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Une croisière peut en cacher une autre

En mai, la France a été le cadre des défilés «Croisière 2019»: plus qu'une source d'inspiration, cette concentration temporelle et territoriale dessine-t-elle un nouveau modèle de rendez-vous pour l'industrie?

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Par Gilles Denis

Publié le 15 juin 2018 à 01:01

omme l'amour, l'orgueil national peut être aveugle. Il s'est gonflé ce mois de mai devant la concentration dans l'hexagone des défilés dits «Croisière» organisés par les rares maisons de mode en ayant les capacités créatives et organisationnelles - en l'occurrence Chanel, Dior, Vuitton et Gucci. Paris, Chantilly, Saint-Paul-de-Vence et Arles ont succédé à Palm Springs, Kyoto, Séoul, Rio pour ces événements à grand spectacle qui une fois par an permettent d'affirmer son statut de géant du luxe en créant deux à trois jours de narration de la marque (entre défilé, fêtes, cocktails, visites privées) autour de la présentation aux médias et aux meilleures clientes de collections essentielles pour l'économie du secteur. Tirant leur nom chic de la nécessité dans les années 50 pour les riches clientes d'avoir un vestiaire un rien demi-saison adapté à leurs transhumances, cette offre arrive en boutique en novembre, y tourne jusqu'en mai. Elle est donc mécaniquement essentielle au chiffre d'affaires des uns et des autres. Ce tour de France est donc moins anecdotique qu'on ne pourrait le croire.

Luxe, culture et...

Sans doute n'a-t-il pas donné lieu à des variations folkloriques autour des régions visitées. Nicolas Ghesquière chez Vuitton n'a pas questionné la figure de la fille du Sud pas plus qu'Alessandro Michele chez Gucci n'a joué avec l'icône de mode qu'est l'Arlésienne - un tropisme qui fut en son temps celui de Christian Lacroix. Karl Lagerfeld chez Chanel ne poursuivait pas davantage la Parisienne, et Maria Grazia Chiuri chez Dior a avoué s'être inspirée d'amazones mexicaines - un clin d'oeil à la dentelle de Chantilly et à la toile de Jouy ne nationalisant pas son propos. Sans doute l'éclat de la fête a été moins exotique que par le passé. Sans doute ces pérégrinations de lieux iconiques en monuments historiques participent davantage de l'affirmation des rapports désormais organiques entre le luxe et la culture plus que d'un mouvement de soutien à quelque mission patrimoine que ce soit. Ce choix hexagonal de quatre marques emblématiques du luxe, appartenant à trois groupes français - Chanel, LVMH (propriétaire du groupe Les Échos) et Kering -, sonne comme un écho à d'autres initiatives macroniennes: la réception donnée à l'Élysée par le président de la République pour la communauté créative lors de la dernière fashion week a constitué un premier signe de reconnaissance de cette nouvelle dynamique pour une filière participant pour 150 milliards d'euros au PIB.

Demeure surtout que cette concentration territoriale et temporelle est le signe d'autres mouvements tectoniques à l'oeuvre. L'enjeu économique de ces collections, le moment de leur arrivée en boutique, et donc celui de leur présentation et de leurs commandes, sont des questions essentielles. Cette édition française préfigure-t-elle un modèle traditionnel de «fashion weeks» de ces précollections, regroupant plusieurs griffes dans un même endroit sur un nombre restreint de jours? Serait-elle étendue aux maisons ne les présentant aujourd'hui qu'en show-room aux acheteurs? Se substituerait-elle au modèle actuel de «tirs isolés» et d'hyper « évènementialisation » de quelques géants? Pourquoi ces dernières maisons qui ont le monopole de ces manifestations et de leurs retombées médiatiques y renonceraient-elles, alors même que cette affirmation identitaire attire de nouveaux venus - de Prada, à New York, à la très jeune marque Koché? Un modèle hybride est-il envisageable? Pourrait-on imaginer que ces semaines soient nomades et se déroulent par rotation dans les différentes capitales de la mode, de Milan à New York via Paris et Londres, qui s'entendraient pour l'occasion? Quand faudrait-il alors les programmer - les calendriers actuels sont souvent liés aux rythmes historiques de commandes des grands magasins américains, en interrogation sur leur propre avenir. Nul Yalta de la mode n'est en place quand bien même nombre d'acteurs ressentent la nécessité d'un changement. Mais cette saison de Croisière 2019 aura prouvé que si en France on n'a toujours pas de pétrole, on a bien de la mode et surtout encore des idées.

Par Gilles Denis

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