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Chat

« Croissance, récession, Fed, BCE, taux négatifs, Helicopter money... je vous explique tout ! »

Lundi 23 septembre, à 16 heures, Philippe Wenger, responsable du service Economie à Investir-Le Journal des Finances, a repondu à vos questions. Elles étaient nombreuses quelques jours après les réunions de politique monétaire de la fed et de la BCE. Retrouvez ici le compte-rendu complet de ce chat.

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Philippe Wenger, le 23 septembre
Publié le 19 sept. 2019 à 13:00Mis à jour le 23 sept. 2019 à 17:10

Philippe Wenger, chef du service Economie à Investir-Le Journal des Finances : Bonjour à toutes et à tous et merci de votre présence.

Breton : On parle tout le temps de l'inversion de la courbe des taux aux Etats-Unis et de la récession. Je ne vois pas le lien. Pourquoi ce serait un signe prémonitoire ?

En général, les taux longs progressent avec la croissance et l’inflation qui se renforce vers la fin du cycle économique. Les banques centrales augmentent leurs taux directeurs freinant l’activité.

Ces taux de court terme dépassent alors les taux de long terme. La pente est dite inversée. L’économie approche de la récession. En outre, les banques commerciales se financent à court terme et prêtent à long terme.

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Leur marge est fonction de l’écart de taux. Plus les taux courts sont élevés, moins elles gagnent d’argent. Cette fragilité renforce le ralentissement économique.

Pour sortir de récession, les banques centrales baissent leurs taux, qui passent sous les taux longs. La pente se redresse alors que le crédit est stimulé et la croissance repart.

Aujourd’hui, la courbe est inversée mais la banque centrale américaine a acheté beaucoup d’obligations avec ses QE et contrôle donc la partie longue de la courbe. Certains économistes ne croient plus à ce côté prémonitoire.

Boursicoteur : Je vous pose la question à 1 trilliard de dollars. Selon vous, la Fed va-t-elle encore baisser ses taux cette année et combien de fois ? Jerome Powell peut-il résister à la pression de Trump et des marchés ?

Un trilliard ou plus ! Les marchés tablent sur un geste en fin d'année. La probabilité de 25 points de base à la réunion d'octobre est de 54%.

Les membres de la Fed eux-mêmes ne tablent que sur une baisse de taux en 2019.

Les économistes sont prudents. La Fed a insisté sur le fait qu'elle agira en fonction de la conjoncture. Elle reste solide.

Jerome Powell peut résister à Trump plus qu'aux marchés. Prendre ces derniers à contre-pied serait la pire des choses. Commençons par une baisse de taux et on verra en fonction des statistiques.

Michel05 : Pouvez-vous m'expliquer les problèmes de liquidité observés aux Etats-Unis la semaine dernière ? Je n'ai rien compris. Je croyais que les banques centrales déversaient des tonnes de liquidités sur les marchés. Merci d'éclairer ma lanterne.

C'est très compliqué. Ces problèmes ont surpris tout le monde, même la Fed.

Son bras armé, la Fed de New York, planche sur le sujet. Deux explications sont proposées. Un : l'augmentation des dépôts du Trésor américain à la Fed a atteint quelque 200 milliards de dollars ces derniers jours.

Ils sont liés à des recettes d'impôts, versés par le secteur privé, et à une augmentation de la dette publique américaine. Dans les deux cas, cela constitue un transfert du secteur privé vers la sphère publique et retire donc des liquidités sur le marché monétaire.

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Deuxièmement, les étrangers achètent peu de dette publique américaine depuis 2013. En conséquence, c'est le secteur financier qui doit absorber ces émissions de dette publique, 1.000 milliards de dollars en douze mois selon les stratégistes de LBP AM.

Cela assèche aussi le marché monétaire. Attendons de voir l'analyse de la Fed de New York car c'est un point important à surveiller. La Fed pourrait être contrainte de relancer un QE ou de faire comme la BCE, mettre en place une facilité de prêt marginal.

Raymond : L'endettement des Etats ne semble plus être un problème avec des taux très bas. Et que se passera-t-il quand les taux remonteront, ce qui arrivera forcément, non.

