Mort de l’artiste conceptuel Claude Rutault, peintre par définition

Mort de l’artiste conceptuel Claude Rutault, peintre par définition
Portrait de Claude RUTAULT par Claire Dorn, 2017 ©Courtesy Galerie Perrotin

Claude Rutault est mort le vendredi 27 mai 2022 à l'âge de 80 ans. Artiste conceptuel, il fondait sa pratique de la peinture sur la mise en place de règles et de recommandations permettant de mettre en œuvre, au sens strict, ses créations.

L’artiste français Claude Rutault s’est éteint à 80 ans le vendredi 27 mai 2022, des suites d’une maladie. Se définissant comme peintre, il avait consacré ses recherches plastiques à la question du rapport du mur au tableau tout en développant une pratique éminemment protocolaire fondée sur des règles, ou « définitions/méthodes », permettant aux marchands, collectionneurs ou musées d’actualiser (entendu comme action de faire passer de l’état virtuel au réel) ses œuvres. « Ceux qui l’ont connu regretteront sa malice, son intelligence, sa forte personnalité, sa générosité et sa liberté d’esprit, évidentes dans son travail », a déclaré Emmanuel Perrotin, son galeriste, sur les réseaux sociaux. En hommage à l’artiste la galerie présentera la de-finition/méthode « peinture – tombeau » dans l’exposition de groupe « Regarde-moi » qui ouvre le 9 juin 2022 à Perrotin Marais.

Les règles de l’art

Né le 25 octobre 1941 aux Trois-Moutiers à Vienne, Claude Rutault se fait connaître à partir des années 1970, s’inscrivant dans une génération d’artistes qui veulent soumettre la peinture, médium historiquement sacré, à des méthodes de production inhabituelles. C’est en 1973, alors qu’il repeint sa cuisine et recouvre accidentellement un tableau, qu’il a la révélation de la problématique fondamentale qui va animer sa peinture : l’exploration du rapport entre la toile et le mur (Michel Gautier et Marie-Hélène Treuil, Entretien écrit avec Claude Rutault, Flammarion, 2011). La même année, sa première « définition/méthode », intitulée « Toile à l’unité » et conçue comme une formule ou un ensemble de règles, permettant à un tiers de réaliser son œuvre. Elle prend la forme suivante (sans majuscule – une écriture propre à l’artiste) : « une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. sont utilisables tous les formats standards disponibles dans le commerce, qu’ils soient rectangulaires, carrés, ronds ou ovales. »

Claude RUTAULT de-finition/method. canvas per unit / dé-finition/méthode. toile à l'unité, 1973 paint on canvas / peinture sur toile dimensions variables selon l'actualisation | variable dimensions according to the actualization actualisation au 11 rue clavel, paris, 1973 photo courtesy l'artiste et Perrotin dé-finition/méthode: une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. sont utilisables tous les formats standard disponibles dans le commerce qu'ils soient rectangulaires, carrés, ronds ou ovales. l'accrochage est traditionnel.

Claude Rutault, dé-finition/méthode. Toile à l’unité, 1973, peinture sur toile, dimensions variables selon l’actualisation. Actualisation au 11 rue clavel, paris, 1973. Photo courtesy l’artiste et Perrotin.

Le champ des possibles

Claude Rutault ne réalisait pas systématiquement ses toiles et ne supervisait pas non plus leur production. Charge alors au marchand, collectionneur ou conservateur de musée (les « preneurs en charge » comme le concevait l’artiste) de mettre en œuvre (en sens propre) ses recommandations. A priori strictes, presque mathématiques, celles-ci laissent pourtant la place à l’accidentel et à l’interprétation personnelle, tout en les encadrant. La couleur d’une œuvre, sa forme, sa disposition peuvent varier très sensiblement, en fonction des choix de la personne qui l’actualise. « Vous ne savez pas ce que deviendra mon oeuvre, déclarait Claude Rutault en 2014 à l’artiste Allan McCollum lors d’une conversation publiée dans le magazine Interview. Vous ne savez pas de quelle couleur elle sera peinte. Vous ne savez pas où elle sera affichée. Il y a une part d’espièglerie et de jeu, mais c’est aussi très sérieux d’une certaine manière ».

Claude Rutault, dé-finition/méthode. peint / non peint / repeint (‘la place des vosges’ 1974) / dépeint (‘les joueurs de boules’ 1969)”, 1973-2010, peinture sur toile, 100 x 100cm (x3)+ 96 x 96 cm. Photo courtesy Perrotin.

