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Musique classique : quand des jeunes de quartiers défavorisés réussissent à se frayer un chemin

Le projet Démos vise à ouvrir l'accès à la musique classique à des jeunes de quartiers défavorisés. A l'occasion de son dixième anniversaire, trois jeunes de 18 ans racontent leurs parcours au sein du programme.

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Par Ariane Blanchet

Publié le 15 janv. 2021 à 18:00Mis à jour le 15 janv. 2021 à 18:27

On est en 2010. Hana, élève de CE2 à Asnières-sur-Seine, n'a jamais écouté de musique classique. Mais une annonce sur l'ouverture d'un atelier musical, affichée au centre socio-culturel de la ville, attire l'attention de sa mère. A moins de vingt euros l'année pour deux cours hebdomadaires, cela vaut le coup de tenter.

Au premier cours, la petite fille se sent déstabilisée. « Ce n'était que du solfège, je ne comprenais pas ce qu'il se passait ». Rapidement, elle se voit confier un violon rien qu'à elle, pour trois ans, et des cours collectifs commencent : Hana joue ses premières notes de musique au même tempo qu'une quinzaine d'autres enfants. Parmi eux, Amel, qui comme Hana n'a plus quitté la pratique du violon depuis. « On pensait que l'expérience ne durerait qu'un an, on était loin d'imaginer en arriver là un jour », raconte Amel.

Il faut dire que l'aventure est inédite : chaque mois, les apprentis violonistes et violoncellistes quittent le centre socio-culturel d'Asnières pour rejoindre les autres groupes d'enfants du territoire, spécialisés dans une famille d'instruments différente. Cette centaine d'enfants forme alors un véritable orchestre symphonique dirigé par un chef renommé. Et à la fin de chaque année, un grand concert a lieu dans la prestigieuse salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. « Les concerts auxquels on participait étaient toujours grandiose », se remémore Hana.

Mais que leur vaut cette chance inouïe ? Un projet piloté par la Philharmonie de Paris, du nom de Démos (Dispositif d'éducation musicale et orchestrale à vocation sociale). Financé par l'Etat, les collectivités locales et divers mécènes, Démos vise à ouvrir l'accès à la pratique musicale à des enfants de 7 à 12 ans habitant des quartiers défavorisés. Créé en 2010, le projet touchait en 2018 plus de 3.600 enfants répartis dans 35 orchestres présents sur l'ensemble du territoire. Et parmi ces enfants, plus de la moitié ont poursuivi la pratique de leur instrument après leur cycle de trois ans. Une réussite pour le projet, qui souhaite atteindre le nombre de 6.000 enfants bénéficiaires d'ici 2022.

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Une pédagogie gagnante

« Quand on touche à un sujet d'accès à un patrimoine, l'entrée par la porte de la sensibilité, de l'appropriation corporelle et intellectuelle, c'est un postulat de base, ça n'a jamais échoué », constate Gilles Delebarre, fondateur et responsable du projet. Il n'a jamais douté de la réussite de Démos, car ce dernier repose sur une approche pratique et collective de la musique.

Au programme, des oeuvres adaptées en « tutti », afin que chaque enfant joue autant, selon son niveau. Pour une première expérience de la pratique musicale, se sentir membre à part entière d'un orchestre à de quoi donner des ailes. « Quand on est débutant, entendre sonner l'orchestre avec soi, cela touche émotionnellement », estime Gilles Delebarre. Et les fausses notes font aussi moins peur.

D'après l' enquête sociologique sur les trajectoires des Enfants de Démos 1 (Dansilio, Fayette, 2019), le choix de l'âge des enfants bénéficiaires est aussi particulièrement judicieux. A la fin du primaire et à l'entrée au collège, ceux-ci commencent en effet à affirmer leurs propres pratiques d'auditeurs, mais aussi leur sociabilité. « Démos fait d'une certaine façon dialoguer découverte de la musique et découverte de nouvelles relations sociales », écrivent les deux sociologues qui ont mené l'enquête.

Cet aspect social a particulièrement marqué Mathéo, 18 ans, qui a également suivi le projet dans sa jeunesse. « Socialement, on est amené à sortir de sa bulle, à rencontrer d'autres jeunes. Pour moi, les week-ends de stage ont constitué des moments d'accomplissement, ils marquent mes premiers instants d'indépendance ». Amel ne retient que du positif de cet apprentissage en groupe. « Je me souviens d'une très bonne cohésion de groupe, que des voyages tout au long de l'année venaient renforcer. On était heureux de jouer les uns avec les autres. »

Une autre force du projet est de ne pas proposer uniquement un répertoire classique occidental. Hana se réjouit d'avoir pu interpréter des musiques palestiniennes ou encore colombiennes. « Un tel métissage correspond aux jeunes du projet Démos, qui ont pour beaucoup une double-culture, estime la jeune fille. Le message derrière est claire : ce métissage fait votre identité et aussi votre force. »

S'affranchir de l'élitisme de la musique classique

Hana, Amel et Mattéo estiment qu'ils n'auraient jamais touché à un instrument de musique s'il n'y avait pas eu le projet Démos. Et sur la question de la démocratisation de la musique classique, Hana avance que les mots ne suffisent pas. « Il ne suffit pas de dire 'vous êtes capables' pour que des jeunes comprennent qu'ils peuvent construire un projet musical. Il faut les valoriser, leur donner les clés en main. »

D'après les sociologues Dansilio et Fayette, le projet aura permis à la quasi-totalité des jeunes qu'ils ont interviewés de déconstruire en amont les préjugés culturels sur la musique classique, et à se prémunir des réflexes d'autocensure face à cet univers. Ce qui en a incité certains à poursuivre leur pratique musicale au sein d'un conservatoire, bien que celui-ci soit parfois éloigné de leurs milieux respectifs. « A Démos, on trouvait un mélange pas commun de talents, avec des jeunes de cités mal fréquentées. Au conservatoire, on ne retrouve pas du tout les mêmes catégories sociales », remarque Hana.

A force de fréquenter des salles prestigieuses et de jouer pour de grandes personnalités - qu'ils soient mécènes, ministre de la Culture, et même président comme le raconte Amel, quelques idées ambitieuses pointent le bout de leur nez. Mathéo, désormais en prépa hypokhâgne, compte bien travailler un jour dans le management culturel ou une grande institution comme la Philharmonie de Paris.

Ariane BLANCHET

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