Oui, vous mettez le doigt sur le problème des politiques monétaires de taux nuls ou négatifs. Les Etats ne sont pas incités à une gestion rigoureuse des deniers publics.

Quand les taux remonteront, ce qui arrivera effectivement tôt ou tard, le marché obligataire sera fragilisé. Faisons confiance aux banques centrales pour piloter une remontée progressive et non brutale des taux.

Mr Taux : Bonjour. Les banques centrales rivalisent avec des taux toujours plus bas, ce qui soutient grandement des entreprises et Etats surendettés, ou du moins les protègent du défaut de paiement (pour le moment). Quel peut être l'élément déclencheur d'une remontée des taux d’intérêt, et à quelle échéance peut-on s'attendre à une telle remontée ? Cordialement.

L'élément déclencheur peut être un choc extérieur, pétrolier par exemple. Mais la présidentielle américaine peut aussi être source d'inquiétude.

Si Elisabeth Warren, démocrate, gagnait l'élection présidentielle américaine, l'application de son programme économique ferait déraper l'inflation. Il propose un salaire minimum doublé, un emballement des dépenses publiques, une interdiction de l'exploitation du gaz de schiste.

La Fed réagirait et durcirait fortement sa politique monétaire. Une crise mondiale serait déclenchée, estimait ainsi Patrick Artus dans un entretien publié sur investir.fr.

Pognon : J'ai entendu parler d'« Helicopter money ». Qu'est-ce que c'est ?

L'Helicopter money est une théorie développée par l'économiste américain Milton Friedman. L'idée est simple : quand la politique monétaire est devenue inefficace car les taux sont si faibles qu'une baisse supplémentaire ne crée plus d'incitation à investir ou à consommer, alors la banque centrale pourrait tout simplement distribuer des billets de banque aux ménages pour qu'ils les dépensent.

Cette distribution de revenus serait financée par la planche à billets, donc par création monétaire. La version moderne imagine que la banque centrale créditerait les comptes des banques commerciales, à ces dernières de créditer leurs clients.

Franchouillard : Quels seraient les avantages et inconvénients si la BCE versait de l'argent directement aux citoyens européens sans passer par les banques ?

Cette hypothèse n'est pas farfelue. Elle est faite par des économistes sérieux. Les avantages sont : gains de pouvoir d'achat, davantage de consommation, et relance de l'inflation.

Les inconvénients : grande incertitude des acteurs économiques, et surtout bataille assurée au Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE). On serait en effet très éloigné de la vision allemande de la politique monétaire.

Je ne pense pas que la BCE franchira le pas, personne ne l'espère car cela voudrait dire que la situation économique est très mal engagée.

Dédé 42 : Compte tenu du niveau actuel des taux d'intérêt, les baisses de taux décidées par les banques centrales ont-elles encore de l'effet sur l'économie ou servent-elles simplement à faire monter les marchés et à créer des « bulles » ?

Le risque est grand que l'impact économique soit très faible. Mais la BCE cherche avant tout à soutenir les anticipations d'inflation qui faiblissent dans la zone euro depuis plusieurs trimestres. La réussite de cette politique n'est pas assurée.

La formation de bulles est possible dans l'obligataire évidemment, mais aussi et surtout dans les actifs réels comme l'immobilier.

Berlin : L'Allemagne, locomotive de l'Europe est-elle devenue l'homme malade de l'Europe ? Redoutez-vous une récession dans ce pays ? Pensez-vous qu'elle lancera un plan de relance ? Merci d'avance de votre réponse.

La récession est une réalité outre-Rhin dans l'industrie. Les économistes anticipent toutefois encore une progression du PIB de 0,5% cette année et légèrement mieux l'an prochain (1%)

C'est décevant même si les services résistent encore. L'Allemagne peut réagir. Elle doit le faire. Les discussions sont vives pour lancer un plan de relance budgétaire.

Un accord a même été arraché ce week-end pour mettre sur pied un plan d'investissement pour le climat de 60 milliards d'euros ! Ce n'est pas rien même s’il serait lissé sur plusieurs années. Mais ne rêvons pas d'une relance budgétaire à l'américaine.

