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Enquête

Procès des attentats du 13 novembre 2015 : les clés du verdict

Après dix mois d'audience, le procès de ces attentats meurtriers qui ont fait 131 morts en France est arrivé à son terme. Malgré quelques « révélations » subsistent encore de nombreuses zones d'ombre. Pour les parties civiles, il va falloir gérer le vide de l'après.

Le président de la Cour d'Assises spécialement constituée de magistrats, Jean-Louis Périès, n'est pas tombé dans le piège d'une justice spectacle.
Le président de la Cour d'Assises spécialement constituée de magistrats, Jean-Louis Périès, n'est pas tombé dans le piège d'une justice spectacle. (Benoit PEYRUCQ / AFP)

Par Valérie de Senneville

Publié le 28 juin 2022 à 16:37Mis à jour le 29 juin 2022 à 08:49

Le 8 septembre 2021 s'ouvrait le procès des attentats du 13 novembre 2015. Tous les superlatifs lui ont été attribués : historique, hors norme… Le tour de force de cette audience aura surtout été de rester un procès et d'éviter une justice « spectacle ». Même si le nombre de parties civiles - 2.400 - et la violence des faits ont opéré comme un amplificateur dantesque.

A l'heure du verdict, attendu pour ce mercredi 29 juin, que reste-t-il de ces dix mois d'audience ? Comment résumer ce que ce procès inhabituellement long a charrié de douleurs, de colères mais aussi d'humanité et de vérités ? Aucun de ses acteurs - parties civiles, magistrats, avocats, et sans doute accusés - ne sortira le même de cette audience.

A commencer par les victimes. « Le terrorisme, c'est la tranquillité impossible. Votre verdict n'aura pas pour vertu de rendre leur tranquillité originelle aux victimes. Il ne guérira pas les blessures, visibles ou invisibles. Il ne ramènera pas les morts à la vie, mais il pourra au moins les assurer que c'est, ici, la justice et le droit qui ont le dernier mot », a conclu, le 10 juin dernier, Camille Hennetier, au terme de réquisitions à trois voix avec Nicolas Braconnay et Nicolas Le Bris. Le Parquet national antiterroriste (PNAT) a demandé des peines allant de cinq ans de prison à la perpétuité incompressible contre les vingt accusés du procès des attentats du 13 Novembre.

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Entre soulagement et tension, les parties civiles ont écouté les mots durs de ce réquisitoire. « Etre victime d'un attentat, c'est le summum de la passivité, témoigne Arthur Dénouveaux, le président de Life for Paris, une des associations de victimes du 13 Novembre. Mais le procès a fait le job. Il a donné un espace de parole aux victimes même si quand on témoigne, juste après on peut se sentir très vide, il y a une phase de décompression. Mais pas une seule personne ne m'a dit regretter l'avoir fait », insiste-t-il.

Entre la webradio mise en place pour que chacune des parties civiles, même à distance, puisse suivre le procès, ces cordons vert ou rouge attribués à celles présentes au palais de justice qui acceptaient, ou pas, de répondre aux questions des journalistes, les gilets roses de l'assistance psychologique mise en place… la salle d'audience est devenue pendant neuf mois leur point de ralliement. « Le procès a réanimé nos coeurs tels qu'ils battaient avant le 13 novembre 2015 », ont écrit, dans une tribune pour le journal Libération, Arthur Dénouveaux, David Fritz-Goeppinger, qui a été otage au Bataclan, et Aurélie Silvestre, qui a perdu son compagnon et père de ses enfants.

Le terrorisme, c'est la tranquillité impossible. Votre verdict n'aura pas pour vertu de rendre leur tranquillité originelle aux victimes. Il ne guérira pas les blessures, visibles ou invisibles, il ne ramènera pas les morts à la vie, mais il pourra au moins les assurer que c'est, ici, la justice et le droit qui ont le dernier mot.