Claude Rutault, dé-finition/méthode. peint / non peint / repeint (‘la place des vosges’ 1974) / dépeint (‘les joueurs de boules’ 1969)”, 1973-2010, peinture sur toile, 100 x 100cm (x3)+ 96 x 96 cm. Photo courtesy Perrotin.
dé-finition/méthode: repeindre est le trait d’union entre peindre et non peindre. il n’y a pas loin de la toile peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée à l’utilisation du papier, de n’importe quelle couleur sauf blanc si le mur est de couleur et blanc si le mur ne l’est pas. peindre : 1973, non peindre 1977. repeindre est la parenthèse qui confirme ce qui a été initié en 1973 mais ne peut rivaliser avec ce qui s’est progressivement mis en place entre 1977 et 1987, ne pas peindre. le non peint est un point de non retour en même temps que le lieu et le moment d’où il faut repartir. si peindre et repeindre sont devenus la mémoire floue de l’ancien tableau sacrifié, si peindre et repeindre trouvent encore une justification historique à leur posture, à leur présence l’accrochage au mur trompant leur monde par cela même le non peint ne peut qu’échouer, échouer appuyé contre le mur ou posé au sol, dans une interminable marée basse. le non peint est devenu l’éternel guetteur et le rempart du retour impossible du tableau. une dernière opportunité s’est présentée en même temps que repeindre en 1995, dépeindre une toile ancienne, la ramener au plus près de la toile non peinte. au plus près parce qu’il subsiste toujours des traces de l’ancienne toile, si bien que celle-ci demeure toujours une peinture. en modifiant son mode de production la peinture reprend pied dans l’époque. redire encore que pour que la peinture vive les tableaux doivent mourir. une toile tendue sur châssis préparée en blanc appuyée contre le mur. une toile non peinte tendue sur châssis appuyée contre le mur à droite de la première. une toile tendue sur châssis repeinte de la même couleur que le mur, accrochée à la suite de la précédente. une toile tendue sur châssis, dépeinte, accrochée à la droite de la toile repeinte. passer : ne rien faire, subir le vieillissement, ou prendre en compte le temps qui passe et les modifications du contexte : repeindre.

Aucune de ses œuvres n’est figée. Elles ont au contraire vocation à être modulées dans le temps et chaque prescription donnée par l’artiste ouvre un champ de possible. Comme l’explique la galerie Perrotin dans un communiqué diffusé à l’annonce du décès de l’artiste : « Poursuivant une logique de l’abandon de l’objet d’art fini, Claude Rutault donne à ses peintures la possibilité de poursuivre leur propre vie, et à ceux qui les prennent en charge une formidable puissance de liberté dans un partage et une discussion inépuisable autour de la création d’une oeuvre d’art ».

Claude RUTAULT dé-finition/méthode “autoportrait en pied”, 2011 peinture sur toile 168 x 110 cm + 33 x 22 cm photo courtesy Perrotin dé-finition/méthode : une toile ovale de 168 x 110 cm est placée à 50 cm devant le mur. la toile est laissée non peinte. elle est reliée dans sa partie supérieure au mur par une fine tige métallique. elle est également fixée au sol. une seconde toile ovale, 33 x 22 cm, est accrochée à sa gauche sur le mur à 60 cm du sol, peinte de la même couleur que le mur. la grande toile est présentée de face lorsque l’artiste est vivant et retournée contre le mur à sa disparition.

Claude Rutault, dé-finition/méthode, Autoportrait en pied, 2011, peinture sur toile, 168 x 110 cm + 33 x 22 cm. Photo Courtesy Perrotin
dé-finition/méthode : une toile ovale de 168 x 110 cm est placée à 50 cm devant le mur. la toile est laissée non peinte. elle est reliée dans sa partie supérieure au mur par une fine tige métallique. elle est également fixée au sol. une seconde toile ovale, 33 x 22 cm, est accrochée à sa gauche sur le mur à 60 cm du sol, peinte de la même couleur que le mur. la grande toile est présentée de face lorsque l’artiste est vivant et retournée contre le mur à sa disparition.

L’art de Claude Rutault se définit essentiellement comme « ouvert, non achevé, participatif, contractuel et dépendant des conditions et de l’environnement dans lesquels il doit être actualisé ». Son objectif était de perturber les rapports traditionnels à la peinture : son approche est mécaniste et neutre, son esthétique épurée, déclinée en œuvres monochromes, se veut dépourvue d’une signature évidente pour le spectateur.. « Sa finesse d’esprit et son sens littéraire se doublaient d’une curiosité et d’une connaissance inépuisables de l’histoire de la peinture, depuis les portraits du Fayoum, en passant par Johannes Vermeer Nicolas Poussin et jusqu’aux avant-gardes russes du XXe siècle », rappelle Emmanuel Perrotin.