LAURENT : Bonjour M. Wenger, où en est-on selon vous dans le (long) cycle économique actuel, en milieu de cycle comme la Fed le dit, ou à un stade plus avancé ? La faiblesse des taux actuels ne masque-t-elle pas la réalité ? Quelles leçons tirer des cycles précédents, notamment en termes d'allocation en actions ? De fait, je me pose la question concernant votre proportion de 45% en actions en termes de préconisation de placements, n'est-ce pas trop risqué ? Cordialement.

Bonjour Laurent. Le cycle américain est effectivement très long. Cela doit même être le plus long de l'histoire économique contemporaine américaine. Et la croissance, bien qu'en ralentissement, résiste. Le consensus des économistes envisage une expansion de 2,3% cette année et 1,8% en 2020.

La situation est plus contrastée en Europe, voire plus difficile. La croissance anticipée de la zone euro est de seulement 1,1% en 2019 et en 2020.

Mais les placements qui offrent de bons rendements sont quasi-inexistants à part les actions. En outre, les banques centrales ne laisseront pas les marchés s'effondrer sans agir. La Fed surveille de très près les effets richesses des ménages et la Banque du Japon achète des actions via des ETF.

Hugues15457 : Bonjour, le retour à la parité entre l'euro et le dollar est-il selon vous un scénario envisageable ? Quelle serait la principale force d'attraction vers ce niveau pivot ? Merci et bon chat.

1 pour 1 n'est pas le consensus des économistes de marché. Ils tablent plutôt sur une certaine stabilité. Pour envisager la parité euro-dollar, il faudrait que la Fed arrête ses assouplissements et que la BCE au contraire poursuive ses mesures de relance.

Mais la pression exercée par Donald Trump sur Jerome Powell (le patron de la Fed) serait, pour le coup, forte. Il ne faut pas croire en revanche qu'un dérapage de la crise entre Pékin et Washington affaiblirait le dollar car il est une valeur refuge et profite des tensions internationales.

Robert Fraisse : Peut-on imaginer, si les taux des obligations d'Etat restent négatifs pendant cinq ou dix ans (tout est possible), que certaines assurances-vie n'ayant plus d'obligations positives, parce qu'elles sont arrivées à échéance, dans leurs portefeuilles, servent aux assurés des rendements négatifs sur les fonds en euros ?

C’est une excellente question et un grand problème !

On peut imaginer que les banques centrales réagiront avant de placer les assureurs-vie dans une telle situation. Il faudrait ainsi que la BCE relève, quand cela sera possible sur un plan conjoncturel, ses taux d'intérêt pour renforcer les revenus des assureurs-vie (sous l'hypothèse que les rendements obligataires augmentent aussi).

Il faut toutefois que cette augmentation des revenus soit très lente pour ne pas imposer des moins-values en capital. C'est très délicat. Plus les taux restent longtemps à de faibles niveaux, plus la normalisation sera délicate.

DemierG : Bonjour Monsieur, l'évolution du pétrole a-t-elle toujours autant d'influence sur la croissance économique et sur la Bourse selon vous ? Quel serait le niveau symbolique qui ferait vraiment réagir le marché ? Y a-t-il un niveau critique ?

Bonjour. Avec le mouvement de désindustrialisation des économies, les fluctuations des cours du pétrole ont moins d'impact que dans les années 70.

Les économies se sont aussi « désintoxiquées » et consomment moins d'énergie carbonée par unité de PIB produite. Dans le passé, on a vu que l'or noir pouvait atteindre des niveaux élevés avant de faire plonger les économies en récession.

En 2007-2008, le baril a coté quelque 150 dollars en séance avant refluer. On connaît la suite...

Evania : Bonjour Monsieur, selon vous d'où vient le risque économique pays le plus important actuellement pour la Bourse (Etats-Unis, Europe, Chine, pays émergents) et pourquoi ? Merci par avance et bonne journée.

Bonjour. La Chine est certainement le pays le plus risqué. L'endettement total, privé et public, a flambé au cours de la décennie alors que l'expansion ralentissait année après année.

Les statistiques économiques publiées sont toujours critiquées, limitant l'analyse économique.

Merci à tous pour votre participation à ce « Chat » Economie. La semaine prochaine Rémi Le Bailly reprendra les rendez-vous boursiers.

Bonne semaine.

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