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Le Match

Des festivals assis de moins de 5.000 personnes, aubaine ou idée absurde ?

Chaque jeudi, c'est Le Match. On confronte deux opinions autour d'une question… et à vous de forger votre propre point de vue // Aujourd'hui, le débat porte sur la jauge récemment établie à 5.000 spectateurs - assis - pour les festivals qui auront lieu cet été : mauvaise blague ou retrouvailles inespérées ?

La plaine de l'Ain investie en 2019 par le Printemps de Pérouges.
La plaine de l'Ain investie en 2019 par le Printemps de Pérouges. (DR/G. Perret)

Par Marion Simon-Rainaud

Publié le 25 févr. 2021 à 12:52Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

En raison de la crise sanitaire, les festivals de cet été devront se tenir en configuration assise, avec une limite de 5.000 spectateurs par scène a indiqué, il y a une semaine, le Syndicat des musiques actuelles (Sma) après une entrevue avec la ministre de la Culture. Roselyne Bachelot a ensuite confirmé la mesure sur l'antenne de BFMTV : « On ne peut pas descendre en dessous de 5.000 pour la viabilité financière de ces structures. »

Depuis, chez les organisateurs de festivals c'est le branle-bas de combat. Certains annulent leur événement avec fracas. Dans un communiqué, le Hellfest , aux quelque 180.000 festivaliers chaque année, a fait savoir que « ces critères rendent impossible l'organisation de l'évènement en 2021 ». Le créateur du festival de hard rock, Ben Bardaud, estime qu'il « est difficile d'imaginer 5.000 hard rockeurs assis sur une chaise à deux mètres de distance, en train de prendre du plaisir à écouter leurs artistes ». Résultat : ce seront des « festivals aseptisés et sans vie ».

D'autres, au contraire, ont décidé de s'adapter. Interrogé par l'AFP, Jérôme Tréhorel, directeur des Vieilles Charrues expliquait à chaud : « Je craignais beaucoup qu'il n'y ait pas d'annonce du tout ou que les festivals d'été soient interdits, a-t-il confié. Aux Vieilles Charrues, on s'adaptera. Ce ne sera pas un été silencieux à Carhaix [commune bretonne où se déroule le festival, NDLR], ce sera l'été des retrouvailles. »

Afin de mieux comprendre les enjeux qui se glissent derrière ces nouvelles restrictions, et au-delà de la simpliste division petits/gros festivals, nous avons donné la parole à deux organisateurs de festivals régionaux importants : Marie Rigaud, directrice du Printemps de Perouges, dont la dernière édition a accueilli plus de 45.000 spectateurs sur neuf jours, qui maintient l'évènement, et Rémi Perrier, à la double casquette de directeur de Musilac à Aix-les-Bains et de vice-président du comité festivals du syndicat PRODISS.

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POUR - Marie Rigaud, directrice du festival Printemps de Perouges, qui a décidé de maintenir sa 25e édition en juillet 2021

« Nous accueillions les nouvelles mesures avec enthousiasme, même si ce n'est pas la situation idéale. Malgré toutes les restrictions, cela nous permet au moins de se projeter après un an d'inactivité. Ca fait du bien de se remettre au travail, nous avons été trop frustrés en 2020.

Ces annonces ont d'abord répondu à notre attente première : que l'on nous parle et que l'on nous entende. Elles ont ensuite le mérite de fixer un cap et d'éclaircir un horizon qui jusqu'ici était totalement bouché.

Mais, ces restrictions pour l'édition 2021 ne sont pas une surprise. Pour être tout à fait sincère, nous les avions déjà un peu anticipées. Nous étions lucides sur le fait qu'on n'allait pas rouvrir complètement les vannes d'un coup.

L'avantage c'est que le métier de festivalier consiste à reconfigurer des espaces qui ne sont pas absolument pensés pour une scène de 10.000 spectateurs. On monte le dispositif de A à Z. Cette année, nous allons devoir aménager le site en suivant de nouvelles règles du jeu.

Comment va-t-on procéder ? Nous allons suivre les restrictions écrites noir sur blanc : positionner 5.000 personnes assises devant une scène. La plaine de l'Ain va être transformée, autant que faire se peut, en un lieu de spectacle intimiste. Il n'y aura par exemple plus de fosse. Ce sera une expérience nouvelle et rare. Et qui sait cela aura peut-être plus de charme ? En tout cas, je suis sûre que cela ravira les spectateurs.

