« Brutalité » et « risque social » : la violente diatribe de Carlos Tavares contre la voiture électrique

Alexander Migl/wikimedia commons

On découvre ce matin des propos assez détonants du patron du groupe automobile Stellantis, au sujet de la voiture électrique. Carlos Tavares évoque une « brutalité » et un « risque social ». C’est en effet peu commun d’entendre ce type d’alerte dans la bouche d’un grand dirigeant d’entreprise.

Carlos Tavares : « faut-il des véhicules 100% électriques que les classes moyennes ne pourront pas se payer ? »

Carlos Tavares est interrogé par quatre médias européens, dont Les Echos. Et quand on lui demande s’il n’y aurait pas un risque à exclure un jour les classes moyennes incapables d’acheter des voitures neuves proches de 30 000 euros, il le dit tout de suite : « Oui, ce risque existe si nous ne réduisons pas nos coûts. Les technologies électriques sont 50% plus chères que les technologies thermiques ». Le patron du groupe qui possède les marques Peugeot, Citroën, Fiat, Jeep ou encore Opel, pointe l’objectif de la Commission européenne : 2035, la fin de la vente de véhicules thermiques. « Nous respectons évidemment les lois », dit-il, « mais ce qui est clair est que l’électrification est la technologie choisie par les politiques, pas par l’industrie ».

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Pour Carlos Tavares, « il y avait des méthodes moins chères et plus rapides pour réduire les émissions que celle-là ». Une voiture électrique doit « rouler 70 000 km pour compenser la mauvaise empreinte carbone de fabrication de la batterie et commencer à creuser l’écart avec un véhicule hybride léger », qui lui, coûte moitié moins. Et puis encore faut-il que l’électricité dont on recharge la voiture électrique viennent d’une source propre, et non pas de centrales à charbon ou à gaz. Carlos Tavares pointe aussi le côté beaucoup trop rapide de la transition, pour l’industrie, pour tous ses sous-traitants. En résumé, il pose la question : « faut-il des véhicules 100% électriques que les classes moyennes ne pourront pas se payer, tout en demandant aux Etats de continuer à creuser le déficit budgétaire pour les subventionner ? C’est un débat de société que je rêverais d’avoir, mais pour l’instant je ne le vois pas ».

 

Ce qui est plus durable coûte généralement plus cher à produire

Cette interview arrive dans un contexte où les ventes de voitures en Europe, contrairement à ce qu’on voit en Asie et aux Etats-Unis, ne redémarrent pas. De 13 millions de voitures vendues en 2019, on est passé à 9,9 millions en 2020, et cela a encore baissé en 2021, 9,7 millions. Au-delà de la crise des semi-conducteurs, les analystes estiment que l’arrêt des ventes de voitures thermiques en Europe et donc la nécessité de passer à l’électrique, une technologie plus chère, c’est cela qui pèse déjà sur les ventes, à 13 ans de l’échéance de 2035. Ce qui est vrai pour la voiture l’est aussi plus largement pour la transition écologique. C’est le cas dans la production d’énergie : Thierry Breton parle de 50 milliards d’euros pour moderniser les centrales nucléaires actuelles, plus 500 milliards d’euros d’ici 2050 pour construire les nouvelles centrales nucléaires en Europe. Idem dans le logement, la rénovation coûte cher, le bénéfice est immédiat certes, mais l’amortissement se fait sur une période longue.

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On pourrait parler de la mise en place des filières de recyclage. Une loi toute récente prévoit d’interdire la destruction des invendus. Les patrons concernés nous disent tous que c’est très bien mais que c’est d’une complexité totale. Globalement, pour ce qui est de la réduction progressive des déchets, aujourd’hui, ça coûte moins cher de produire, distribuer, commercialiser un produit emballé sous plastique que de le mettre à disposition en vrac, ne serait-ce que pour des raisons sanitaires. Pour le moment, ce qui est plus durable coûte généralement plus cher à produire, que ce soit un vêtement, un téléphone portable, un logement, un aliment. Et les économies que l’on peut espérer sont réelles sur le long terme, sauf qu’à l’instant où l’on effectue l’acte d’achat, il faut en être convaincu, ce qui n’est pas évident, et c’est donc plus facile d’arbitrer en fonction du prix. On se dit : je fais une bonne affaire. Sauf qu’en quelque sorte on vit à crédit, puisqu’on s’engage malgré soi à racheter ce même produit dans quelques temps quand il sera usagé, au lieu d’avoir investi dans un produit durable. Le mot « investi » ou « investissement » est important. L’enjeu est d’en finir avec cette règle qui veut que ce soit plus coûteux et moins tentant d’investir que de consommer.

François Geffrier

 

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