministre. «L’inaction peut elle-même avoir de sérieuses conséquences, a attaqué Chris Leslie, l’un d’entre eux. Ceux qui ferment les yeux et préfèrent ne rien faire pour gagner sur le terrain de la morale devraient aussi être mis face à leur responsabilité», a-t-il lancé, debout quelques rangs seulement derrière Jeremy Corbyn.

Dominic Grieve, un député conservateur, spécialiste du droit international, a moqué la position du leader travailliste, qui exige une résolution des Nations unies pour intervenir militairement. «Avec [ce point de vue], n’importe quel tyran au monde, mégalomaniaque, toute personne voulant mener un génocide, s’il a le soutien d’un membre immoral du Conseil de sécurité des Nations unies, pourrait commettre un génocide en complète impunité. Dans ce cas, ce serait la mort du système légal international.»

Soutenant largement les frappes, les députés britanniques se sont rabattus sur une autre critique: l’absence d’un vote à la Chambre des communes avant les frappes. En 2003, Tony Blair avait jugé nécessaire de le faire avant l’intervention en Irak et David Cameron en avait fait de même quand il avait décidé d’intervenir en Libye en 2011, puis avait essayé de le faire pour la Syrie en 2013 (mais il avait perdu le vote aux Communes). «Il y avait suffisamment de temps pour organiser un débat», peste Ken Clarke, un député conservateur. «Pourquoi attendre aujourd’hui pour en débattre?», renchérit Ian Blackford, un député du Parti indépendantiste écossais. Theresa May réplique que l’urgence des frappes, et la coordination avec ses alliés, rendaient l’organisation d’un débat parlementaire impossible. Sur ce point, les critiques ont été nombreuses. Mais pour le reste, les questionnements de Jeremy Corbyn sont restés bien isolés.

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