L’artiste français Claude Rutault s’est éteint à 80 ans le vendredi 27 mai 2022, des suites d’une maladie. Se définissant comme peintre, il avait consacré ses recherches plastiques à la question du rapport du mur au tableau tout en développant une pratique éminemment protocolaire fondée sur des règles, ou « définitions/méthodes », permettant aux marchands, collectionneurs ou musées d’actualiser (entendu comme action de faire passer de l’état virtuel au réel) ses œuvres. « Ceux qui l’ont connu regretteront sa malice, son intelligence, sa forte personnalité, sa générosité et sa liberté d’esprit, évidentes dans son travail », a déclaré Emmanuel Perrotin, son galeriste, sur les réseaux sociaux. En hommage à l’artiste la galerie présentera la de-finition/méthode « peinture – tombeau » dans l’exposition de groupe « Regarde-moi » qui ouvre le 9 juin 2022 à Perrotin Marais.
Les règles de l’art
Né le 25 octobre 1941 aux Trois-Moutiers à Vienne, Claude Rutault se fait connaître à partir des années 1970, s’inscrivant dans une génération d’artistes qui veulent soumettre la peinture, médium historiquement sacré, à des méthodes de production inhabituelles. C’est en 1973, alors qu’il repeint sa cuisine et recouvre accidentellement un tableau, qu’il a la révélation de la problématique fondamentale qui va animer sa peinture : l’exploration du rapport entre la toile et le mur (Michel Gautier et Marie-Hélène Treuil, Entretien écrit avec Claude Rutault, Flammarion, 2011). La même année, sa première « définition/méthode », intitulée « Toile à l’unité » et conçue comme une formule ou un ensemble de règles, permettant à un tiers de réaliser son œuvre. Elle prend la forme suivante (sans majuscule – une écriture propre à l’artiste) : « une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. sont utilisables tous les formats standards disponibles dans le commerce, qu’ils soient rectangulaires, carrés, ronds ou ovales. »
Le champ des possibles
Claude Rutault ne réalisait pas systématiquement ses toiles et ne supervisait pas non plus leur production. Charge alors au marchand, collectionneur ou conservateur de musée (les « preneurs en charge » comme le concevait l’artiste) de mettre en œuvre (en sens propre) ses recommandations. A priori strictes, presque mathématiques, celles-ci laissent pourtant la place à l’accidentel et à l’interprétation personnelle, tout en les encadrant. La couleur d’une œuvre, sa forme, sa disposition peuvent varier très sensiblement, en fonction des choix de la personne qui l’actualise. « Vous ne savez pas ce que deviendra mon oeuvre, déclarait Claude Rutault en 2014 à l’artiste Allan McCollum lors d’une conversation publiée dans le magazine Interview. Vous ne savez pas de quelle couleur elle sera peinte. Vous ne savez pas où elle sera affichée. Il y a une part d’espièglerie et de jeu, mais c’est aussi très sérieux d’une certaine manière ».
Aucune de ses œuvres n’est figée. Elles ont au contraire vocation à être modulées dans le temps et chaque prescription donnée par l’artiste ouvre un champ de possible. Comme l’explique la galerie Perrotin dans un communiqué diffusé à l’annonce du décès de l’artiste : « Poursuivant une logique de l’abandon de l’objet d’art fini, Claude Rutault donne à ses peintures la possibilité de poursuivre leur propre vie, et à ceux qui les prennent en charge une formidable puissance de liberté dans un partage et une discussion inépuisable autour de la création d’une oeuvre d’art ».
L’art de Claude Rutault se définit essentiellement comme « ouvert, non achevé, participatif, contractuel et dépendant des conditions et de l’environnement dans lesquels il doit être actualisé ». Son objectif était de perturber les rapports traditionnels à la peinture : son approche est mécaniste et neutre, son esthétique épurée, déclinée en œuvres monochromes, se veut dépourvue d’une signature évidente pour le spectateur.. « Sa finesse d’esprit et son sens littéraire se doublaient d’une curiosité et d’une connaissance inépuisables de l’histoire de la peinture, depuis les portraits du Fayoum, en passant par Johannes Vermeer Nicolas Poussin et jusqu’aux avant-gardes russes du XXe siècle », rappelle Emmanuel Perrotin.
Dialogue avec Picasso
Promu au grade d’Officier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2013 et Chevalier de la Légion d’honneur en 2021, Claude Rutault est représenté dans de nombreuses collections publiques en France, telles que le Musée national d’Art moderne du Centre Pompidou, le MAMCS de Strasbourg, le LaM de Villeneuve-d’Ascq, le musée d’Art moderne de Paris ou encore de différents Fonds régionaux d’Art contemporain (FRAC). Il est également exposé de façon permanente au Stedelijk Museum voor Actuele Kunst (SMAK) de Gand et au Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève.
Il a participé à deux éditions de documenta Kassel, en 1977 et 1982, et a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles, notamment au musée d’Art moderne de Paris en 1983 et au Musée national d’Art moderne au Centre Pompidou en 1992 et en 2015. En 2018-2019, le musée national Picasso-Paris faisait dialoguer ses œuvres avec celles de Pablo Picasso dans l’exposition « Picasso-Rutault : grand écart » qui confrontait une « vision traditionnelle de la peinture, celle d’une toile achevée, signée et datée, et le processus créatif de Claude Rutault qui établit un descriptif de l’œuvre, amenée à se renouveler ». L’artiste a également travaillé, de 2000 à 2007, au grand chantier de rénovation et de réaménagement de l’église de Saint-Prim (Isère). Il a, en outre, publié plusieurs ouvrages parmi lesquels Mes peintures ont la vie courte, mais elles ont plusieurs vies, en 1994 (Saint-Étienne, Les Presses du réel).
Pour Emmanuel Perrotin, Claude Rutault « n’a pas eu encore la place qu’il mérite dans l’histoire de l’art. Trop de gens méconnaissent son importance. Il est temps de lui accorder cela le plus vite possible. »