Dialogue avec Picasso

Promu au grade d’Officier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2013 et Chevalier de la Légion d’honneur en 2021, Claude Rutault est représenté dans de nombreuses collections publiques en France, telles que le Musée national d’Art moderne du Centre Pompidou, le MAMCS de Strasbourg, le LaM de Villeneuve-d’Ascq, le musée d’Art moderne de Paris ou encore de différents Fonds régionaux d’Art contemporain (FRAC). Il est également exposé de façon permanente au Stedelijk Museum voor Actuele Kunst (SMAK) de Gand et au Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève.

Claude RUTAULT dé-finition/méthode 375. “à l’adresse”, 1990 peinture sur toile dimensions variables selon l'actualisation Photo André Morin © Le Consortium, Dijon dé-finition/méthode: dans un lieu comprenant plusieurs salles, le plus grand mur accueille la matrice de l’œuvre. il est recouvert d’un maximum de toiles peintes de la même couleur que lui. à partir de cette réserve, sorte de pile étalée, des toiles sont prélevées pour être accrochées dans les autres espaces du lieu ou dans d’autres lieux, proches ou lointains. la matrice doit bénéficier d’une installation de longue durée à une adresse fixe. les toiles déplacées n’occuperont ailleurs, au mieux, qu’une salle ou peut-être même qu’un seul mur. quelle que soit la destination de ces prélèvements, leur exposition sera toujours conçue en fonction du lieu d’accueil, en dehors de strictes données formelles considérées aujourd’hui comme secondaires. le ou les murs d’accrochage des peintures déplacées seront peints d’une autre couleur que blanc, et les toiles réaccrochées seront peintes de la même couleur. sur le mur matrice, à la place de chaque toile prélevée, une petite toile, type “bon de déplacement” dans un musée, sera accrochée à la place laissée vide, peinte de la couleur de la toile exilée réaccrochée ailleurs. aucune toile ne peut retirée du mur matrice de “à l’adresse” de façon définitive. actualisation(s): 1992 : le consortium, dijon, france 1998 : centre pompidou, paris 1999 : centro andaluz de arte contemporaneo, séville, espagne 2012 : le consortium, dijon, france (permanent); 2020 : le consortium, dijon, france (permanent)

Claude Rutault, dé-finition/méthode 375. “à l’adresse”, 1990 peinture sur toile dimensions variables selon l’actualisation. Photo André Morin © Le Consortium, Dijon
dé-finition/méthode: dans un lieu comprenant plusieurs salles, le plus grand mur accueille la matrice de l’œuvre. il est recouvert d’un maximum de toiles peintes de la même couleur que lui. à partir de cette réserve, sorte de pile étalée, des toiles sont prélevées pour être accrochées dans les autres espaces du lieu ou dans d’autres lieux, proches ou lointains. la matrice doit bénéficier d’une installation de longue durée à une adresse fixe. les toiles déplacées n’occuperont ailleurs, au mieux, qu’une salle ou peut-être même qu’un seul mur. quelle que soit la destination de ces prélèvements, leur exposition sera toujours conçue en fonction du lieu d’accueil, en dehors de strictes données formelles considérées aujourd’hui comme secondaires. le ou les murs d’accrochage des peintures déplacées seront peints d’une autre couleur que blanc, et les toiles réaccrochées seront peintes de la même couleur. sur le mur matrice, à la place de chaque toile prélevée, une petite toile, type “bon de déplacement” dans un musée, sera accrochée à la place laissée vide, peinte de la couleur de la toile exilée réaccrochée ailleurs. aucune toile ne peut retirée du mur matrice de “à l’adresse” de façon définitive. actualisation(s): 1992 : le consortium, dijon, france 1998 : centre pompidou, paris 1999 : centro andaluz de arte contemporaneo, séville, espagne 2012 : le consortium, dijon, france (permanent); 2020 : le consortium, dijon, france (permanent)

Il a participé à deux éditions de documenta Kassel, en 1977 et 1982, et a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles, notamment au musée d’Art moderne de Paris en 1983 et au Musée national d’Art moderne au Centre Pompidou en 1992 et en 2015. En 2018-2019, le musée national Picasso-Paris faisait dialoguer ses œuvres avec celles de Pablo Picasso dans l’exposition « Picasso-Rutault : grand écart » qui confrontait une « vision traditionnelle de la peinture, celle d’une toile achevée, signée et datée, et le processus créatif de Claude Rutault qui établit un descriptif de l’œuvre, amenée à se renouveler ». L’artiste a également travaillé, de 2000 à 2007, au grand chantier de rénovation et de réaménagement de l’église de Saint-Prim (Isère). Il a, en outre, publié plusieurs ouvrages parmi lesquels Mes peintures ont la vie courte, mais elles ont plusieurs vies, en 1994 (Saint-Étienne, Les Presses du réel).
Pour Emmanuel Perrotin, Claude Rutault « n’a pas eu encore la place qu’il mérite dans l’histoire de l’art. Trop de gens méconnaissent son importance. Il est temps de lui accorder cela le plus vite possible. »

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