Publicité
Zoom

Frieze : le marché de l'art anglais confronté au double choc Brexit, Covid

La semaine de la double foire Frieze et Frieze masters donne l'occasion de faire un point sur les tendances au sein de cette plateforme majeure du négoce de l'art. De nouveaux collectionneurs font évoluer la demande dans un marché touché mais relativement résilient.

Obiora UdechukwuRefugees1977Oil on board91 x 122 cm | 35.8 x 48 inSigned bottom left in black paint ‘Udechukwu / 77'Framed$50,000
Obiora UdechukwuRefugees1977Oil on board91 x 122 cm | 35.8 x 48 inSigned bottom left in black paint ‘Udechukwu / 77'Framed$50,000 (Scott & Co)

Par Judith Benhamou

Publié le 15 oct. 2021 à 09:04Mis à jour le 15 oct. 2021 à 09:38

Vu de Paris, en termes de marché de l'art, la fin de l'appartenance de la Grande-Bretagne à l'Union européenne ressemblait à une catastrophe. Ainsi, à l'annonce du Brexit, nombre de galeries multinationales comme Zwirner ou Lévy Gorvy, ont presque aussitôt ouvert une succursale à Paris, considérée comme la nouvelle plateforme clé pour les transactions artistiques du continent, entre autres pour des raisons fiscales.

Cette semaine se tient la grande double foire d'art britannique Frieze London, consacrée à la création actuelle (160 exposants) et Frieze Masters (130 exposants) dédiée à des artistes plus anciens. Toutes deux sont abritées sous des tentes à Regents Park, du 13 au 17 octobre et donnent l'occasion de faire le point sur le niveau du négoce outre-Manche. Premier constat : toutes les galeries ne partagent pas un sentiment pessimiste .

Ainsi chez White Cube, une galerie anglaise très influente, Matthieu Paris, directeur, estime que malgré la conjonction Covid plus Brexit, l'activité est très satisfaisante. Bien sûr, nous avons connu dans les débuts de la crise sanitaire, une baisse de la demande. Evidemment certains de nos collectionneurs, issus du milieu de la banque par exemple, ont quitté l'Angleterre.

Mais, contre toute attente, ils ont été remplacés par de nouveaux arrivants, souvent de très récentes fortunes issues du monde la technologie. Je ne connaissais pas, voilà un an et demi encore, trois des plus gros collectionneurs dont je m'occupe désormais. Ils sont jeunes, autour de 40 ans, et ont consacré du temps à l'art dans la dernière année. Ils viennent de New York ou de Hong Kong et s'intéressent à des artistes à la carrière établie.

Publicité

Theaster Gates, performeur hors pair

Matthieu Paris prend pour exemple un artiste américain Theaster Gates (né en 1973) qui a été exposé au Palais de Tokyo en 2019 et qui est maintenant montré à Londres dans plusieurs institutions comme la Whitechapel Gallery et le Victoria & Albert Museum.

Ce performeur hors pair travaille sur les sujets de l'identité afro-américaine, sur sa biographie personnelle et son séjour marquant au Japon.

Ses oeuvres, aussi présentées à Frieze London, sont à vendre entre 175.000 et 500.000 dollars. Selon le directeur de White Cube les prix de Gates ont augmenté de 20 % environ depuis cinq ans. Aux enchères, sa cote n'est pas spéculative. Le prix record pour Theaster Gates, atteint en 2018, s'élève à 711.000 euros.

Le marché en devenir de Noah Davis

David Zwirner estime, lui, que pendant la crise sanitaire et politique « les résultats étaient convenables à Londres ». Durant Frieze, dans son espace londonien, il a fait le choix surprenant de présenter en majesté un autre artiste afro-américain , prématurément décédé, Noah Davis (1983-2015), avec seulement deux toiles à vendre, chacune pour environ 1,5 million de dollars.

« La vocation de la galerie n'est pas seulement commerciale », souligne David Zwirner. Cela dit, c'est l'une des plus belles expositions à voir en ce moment dans la capitale britannique avec des peintures figuratives qui montrent dans un style un peu évanescent mais très puissant, animé par des couleurs contrastées, des scènes de la vie quotidienne de la communauté noire américaine.

