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« Nous sommes entrés dans une phase d’optimisation »

Le fondateur du leader mondial de la bio analyse explique comment, après une période de croissance record, il compte se concentrer sur la génération de cash-flow.

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« Nous sommes entrés dans une phase d’optimisation » | Crédits photo : DR (DR)

Par Anne Barloutaud

Publié le 14 déc. 2018 à 17:35
Gilles Martin , Président-directeur général

Quels ont été les éléments marquants pour Eurofins Scientific en 2018 ?

Nous avons connu un nouveau changement de taille. Une quarantaine d’acquisitions ont été réalisées pour un volume de 700 millions d’euros de chiffre d’affaires en base annuelle, un montant semblable à celui de l’année précédente où nous avions racheté une soixantaine de sociétés. Les exercices 2017 et 2018 ont été des années de croissance externe record, ce qui n’était pas initialement prévu dans le plan de marche annoncé en 2015. Ce dernier tablait sur un doublement de taille en cinq ans, sur la base de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires acquis chaque année. Or ce chiffre s’est monté à 1,4 milliard en deux ans. Cela s’explique par les trois plus grosses opérations jamais réalisées par Eurofins, toutes aux Etats-Unis. En 2017, nous avons racheté l’américain EAG Laboratories, qui exploite une des plus grandes plateformes de tests et de certifications destinée aux secteurs biopharmaceutiques et d’agrosciences, mais aussi à celui des matériaux. Nous sommes ainsi devenus numéro un de l’analyse pour l’enregistrement des produits phytosanitaires. Cette année, l’acquisition de Covance Food Solutions et celle de TestAmerica nous ont permis de devenir respectivement leader des analyses alimentaires et environnementales sur le marché nord-américain. Nous avons par conséquent relevé plusieurs fois nos objectifs. Nous visons désormais 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires à l’horizon 2020 – soit un quasi-doublement de taille par rapport à 2016 – accompagné d’un objectif de 1 milliard d’Ebitda ajusté, traduisant une marge de 20 %.

Quelles sont désormais les positions d’Eurofins ­Scientific au niveau mondial ?

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Avant ces opérations, nous étions jusqu’alors numéro un en Europe sur nos cœurs de métiers, mais pas encore aux Etats-Unis. Nous avons désormais accès aux plus grands groupes agroalimentaires ou industriels nord-américains. Stratégiquement, nous ne pouvions manquer ces opportunités, ces sociétés étant à vendre à quelques mois d’intervalle. Nous avons ainsi renforcé fortement nos positions sur ces marchés porteurs et défensifs liés à la santé. La division des services d’analyse pour l’industrie pharmaceutique, segment très dynamique dont la croissance est supérieure à 10 % outre-Atlantique, est devenue notre premier marché au monde, devant les tests alimentaires. Quatre pays, dont notamment Taiwan et la Corée du Sud, ont rejoint notre réseau actuel présent dans 45 pays, et la part des Etats-Unis représente plus d’un tiers de notre activité, contre à peine plus de 20 % cinq ans plus tôt. J’estime qu’Eurofins a désormais atteint une taille critique. Cet objectif, qui s’est réalisé beaucoup plus rapidement que prévu, a nécessairement eu un impact sur le niveau de la dette. Nous avons levé plus de 2 milliards d’euros sur les marchés en trois ans (2016-2018). En contrepartie, nous avons construit des positions de leader de marché sur environ 70 % de notre chiffre d’affaires. Cela nous permet d’offrir un très bon niveau de services à nos clients sur la base d’une gamme d’analyses complètes dans tous les pays avec de courts délais de réponse et des prix compétitifs.

Vous avez accéléré depuis trois ans votre diversification sur de nouveaux marchés, comme les matériaux ou les laboratoires de biologie médicale? Pour quelle raison ?