Camille Hennetier avocate générale PNAT

Dans l'immense salle d'audience construite pour l'occasion, près de 400 parties civiles sont venues à la barre pour témoigner. L'audience aura permis de mettre en mots leurs douleurs. Mais aussi de les confronter à leurs peurs. Jamais une audience criminelle n'avait autant laissé place à la parole des victimes. Une séquence en deux temps, au début et à la fin du procès, ce qui est là aussi sans précédent.

Des cris. Des détonations en rafale

Des familles ont raconté « leur 13 Novembre » et reconstitué, pierre par pierre, le puzzle des attaques djihadistes et de leurs vies fracassées. Certains portent encore leur haine comme un linceul ; d'autres, résilients, se sentent libérés. Des centaines de témoignages de chairs et de sang, une quinzaine par jour parfois, que la cour d'assises spéciale écoute dans un silence de cathédrale.

Le banc des accusés

Le banc des accusés(Photo by Benoit PEYRUCQ / AFP)

Des mots par centaines déversés, expulsés, comme ceux de Maureen, une des fondatrices de Life for Paris qui dit qu'« avec cet événement, on a tous pris perpétuité » ; ceux, désarmant, d'Aurélie, enceinte au moment des attentats, qui a perdu son compagnon ce soir-là et se considère comme « une athlète du deuil » ; ceux, remplis de culpabilité du survivant, de Tom qui revit sans cesse « ce moment où on se regarde dans les yeux. Il est en train de comprendre que je ne vais pas le récupérer. Je me détache de sa main ». Ou les mots des parents venus témoigner du « trou béant pour notre famille, nous vivons avec, quelques fois nous tombons dedans ». Et ceux de cet enfant de cinq ans qui n'a pas connu son père, mort au Bataclan, lus par une avocate des parties civiles : « Ils sont pourris comme une banane pourrie. Ils ont tué mon papa. » Et tant d'autres encore…

Et puis il y a eu ce 104e jour d'audience, le 1er avril, où dans la salle comble, les notes de « Kiss the Devil », joué par les Eagles of Death Metal, ont retenti, incongrues. Et soudain des détonations. Et puis des cris. Des détonations en rafale. Des cris encore. Glaçants. Ce jour-là, à la demande des associations de victimes, la cour d'assises spéciale a fait projeter des images de l'intérieur du Bataclan ainsi que des extraits sonores de l'attaque, captés par le Dictaphone d'un spectateur. La cour avait jusque-là refusé de diffuser des images pouvant « inutilement choquer ». Les associations y tenaient : « Il fallait qu'ils [les accusés] voient ce qu'ils nous ont fait », a expliqué une victime.

« Accros » à la salle d'audience

Plongées pendant neuf mois dans le ventre du procès, comment les victimes en sortiront-elles ? Le risque du vide après l'intensité des moments vécus ensemble est réel. Certains sont devenus « accros » à cette salle d'audience où l'on juge « leur histoire ». Au fur et à mesure des semaines, ils ont pris leurs habitudes, ont « leur » place sur les bancs de bois blancs.

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« Il y a le risque du trou d'air. Il y a des gens qui sont très seuls et le procès était pour eux une manière de se reconstituer cette famille qu'ils ont perdue lors des attentats avec des gens qui ont vécu le même traumatisme qu'eux », reconnaît Philippe Duperron, président de l'association 13Onze15 Fraternité Vérité, qui a perdu son fils lors de l'attaque du Bataclan. L'association a demandé à « Paris aide aux victimes » de prolonger le soutien psychologique jusqu'à la fin août. Un groupe de parole encadré par des psychologues devrait être aussi créé.

Il y a le risque du trou d'air. Il y a des gens qui sont très seuls et le procès était pour eux une manière de se reconstituer cette famille qu'ils ont perdue lors des attentats avec des gens qui ont vécu le même traumatisme qu'eux.

Philippe Duperron Président de l'association 13Onze15 Fraternité Vérité

« Le procès ne doit plus devenir le lieu du mémoriel », insiste Arthur Dénouveaux. Le jeune polytechnicien, aujourd'hui directeur études et innovation et membre du comité de direction de MMA, souhaite que l'association se dissolve après l'appel du verdict qui viendra sans doute. A la demande des associations, un jardin mémoriel de verdure, de pierre et d'eau verra le jour en 2025.

Piège de la justice spectacle

Restera alors le travail de la cour d'assises et particulièrement celui de son président, Jean-Louis Pèriés, surnommé « Loulou » par certaines parties civiles.

Face aux gesticulations furieuses du principal accusé, en réponse aux questions de la défense et aux aspirations des avocats des parties civiles, ce magistrat de 62 ans a su « tenir » son audience. Il avait prévenu dès le premier jour : « Nous commençons ce jour un procès qualifié d'historique, hors norme… Mais ce qui importe au vu de l'essence même du procès criminel, c'est aussi justement le respect de la norme, le respect des droits de chacun, à commencer par les droits de la défense. »

Ainsi, contenant, à défaut de pouvoir les éviter, les débordements du principal accusé, l'empêchant de se servir de l'audience comme d'une tribune, résistant aux emphases mémorielles de certains avocats de parties civiles, Jean-Louis Périès n'est pas tombé dans le piège d'une justice spectacle. Il a su opposer un mur de gravité sereine aux esclandres de Salah Abdeslam, allant jusqu'à tourner en dérision les déclarations tonitruantes du terroriste qui clame « être soldat de l'EI », « Moi j'avais 'intérimaire' », lui a répondu du tac au tac le président.

Le revers de cette rigueur est, selon certain, un « manque de souplesse » et une obsession « gestionnaire » d'un planning long. Mais pouvait-il faire autrement alors que l'audience a été chamboulée par le Covid-19 avec six des onze accusés comparaissant détenus, contaminés les uns après les autres ? Certains reprochent aussi ses demandes insistantes à ce que les accusés parlent et répondent aux questions. « Le silence est un droit » pour les accusés, remarque une partie civile.

Les « oscillations » de Salah Abdeslam

Les dix mois d'audience n'auront cependant pas purgé toutes les questions. Et malgré quelques révélations, ils restent encore de nombreuses zones d'ombre Qui est vraiment Salah Abdeslam , le seul survivant des commandos du 13 Novembre ? Devait-il se faire exploser et où ? Se faisant tour à tour passer pour « un combattant de l'EI » ou « pour un petit gars de Molenbeek », ses « oscillations » ont rythmé l'audience.

Salah Abdeslam

Salah Abdeslam(Photo by Benoit PEYRUCQ / AFP)

Pour le PNAT, il est clair qu'il n'est pas « un terroriste tombé du ciel » qui aurait remplacé son ami d'enfance Abrini au dernier moment, comme il a voulu le faire penser pendant le procès. La peine la plus lourde a, sans surprise, été requise contre lui : la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté incompressible, compte tenu de « l'immense gravité des faits ». Cette sanction rarissime n'a été prononcée qu'à quatre reprises depuis son instauration en 1994.

Pendant six ans le seul survivant des commandos s'était muré dans un silence obstiné. A l'audience ; il s'est mis à parler de manière apparemment décousue mais avec un but précis : minimiser son rôle dans la préparation et la commission des attentats. Selon lui, ce n'est que deux jours avant les attentats qu'Abdelhamid Abaaoud, le chef opérationnel des commandos, lui a demandé de porter une ceinture explosive.