Noah Davis n'a pas produit plus de dix ans et ses dernières volontés consistaient en la création d'un musée, The Underground Museum, dans un quartier défavorisé de Los Angeles. Son marché est clairement en devenir. Aux enchères le prix record pour le peintre s'élève à 360.000 euros en 2020.

Cependant tous les professionnels londoniens ne partagent pas l'optimisme de White Cube ou Zwirner. Bernard Jacobson, établi en 1969, qui présente à Frieze entre autres, une nature morte de l'initiateur du cubisme Georges Braque (à vendre 2,7 millions de livres) a vécu les deux années passées comme très difficiles. « Les Londoniens sont encore frileux. Ils sortent peu. Nous avons passé un moment très difficile. »

Victoria Siddall, la directrice mondiale de Frieze, qui organise aussi d'autres versions de la foire à New York, Los Angeles et maintenant Séoul l'an prochain, croit en la force de la communauté artistique de Londres. D'ailleurs cette année Frieze propose à l'année dans le quartier du luxe, Mayfair, au 9 Cork Street des espaces à louer pour un mois par des galeries étrangères.

« Nous sommes au service des galeries », explique-t-elle. Elles le lui rendent bien puisque cette année les questions politiques et sanitaires n'ont pas découragé certains gros opérateurs d'apporter des oeuvres importantes.

Publicité

Acquavella de New York montre ainsi un rare portrait d'homme de Toulouse-Lautrec (à vendre 7,5 millions de dollars), Nahmad de New York et Londres un somptueux nu de Kees Van Dongen dans des tons fauves daté de 1906 (à vendre 5 millions de dollars) ou la galerie viennoise W & K une gouache du mythique Egon Schiele représentant une femme se cachant (à vendre 1,7 million d'euros). La galerie Annely Juda a transformé son stand en un remarquable hommage à Leon Kossoff (1926-2019) un grand nom de l'art contemporain classique britannique, qui reste sous-estimé (à vendre entre 150.000 et 1 million de livres).

Londres bénéficie toujours d'un pouvoir d'attraction puissant via Frieze, pour les acteurs lointains du marché de l'art. C'est le cas, par exemple, de Kavita Chellaram, fondatrice de la galerie Ko de Lagos au Nigeria. Elle présente un one-man-show consacré à Obiura Udechukwu, un peintre de 75 ans, qui dans ses tableaux des années 1960 et 1970 témoigne des traumatismes de la guerre du Biafra. Il est encore peu connu hors de son pays.

Ses oeuvres sont à vendre entre 5.000 dollars pour les dessins et 200.000 dollars pour un triptyque. Son style le plus abouti mélange une verve expressionniste avec des figures traditionnelles de la culture Igbo dans des couleurs éclatantes. Une de ses oeuvres a été acquise par la Tate.

La cote en hausse d'Issy Wood

Du côté très contemporain, plusieurs exposants se montraient particulièrement satisfaits dès le premier jour. C'est le cas par exemple de Carlos Ishikawa de Londres qui a cédé l'intégralité de son stand consacré à la britannique Issy Wood (née en 1993).

Cette peintre figurative, qui choisit souvent comme support le velours, a représenté dans les derniers mois des scènes en gros plans inspirées de séries TV qu'elle avait regardées pendant le confinement, juxtaposées avec des références au temps. Elle est l'objet d'un engouement hors du commun y compris de la part d'un galeriste bien connu qui ne la représente pas : Larry Gagosian. Ses prix ont de ce fait sensiblement augmenté récemment (entre 15.000 et 130.000 livres).

La demande pour les peintres figuratifs, toutes générations confondues, fait un immense retour en force. Le désir affirmé de la représentation - une forme peut-être plus sécurisante - est certainement la conséquence d'une crise sanitaire qui a ébranlé les modes de vie à l'échelle de la planète.

www.frieze.com/fairs

Judith Benhamou

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité