La Galerie du HMS Calcutta par James Tissot : focus sur un chef-d’œuvre

La Galerie du HMS Calcutta par James Tissot : focus sur un chef-d’œuvre
James Tissot, La Galerie du H. M. S. Calcutta (Portsmouth), vers 1876, huile sur toile, 68,2 x 91,8 cm, Londres, Tate Britain © Tate, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / Tate Photography

Ami de Whistler, Degas et Manet, James Tissot montre une extraordinaire capacité à se saisir de ce que son époque a de plus novateur. Son œuvre, longtemps méjugée, invite à regarder au-delà des apparences. Elle révèle, sous le vernis d’une facture faussement classique et de sujets a priori superficiels, un art d’une subtile modernité.

Artiste dandy, Jacques-Joseph Tissot (1836-1902), qui se fait appeler « James » dès les années 1860, a ses entrées dans le beau monde. Il peint avec brio les membres qui le composent, offrant à cette société avide de paraître un miroir dans lequel s’admirer. Mais un œil averti a vite fait de déceler l’ambivalence de ces brillantes représentations, qu’il s’agisse de portraits de femmes élégantes ou de scènes de la vie mondaine. Après l’insurrection de la Commune, à laquelle il aurait participé, il quitte Paris pour Londres, où il rencontre un vif succès avec ses scènes du high life victorien.

Frous-frous mondains

Né à Nantes, grandi sur la côte atlantique, James Tissot gardera toute sa vie le goût des scènes de ports et de bateaux. Dans le cas du H. M. S. Calcutta, cette attirance se mêle à la fascination que ce fils de drapier a toujours éprouvée pour les étoffes, les rubans et, d’une manière générale, la mode féminine. Sa virtuosité pour rendre la brillance d’un taffetas, la légèreté d’une mousseline brodée, l’élégance d’un ruban n’a pas de limite.

James Tissot, La Galerie du H. M. S. Calcutta (Portsmouth), vers 1876, huile sur toile, 68,2 x 91,8 cm, Londres, Tate Britain © Tate, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / Tate Photography

James Tissot, La Galerie du H. M. S. Calcutta (Portsmouth), vers 1876, huile sur toile, 68,2 x 91,8 cm, Londres, Tate Britain © Tate, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / Tate Photography

Comme le dit un critique : « Notre travail industriel peut disparaître, il restera toujours l’oeuvre de monsieur Tissot pour témoigner aux archéologues du futur de ce que fut notre époque. » Son souci quasi obsessionnel du détail fait de lui un frère de Baudelaire en quête de modernité, « l’éphémère, le fugitif, le contingent ».
La perfection technique des tableaux de Tissot nous fascine, mais aussi l’incommunicabilité entre les êtres qu’il représente. C’est une peinture du silence, parfois jusqu’au malaise. Les personnages ne se parlent pas ou tournent le dos au spectateur pour le faire, des codes iconographiques que reprennent aujourd’hui les publicités de mode.

L’art d’émoustiller

Tissot peint-il ici l’ambiance d’un port ou met-il en scène des fashion victims ? Il émane de la saynète une atmosphère ambiguë dont il joue en virtuose. Quel lien réunit ces trois personnes ? Qui sont ces deux coquettes qu’un garçon de l’équipage semble courtiser ? Celle du premier plan, nonchalamment appuyée au bastingage, prête sa silhouette cambrée aux regards du spectateur. La pose est d’une indiscutable sensualité, renforcée par le jeu mutin de son éventail avec lequel elle cache son visage au regard amusé du marin.
Exposé en 1877 à la Grosvenor Gallery, le tableau attira l’attention des critiques émoustillés, qui signalaient à leurs lecteurs le rendu de la chair à travers la fine mousseline blanche. Le plus célèbre d’entre eux, l’écrivain Henry James, reconnaissant de bonne grâce que la « jeune femme tortille sa silhouette de la manière la plus gracieuse qui soit », estime pourtant que la vision de ses rubans jaunes est vulgaire et banale. Le jaune est une couleur souvent utilisée par Tissot et synonyme d’épanouissement, de gaîté et de triomphe féminin. Le titre du tableau lui-même reste un mystère, quoique des historiens aient pu suggérer qu’il fallait y voir un facétieux jeu de mot entre « Calcutta » et le français « Quel cul tu as »…

Résolument moderne

Les jeunes femmes de Tissot, qu’elles apparaissent dans des intérieurs modernes avec leurs belles robes, entourées de bibelots, dans une serre ou un jardin, peuvent sembler anecdotiques. De telles scènes sont en réalité très neuves par leur absence de sujet. Elles ne racontent pas d’histoire. Elles ne jouent pas sur la corde morale ou sentimentale, contrairement à celles de peintres de genre ou d’artistes académiques contemporains. « C’est un assemblage de belles couleurs, de belles formes, de belles matières. C’est de la peinture, et rien d’autre », explique Paul Perrin, co-commissaire de l’exposition « James Tissot, l’ambigu moderne » du musée d’Orsay, reportée en raison de la crise sanitaire.


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« James Tissot, l’ambigu moderne »
publié à l’occasion de l’exposition du musée d’Orsay qui devait ouvrir ses portes le 24 mars

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