Avec EAG par exemple, nous avons renforcé nos positions dans l’analyse des produits pharmaceutiques et agrochimiques et sommes entrés dans de nouveaux segments de niche porteurs de haute technologie où il y a peu d’acteurs et de fortes barrières à l’entrée (tests de profilage, imagerie avancée, analyse de résistance…). Ils nous permettent de nous différencier dans le métier de l’analyse. Dans la biologie médicale, où nous sommes présents depuis trois ans en France, mais aussi aux Etats-Unis, l’objectif était d’investir dans les tests de spécialité à forte valeur ajoutée, plutôt que dans les analyses de routine. Il est vrai que cette division affiche pour le moment une faible croissance dans l’Hexagone ,contrairement aux Etats-Unis où ces tests sont remboursés et où ce segment explose. Les tests prénataux non invasifs destinés à détecter les défauts génétiques du fœtus par exemple y représentent déjà un marché de plusieurs milliards. Cela prend du temps d’obtenir des autorités de santé la validation et le remboursement de ces nouveaux tests innovants en France. Leur vitesse de pénétration est difficile à évaluer, mais ce ne devrait être qu’une question de décalage vu leur intérêt médical. A noter que la rentabilité de la biologie médicale est conforme à celle du groupe.

Après une telle phase de croissance, allez-vous entrer dans une phase plus modérée ?

La période exceptionnelle d’acquisitions que nous venons de vivre n’a pas vocation à se répéter. Nous allons retrouver une évolution plus équilibrée entre croissance organique et externe d’environ 5 % chacune, ce qui correspond à 200 millions de chiffre d’affaires à acquérir chaque année afin de profiter d’un marché encore très fragmenté. Nous devrions afficher un rythme annuel proche de 10 % sur les prochaines années, contre 25 % par an sur 2017-2018. Cela devrait nous permettre d’améliorer notre rentabilité opérationnelle d’environ 130 points de base en marge d’Ebitda ajusté d’ici à 2020. Nous avons terminé la phase d’expansion accélérée du réseau et entrons dans une période d’optimisation.

Les investissements ont fortement progressé. Vont-ils refluer dans les années à venir ?

Notre objectif pour 2020 passe par la poursuite d’une phase de forts investissements. Ils sont nécessaires pour structurer le réseau et augmenter les capacités comme nous sommes en train de le faire (à hauteur de plus de 25 %) dans nos laboratoires centraux de Nantes, Hambourg ou Lancaster (aux Etats-Unis). Le niveau d’investissement de plus de 8 % du chiffre d’affaires, très supérieur à ce qui se pratique dans la profession, est destiné à renforcer nos avantages compétitifs et nos parts de marché. Nous estimons qu’à partir de 2020, nous devrions revenir à un niveau plus normatif de 6 %, et même en dessous, qui perdurera. A cet horizon, nous devrions recueillir les fruits de la montée en charge des nouvelles capacités et de celle des laboratoires « start-up » dont le rythme d’ouverture s’est fortement ralenti en 2018. Ces laboratoires créés de toutes pièces, destinés à intensifier notre maillage géographique et à capter de nouveaux marchés lorsqu’on n’a pas trouvé de cibles répondant à nos attentes dans un pays, mettent plus de quatre ans à devenir profitables. Une centaine de laboratoires ont été ouverts ces cinq dernières années avec une accélération en 2017 (sur la base de 30 ouvertures). La priorité est désormais au retour sur investissements pour ces dernières, qui peut être bien supérieur à celui d’une acquisition.

Les sociétés acquises auront-elles un impact positif sur la marge ?

Certaines, comme EAG et Covance, sont relutives avec 25 % à 30 % de marge d’Ebitda (contre 18,7 % pour le groupe en 2017). En revanche, d’autres sociétés de plus petite taille, dont la marge tourne autour de 10 % à 17 %, sont dilutives. Notre modèle de développement repose sur plusieurs leviers de rentabilité. L’effet « taille du réseau », mais aussi la concentration sur de grandes plateformes régionales pour les tests de spécialités combinée avec le développement de petits laboratoires satellites proches des clients pour accélérer les délais de réponses, notamment en bactériologie et aussi le cross-selling (sous-traitance croisée), qui consiste à offrir au client l’ensemble du portefeuille de tests d’Eurofins. Nous visons toujours un retour sur capitaux employés supérieur à 12 % dès la troisième année post-acquisition.

Quelle est la récurrence de vos revenus ? Etes-vous protégé en cas de récession ?

