EXCLUSIF - Impôt mondial : la lettre au vitriol adressée par les multinationales à l'OCDE
L'instance représentative des entreprises au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques exhorte l'institution à renouer le dialogue, après des mois de mise à l'écart. Une consultation devrait être organisée rapidement, indique le patron de la division fiscale de l'OCDE.
Par Isabelle Couet
Les multinationales sont en colère. Alors que les chefs d'Etat ont annoncé en grande pompe un accord historique sur une réforme de la fiscalité internationale menée sous l'égide de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les grands groupes se plaignent d'être tenus à l'écart des discussions depuis des mois. Ils n'attaquent pas le contenu de l'accord, mais estiment qu'ils auraient dû être consultés sur les modalités de ce « big bang » fiscal, qui va se traduire par une réallocation géographique de l'impôt sur les bénéfices (« Pilier 1 ») et la mise en place d'un taux effectif d'imposition minimum de 15 % (« Pilier 2 »).
La charge émane d'une instance baptisée « Business at OECD », qui représente officiellement les grands groupes au sein de l'organisme multilatéral. Après une lettre publique le 11 octobre, cette instance s'est fendu d'une missive à la tonalité beaucoup moins feutrée, mardi 16 novembre.
Situation « aberrante »
Dans ce courrier obtenu par « Les Echos » adressé aux membres de l'OCDE, avec en copie Pascal Saint-Amans, l'architecte de l'impôt mondial au sein de l'organisation de coopération, le représentant de « Business at OECD » expose les griefs de plusieurs comités liés aux milieux d'affaires. William Morris, qui est aussi l'un des dirigeants du cabinet de conseil en fiscalité PwC et a auparavant travaillé chez General Electric, ne mâche pas ses mots. Il estime que la situation qui prévaut depuis des mois - autrement dit l'absence de dialogue - est « aberrante ».
Il rappelle que « Business at OECD », qui a été créé en 1962, n'a pas seulement vocation à donner le sentiment général des entreprises. Il permet aux « acteurs de l'industrie d'apporter de la matière technique et pratique pour que l'OCDE puisse bâtir des politiques plus efficaces ». Or, c'est précisément ce qui n'a pu être fait au cours des derniers mois, regrette-t-il.
Documents sur le projet d'impôt mondial
Ce reproche a été formulé lors d'une réunion qui s'est tenue début novembre, à Paris. A cette occasion, le comité qui représente les entreprises sur les sujets de fiscalité à l'OCDE a fait savoir qu'il s'inquiétait du manque d'interactions depuis la publication des documents de travail sur le projet d'impôt mondial, en janvier dernier. « Ce sentiment était partagé par tous les membres, quel que soit le pays ou le secteur », souligne l'auteur du courrier.
« Ce que nous voulons donc désormais proposer, c'est que l'on s'engage rapidement et en profondeur dans un processus de conseil, à la fois formel, transparent et compréhensible, concernant les enjeux techniques […], sans quoi la mise en oeuvre du Pilier 1 et du Pilier 2 risque de s'avérer très difficile », lance William Morris. Il poursuit, avec une mise en garde : « Le danger, sinon, c'est que de nombreux groupes refuseront à l'avenir de s'impliquer dans des procédures multilatérales. »
Vous vous chargez de la dimension politique et nous vous conseillons sur les règles à mettre en place
William MorrisDirecteur de Business at OECD
La lettre se conclut sur une mise au point très ferme. « Nous sommes impatients de renouer une relation où - pour être très explicite - vous vous chargez de la dimension politique, et où nous vous conseillons sur les règles à mettre en place pour répondre à ces politiques. » Le porte-parole des multinationales termine ainsi : « J'insiste, nous espérons vraiment que vous accepterez cette offre. »
« Grande source d'inquiétude »
Les groupes français, représentés par l'Afep , sont sur la même ligne. « Les aspects techniques de l'accord, qui touchent à la question de l'assiette, n'ont pas été discutés avec les entreprises, ce qui est une grande source d'inquiétude, alors qu'il y a un soutien sur le principe de la réforme, » a déclaré l'Association aux « Echos ». « Les groupes concernés ne sont pas en mesure d'évaluer l'impact pour eux de cette réforme. »
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Interrogé par les « Echos », Pascal Saint-Amans (*), assure comprendre ce mécontentement. « Nous allons mettre en place un mécanisme de consultation des entreprises sur le Pilier 1 de l'accord », indique-t-il. Le temps presse. Les derniers détails techniques doivent être finalisés d'ici à la fin d'année. Il est d'ailleurs déjà trop tard pour consulter les multinationales sur la mécanique du taux minimum et la définition de l'assiette.
(*) lors d'une rencontre organisée par l'Association des journalistes économiques et financiers (AJEF)
Isabelle Couet