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« La Bourse a vu la mauvaise nouvelle plutôt que la bonne chez Valeo »

Les investisseurs se sont inquiétés de la révision à la baisse des perspectives de Valeo-Siemens e-Automotive, la filiale spécialisée dans l’électrique.

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Jacques Aschenbroich, président-directeur général de Valeo (Hugo Bacou)
Publié le 13 déc. 2019 à 17:35
Jacques Aschenbroich, Président-directeur général

L’action a perdu près de 10% en deux séances après la présentation de votre plan à moyen terme. Comment expliquez-vous cette réaction très négative ?

Il faut distinguer deux choses différentes. La première concerne Valeo proprement dit et les perspectives de nos 12 plateformes technologiques dans les domaines porteurs de l’électrification et de l’aide à la conduite. Les produits présentés, qui généreront 2,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022 et qui ont nécessité 500 millions d’investissement, ont, je crois, convaincu les analystes et les gérants. Par exemple, l’électrification légère avec les moteurs de 48 volts assurera 1,1 milliard de chiffre d’affaires en 2022, contre 200 millions cette année, et nous devrions avoir une part de marché de plus de 40 % dans ce domaine.

Dans les aides à la conduite, nous visons des ventes de 3,2 milliards en 2022, soit une croissance annuelle de 18 % grâce à nos capteurs, caméras, lidars… et les softwares qui les accompagnent. Sur un véhicule comme la nouvelle Golf 8, nous multiplions par 3,4 notre contenu par véhicule par rapport à la génération précédente, la Golf 7. La génération de cash, qui doit atteindre entre 1,3 et 1,5 milliard sur la période 2020-2022, contre 700 millions entre 2017 et 2019, est apparue comme un objectif raisonnable.

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Enfin, nous avons montré qu’après le trou d’air en 2018 nous allons revenir à une nette surperformance par rapport au marché, avec des ventes supérieures, en moyenne, de 5% à la production automobile mondiale. Ce qui a provoqué la chute des cours de Bourse, c’est que nous avons reculé les perspectives à moyen terme de notre joint-venture avec Siemens, Valeo Siemens eAutomotive, dans le domaine des motorisations électriques de haut voltage. Les investisseurs étant inquiets au sujet du marché automobile, ils ont pris en considération la mauvaise nouvelle plutôt que la bonne. D’ailleurs, lors de la journée investisseurs, les questions des analystes ont porté presque uniquement sur Valeo Siemens eAutomotive.

Qu’est-ce qui vous a conduit à cette révision des perspectives de cette société, sur laquelle vous fondez de grands espoirs ?

Il faut voir que cette société commune, créée en 2016, il y a seulement trois ans, est une énorme start-up. Elle est passée de quelques dizaines d’ingénieurs au départ à 2.000 aujourd’hui. Elle développe les produits les plus sophistiqués du monde dans ce domaine. Volkswagen lui a fait confiance pour son ID.3, son véhicule électrique vedette lancé cette année, tout comme un grand constructeur haut de gamme, qui lancera dans le courant de l’année un modèle électrique équipé d’un moteur fourni par Valeo Siemens eAutomotive.

Mais il n’y a pas de start-up qui puisse se développer sans subir de pertes dans un premier temps. Le pic des pertes a été atteint cette année, elles diminueront légèrement en 2020, avec un objectif de point mort au niveau du cash-flow en 2022 et des ventes, à cette échéance, supérieures à 1,4 milliard, alors que nous tablions auparavant sur 2 milliards. Nous aurions préféré que les choses aillent plus vite, conformément à nos plans initiaux, mais développer des projets très complexes dans un délai très court nous a coûté plus cher que prévu.

Ensuite, le marché automobile en Chine a plongé de 20 % et les autorités chinoises ont décidé, en début d’année, de réduire les subventions accordées pour l’achat de véhicules électriques. Ce pays représentait la moitié des commandes de notre société commune, les commandes sont toujours là, mais les volumes seront inférieurs à ce qui était envisagé. En revanche, en Europe, qui assure aussi la moitié du carnet du joint-venture, les contrats vont un peu plus vite que ce que nous envisagions. Bien sûr, je suis en permanence l’évolution du cours de Bourse, mais ce n’est pas la seule chose qui compte. Une des choses les plus difficiles dans le métier de patron, c’est de respecter l’équilibre entre le court terme et le moyen-long terme. Avec nos plateformes technologiques et avec Valeo Siemens eAutomotive nous avons investi pour le moyen-long terme en essayant de gérer au mieux le court terme. Ce que nous avons mis en place va payer. J’en suis convaincu.

Vous avez aussi décidé de repousser à 2023, au plus tôt, le rachat des parts de Siemens dans cette filiale commune, alors que vous pouvez théoriquement le faire dès la fin de 2021. Pourquoi ?