Nous estimons que plus de 90 % de notre activité est récurrente sachant que nos principaux marchés sont peu exposés aux cycles économiques. Sur longue période, la croissance organique d’Eurofins a toujours été positive même en période de récession forte comme en 2008-2009 où elle est restée autour de 2 %. Elle a très vite retrouvé son rythme moyen de 5 % à 6 %. L’échantillonnage de tests requis par les industriels reste très limité par rapport à leurs volumes produits et représente un coût très faible au regard de l’enjeu de contrôle qualité et de risque de réputation auxquels ils pourraient être confrontés. De fait, notre marché reste très stable. Paradoxalement, alors que notre titre a été très attaqué ces derniers mois, nous intervenons sur des marchés très résilients, et la visibilité est bonne, actuellement, dans toutes nos activités.

La dette nette atteint 1,6 milliard à fin juin 2018, hors instruments hybrides, soit environ le montant des fonds propres. Comment se structure-t-elle ? Etes-vous exposé à une potentielle hausse des taux ?

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Nous sommes confortables avec le niveau de dette que nous aurons en fin d’année. En termes de profil de maturité, la dette nette senior n’a pas d’échéance majeure avant 2022. Sur la partie hybride qui représente 1 milliard, l’instrument le plus ancien sera remboursable en janvier 2020 pour 300 millions. Il est potentiellement perpétuel comme la totalité du capital hybride, ce qui limite le risque, mais nous souhaitons le rembourser car son coupon, émis il y a de nombreuses années, est élevé, à 7 %. Au global, environ 90 % de nos instruments de dette sont à taux fixe pour des maturités assez longues (entre 2022 et 2025) et, de fait, nous sommes peu exposés à une éventuelle augmentation des taux. En outre, le coût moyen de la dette senior est en baisse et devrait passer au-dessous de 2 % en 2019 alors qu’il approchait 3 % antérieurement.

De quelle marge de manœuvre financière disposez -vous désormais ?

Nous avons confirmé, au moment du remboursement de l’émission d’un Eurobond de 300 millions d’euros, fin novembre, que nous étions déjà financés pour réaliser nos objectifs 2020 sans avoir besoin de recourir au marché. La génération de cash-flow, qui est positive après investissements malgré le niveau élevé de ces derniers, devrait progressivement augmenter et autofinancer à l’avenir une grande partie des opérations de croissance externe. Le multiple de dette nette rapporté à l’Ebitda ajusté, hors instruments hybrides qui ne sont pas pris en compte par les banques, devrait rester inférieur au ratio de 3,5 fois à fin 2018.

Pourriez-vous obtenir une notation de crédit ?

A travers plusieurs émissions obligataires et d’instruments hybrides sur les marchés, nous sommes devenus, au cours des dernières années, un des plus gros émetteurs européens non cotés. Nous avons en outre émis, en juillet dernier, avec succès (forte sursouscription) un nouvel instrument Schuldschein de 550 millions. Il nous a permis d’obtenir de très bonnes conditions sur la base d’un taux moyen de 1,38 % (sur les tranches à taux fixe) et une maturité moyenne de cinq ans. Pour avoir accès à des panels d’investisseurs plus larges à l’avenir, il serait sans doute opportun d’obtenir un rating.

Quel est votre commentaire sur la forte baisse du titre depuis trois mois ?

Les marchés sont très fébriles. Beaucoup de fonds réalisent des ventes à découvert sur notre titre. C’est probablement lié à une évolution de la perception des marchés qui, en ce moment, rejettent les sociétés qui ont fait beaucoup d’acquisitions et supportent de la dette. Le plus surprenant c’est que nous n’avons fait aucune annonce ne respectant pas nos objectifs, ce qui aurait pu justifier un tel recul. J’estime que la somme des parties d’Eurofins vaut aujourd’hui beaucoup plus que le tout. Autrement dit, si on vendait chacune de nos divisions séparément, l’ensemble serait bien supérieur à notre valeur boursière actuelle. Mais nous sommes un acteur industriel et n’avons jamais caché que nous menions une stratégie de long terme. Cela prend du temps de bâtir un leader mondial. Enfin, le cours s’échange autour de 350 €. Depuis l’introduction en Bourse à 1,83 € en 1997, le parcours de l’action reste très positif pour nos actionnaires.

LA QUESTION QUI DÉRANGE

Eurofins Scientific réalise environ 20 % de son chiffre d’affaires en France, son deuxième marché. Les filiales du groupe qui y génèrent de l’activité paient leurs impôts en France. Par ailleurs, Eurofins est une société luxembourgeoise, le siège du holding se situant au Luxembourg. Quant à moi, je suis résident belge depuis quinze ans.

Propos recueillis par Anne Barloutaud

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