Tout peut encore évoluer et nous le savons. Comme tout le monde, nous vivons au jour le jour et nous ne sommes pas à l'abri d'un revirement potentiel.

Economiquement, ces mesures ne nous arrangent pas du tout. La diminution du nombre de places fait mécaniquement baisser nos recettes. De plus, il nous faut renégocier les contrats avec les producteurs car ce n'est pas la même chose pour un artiste de jouer devant 10.000 ou 5.000 personnes. Nous avons de la chance, pour l'instant, aucun artiste n'a décommandé. Tous, sans exception, Sting, Deep Purple, Pomme ou encore Les Têtes raides ont confirmé leur présence en juillet 2021.

Il reste toutefois des inconnues, qu'on ne maîtrise absolument pas, notamment l'ouverture ou non des frontières mais aussi sur les conditions d'accueil des publics : faudra-t-il des tests à l'entrée ? Tous ces paramètres sont encore à préciser. Les autorités devraient répondre à nos questions dans les semaines qui viennent. Nous sommes totalement sans filet.

On a la rage et la fureur d'enfin pouvoir faire quelque chose. Même si ce n'est pas simple, nous avons la volonté d'aller au bout. Il va falloir avancer avec flexibilité. A chaque pas en avant, il est possible de faire un pas en arrière.

Personnellement je crois que les planètes sont en train de se réaligner. Je suis sûre qu'il va se passer de belles choses. Le public est dans les starting-blocks. J'ai l'impression qu'on a envie de voir des lives à n'importe quelle condition (masqué, testé, assis, avec gestes barrières, etc.) même en plein air. Ca va être tellement bien de voir deux heures de musique sur une scène, on va en pleurer de joie - quoi qu'il arrive, quoi qu'il en coûte. »

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CONTRE - Rémi Perrier, directeur du festival Musilac à Aix-les-bains, et vice-président du comité festivals du syndicat Prodiss

« Personnellement, je sais pourquoi je ne le ferai pas. Aujourd'hui et depuis trente ans, l'ADN de mon festival, c'est jouer debout. Ce n'est pas un caprice, c'est notre identité : 30.000 personnes de pied par concert.

Economiquement, techniquement, artistiquement, il est impossible de changer mon modèle actuel. Maintenant, pour ne rien vous cacher, je suis quand même en train de voir si je peux faire cette 'version dégradée' selon les propres mots de la ministre. On y travaille encore... Hélas, je crains connaître déjà la réponse.

D'un point de vue panoramique, plusieurs questions restent encore sans réponses. Le ministère a annoncé une enveloppe de 30 millions d'euros pour accompagner les festivals dans cette adaptation. Alors pour nous, Musilac, et pour les 14 autres gros festivals qu'ils avaient conviés aux discussions, mais aussi pour tous les autres festivals de théâtre, de cinéma, de musique lyrique ou de cracheurs de feu et que sais-je encore. Et là, j'ai envie de dire : le compte n'y est pas. Il va manquer des fonds, en particulier pour ceux qui programment des musiques actuelles qui rassemblent le plus de monde.

Ils veulent que l'on se réinvente mais pour ceux qui décideront de ne pas assurer le festival selon ces règles : quid de ces aides ? Lorsque j'ai posé la question, la ministre m'a donné une réponse plus qu'évasive.

Un autre point qui me fait réagir : imagine-t-on une seconde un Niska ou PNL faire un concert devant 5.000 personnes assises tranquillement ? Et que se passerait-il si les gens se levaient ? Comment devra-t-on gérer la situation ?

Enfin, à l'heure actuelle personne ne peut nous garantir que les bars et les restaurants auront le droit d'ouvrir… Or, 70 % des festivaliers ont entre 15 et 35 ans ne viennent pas que pour les concerts. Alors, dans ces conditions, comment vivre vraiment l'expérience festival ?

Néanmoins, je tiens à rappeler qu'il n'y a pas d'un côté les vilains petits festivals qui ne veulent pas se plier aux nouvelles règles, et de l'autre, ceux qui courbent l'échigne et acceptent parce qu'ils veulent et peuvent s'adapter. Chaque organisateur choisira en son âme et conscience, dans l'optique de faire au mieux.  »

Marion Simon-Rainaud

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