Nous avons une option d’achat et Siemens a une option de vente. Compte tenu des termes du contrat et des perspectives des résultats attendus en 2022, le rachat ne devrait pas se faire avant 2023.

Aurez-vous les moyens de racheter la part de Siemens sans réaliser une augmentation de capital ?

Dans la situation actuelle de Valeo, nous n’en avons absolument pas besoin. Le cash de 1,3 à 1,5 milliard que nous dégagerons dans les trois prochaines années doit permettre de maintenir la politique de dividende, de soutenir Valeo Siemens eAutomotive, dans lequel nous allons investir 450 millions supplémentaires dans les deux prochaines années, et de réduire le ratio d’endettement. Notre capacité d’endettement nous permettra de financer sans problème le rachat des parts de Siemens dans notre coentreprise.

LA QUESTION QUI DÉRANGE

Quand la dissociation des fonctions de président et de directeur général interviendra-t-elle ?Comme cela a été indiqué lors de l’assemblée de mai dernier, cela doit être mis en œuvre dans les deux premières années de mon mandat de quatre ans, renouvelé en mai. Je ne dirai donc rien sur ce sujet avant l’assemblée statuant sur les comptes 2020, qui aura lieu en 2021.

Dans votre plan, vous tablez sur une nette « surperformance » de 5% par rapport au marché, Mais dans votre précédent plan, présenté en 2017, vous visiez plutôt 7,5%. Pourquoi un tel ajustement ?

Il y a deux raisons à cela. La prévision de 2017 intégrait trois acquisitions, qui représentaient une partie de la différence que vous évoquez. La deuxième raison est que nous sommes très prudents sur l’évolution du marché européen au cours des prochaines années. Or ce marché représente 45% de nos ventes. Les nouvelles normes d’émissions de CO2 peuvent perturber le comportement des constructeurs et des acheteurs d’automobiles à partir de l’année prochaine. En revanche, nous pensons que le point bas a été atteint sur le marché chinois et nous ne sommes pas très inquiets en ce qui concerne les Etats-Unis.

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Par ailleurs, en termes de rentabilité, vous visez une marge opérationnelle de 7% en 2022, hors coentreprise avec Siemens. C’est assez nettement inférieur aux 9% visés pour 2021 dans le précédent plan, ou même les 8% dégagés en 2017.

Il faut bien voir que le chiffre d’affaires que nous envisagions en 2017 pour 2019 était de 19,2 milliards ; il sera de 16,2 milliards, en raison essentiellement de la chute du marché automobile, qui ampute nos ventes de 2,1 milliards. Si on estime à 25 % la contribution marginale, cela représente plus de 500 millions de profit opérationnel perdu. Par ailleurs, nous avons, pour préparer la transformation du groupe vers les nouveaux marchés et nos 12 plateformes technologiques, investi fortement et augmenté les frais de recherche et développement qui ont été, pour partie, capitalisés. Les amortissements de ces investissements arrivent maintenant alors que le marché est plus faible qu’anticipé initialement, et cela a un impact de 100 points de base, soit 1%, sur la marge opérationnelle.

Vous annoncez une stabilisation autour de 6% du chiffre d’affaires de vos investissements, tandis que les dépenses globales de recherche et développement passeront de 10,6% des ventes cette année à 9,4% en 2022. Ces réductions fortes ne vont-elles pas hypothéquer les développements du groupe à moyen terme ?

Nous avons consenti de gros efforts pour transformer notre offre produits et concevoir nos 12 nouvelles plateformes technologiques. C’est derrière nous. Il y aura une ou deux nouvelles plateformes dans les trois à quatre ans qui viennent, mais pas plus. Nous continuerons à améliorer nos produits, à les faire évoluer, mais cela implique des coûts plus faibles. Dans le même temps, tous les produits matures ne nécessitent plus de développement. En ce qui concerne les investissements, le marché automobile sera globalement en décroissance entre 2018 et 2022, compte tenu de la forte baisse des dix-huit derniers mois. Les capacités sont donc suffisantes. Si le marché repartait franchement de plus de 3 % par an, il faudrait s’adapter, mais ce n’est pas l’hypothèse la plus probable.

BMW a déposé une plainte en Allemagne contre vous et Denso pour entente sur les prix des climatisations. Plus de 140 millions de dommages et intérêts sont réclamés. Quelle est votre réaction ?

Je comprends que BMW a engagé une action en justice auprès du tribunal de Munich contre Denso et Valeo pour obtenir réparation d’un prétendu préjudice en lien avec une entente relative à des systèmes d’air conditionné, mais aucune plainte ne nous a été notifiée à ce jour.Je regrette que BMW, que je considère comme un partenaire de longue date, ait choisi de recourir à une action judiciaire à notre encontre. Valeo est déterminé à se défendre vigoureusement et à démontrer que BMW n’a subi aucun préjudice.

Propos recueillis par Rémi Le Bailly

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