La banalité du mal

« Moi, j'ai pas tué, a souligné Salah Abdeslam. Je mérite ce qui m'arrive, mais je ne vais pas payer pour ceux qui ont tué au Bataclan, aux terrasses, au Stade de France... » Les experts psychiatres, Daniel Zagury et Bernard Bollivet ont tenté de cerner cette personnalité plus complexe qu'il n'y paraît. Ils ont témoigné de leur sensation d'avoir été confronté à « la banalité du mal », selon le concept de la philosophe Hannah Arendt. Celle d'un « fossé immense entre l'énormité des crimes commis et la banalité de Salah Abdeslam », avait expliqué Daniel Zagury. « Il n'est pas figé. Il est devant un choix douloureux, difficile, mais c'est le sien. En guise de choix : la 'réhumanisation' ou 'l'endurcissement', renier le camp totalitaire dans lequel il s'était engagé ou se renier lui-même, redevenir le petit gars de Molenbeek ou rester le soldat de Dieu... »

Salah Abdeslam n'a cessé d'alterner déclarations furieuses et paroles presque « normales », allant même jusqu'à pleurer en s'adressant aux victimes en leur demandant de le « détester avec modération. Je veux vous dire aussi que je présente mes condoléances et mes excuses. Je sais qu'on a des divergences, je sais qu'il y a une haine qui subsiste entre vous et moi. Je sais qu'on ne sera pas d'accord, mais je vous demande de me pardonner ». Puis, Salah Abdeslam ajoute : « Je voudrais dire que cette histoire du 13 Novembre, elle s'est écrite avec le sang des victimes. C'est leur histoire. Et moi j'en fais partie. Je suis lié à elles et elles sont liées à moi. »

Je voudrais dire que cette histoire du 13 Novembre, elle s'est écrite avec le sang des victimes. C'est leur histoire. Et moi j'en fais partie. Je suis lié à elles et elles sont liées à moi.

Au gré de ses interrogatoires, Salah Abdeslam a construit son récit , racontant « sa nuit » du 13 Novembre, sa déambulation dans Paris. Il a expliqué à la cour qu'il avait pour mission de se faire exploser dans un bar du XVIIIe arrondissement de Paris mais « ne se souvient pas » du nom de ce café où il dit avoir renoncé à se faire exploser. « Je rentre dans le café, un bar pas très grand, avec beaucoup de monde. Je m'installe, je commande une boisson. Je regarde les gens autour de moi et je me dis que je vais pas le faire [...]. J'ai renoncé par humanité, pas par peur. Je ne voulais pas les tuer. » Il abandonne sa ceinture explosive et aurait pris un taxi pour se rendre dans le sud de Paris où ses amis viendront le récupérer.

Zones d'ombres

Une thèse à laquelle n'adhère absolument pas l'accusation. Pourquoi Salah Abdeslam aurait-il agi seul alors que les commandos du Bataclan, des terrasses et du Stade de France étaient tous composés de trois personnes ? Pourquoi être allé au sud de Paris alors que ses amis venaient de Belgique ? A-t-il vraiment pris un taxi (jamais retrouvé) ou un métro où il aurait pu se faire exploser ? Dans un ordinateur, les enquêteurs ont découvert un organigramme avec un dossier intitulé « groupe métro ». Enfin, savait-il que sa ceinture était défectueuse ou a-t-il inventé un scénario en le découvrant ?

D'autres questions restent encore. Mais après deux semaines de plaidoiries de la défense qui s'est élevée avec puissance contre «cette peine de mort lente» que serait la perpétuité réelle, place maintenant au verdict. Lundi dernier alors que, traditionnellement le président donnait la parole aux accusés avant de clore l'audience, Salah Abdeslam a tenté encore des «excuses» « Certains vous diront qu'elles sont insincères, que c'est une stratégie (...) comme si des excuses pouvaient être insincères à l'égard de tant de souffrance».

On ne peut pas rester victime à vie.

Arthur Dénouveaux Président de Life for Paris

Et quoique la cour décide « ce procès aura rempli la mission qui lui était assignée. C'est la réponse de la justice de la République à cette prétendue justice divine que les accusés ont voulu nous imposer », apprécie Philippe Duperron. Et puis, « on ne peut pas rester victime à vie » , constate Arthur Dénouveaux même s'il regrette « l'injonction sociétale à la résilience et à la bienveillance. On ne revient jamais 'comme avant', on est forcément changé mais il faut croire en l'avenir ».

Valérie de Senneville

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