Découvrez « Violetta », création de la 3ème scène de l’Opéra de Paris

Julie Deliquet rend hommage au monde hospitalier à travers un court-métrage aussi touchant que pudique, inspiré par le plus célèbre des opéras de Verdi. « Violetta » est la nouvelle création de la 3ème scène de l’Opéra de Paris, en ligne gratuitement depuis le 27 mai.

Julie Deliquet met en scène deux femmes confrontées à la maladie

Après plusieurs productions théâtrales très remarquées, dont « Fanny et Alexandre » à la Comédie Française et « Un conte de Noël » présenté au Festival d’Automne à Paris, la metteuse en scène Julie Deliquet – tout juste nommée à la tête du Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis – s’est tournée vers la réalisation et s’est immergée, pour l’occasion, dans le monde lyrique. Elle nous livre aujourd’hui un remarquable court-métrage mettant en scène les destins croisés de deux femmes confrontées à l’angoisse de la maladie : une célèbre héroïne d’opéra et une patiente entamant son processus de chimiothérapie. C’est ainsi que la caméra suit les pas de la soprano Aleksandra Kurzac, dans les coulisses de l’Opéra Bastille à l’occasion d’une production de « La Traviata » et ceux d’une jeune femme d’aujourd’hui, à la ressemblance troublante, entre les couloirs et les salles d’examens de l’Hôpital Gustave-Roussy à Villejuif. Chanteurs, comédiens, costumiers, maquilleurs et personnel hospitalier constituent l’univers de ce film dans lequel le réel se confond avec le théâtre.

 

Les couloirs de l’Opéra Bastille ont évoqué pour Julie Deliquet l’univers hospitalier

Laure Mézan : Comment est né ce projet qui marque vos premiers pas au cinéma comme à l’opéra ?

Julie Deliquet : N’étant pas réalisatrice je me suis retrouvée face à un nouvel outil, un nouveau mode d’écriture que j’ai choisi d’aborder comme un laboratoire. L’Opéra de Paris m’avait laissé une grande liberté quant au choix de l’espace scénique et du sujet. Etant, alors, occupée par la production de « Fanny et Alexandre » à la Comédie Française – une pièce conçue comme une mise en abyme de la troupe dans le cadre d’un théâtre à l’italienne – je souhaitais investir un lieu différent et Bastille me semblait ainsi plus inspirant que Garnier. Sa dimension, ses espaces conçus comme des ruches m’ont vivement impressionnée. D’autant que s’y donnait une production de « La Traviata » qui correspondait à mon désir, avec Eric Charon – le co-auteur de ce film – de travailler sur une grande œuvre populaire. Les couloirs labyrinthiques de Bastille m’ont aussitôt évoqué le monde de l’hôpital.

 

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Laure Mézan : Pourquoi cette volonté de semer le trouble entre le théâtre et la réalité ?

Julie Deliquet : Parce que je crois que c’est mon obsession en tant que créatrice. Le cinéma m’offrait l’opportunité d’exprimer, d’une autre façon, cette porosité entre le réel et la fiction, de l’enfermer même grâce à l’outil de la caméra. J’ai choisi, en outre, un hôpital que je connaissais bien pour y avoir déjà travaillé des improvisations autour de plusieurs projets scéniques. Je suis toujours guidée par cette idée que c’est au réel de nous amener à la fiction. J’ai ainsi choisi d’associer le corps médical à un personnage fictif, incarné par une comédienne et non une véritable malade. Le personnel hospitalier, qui s’est prêté à l’exercice, a perçu cette confusion entre le vrai et le faux. Mais tous étaient sous le couvert du jeu et faisaient semblant. Nous avons alors tourné dans l’esprit d’un documentaire, avec un matériel léger et des prises uniques.

Laure Mézan : Vous mettez en avant certains accessoires propres à la scène et à l’hôpital. Votre film s’attache particulièrement à l’un d’entre eux, auquel les chanteurs comme les malades atteint d’un cancer sont familiers : la perruque. Que symbolise-t-elle, pour vous ?

Julie Deliquet : Elle représente cette notion de métamorphose qu’on retrouve tant au théâtre qu’à l’hôpital et que je tenais à mettre en avant. D’autant que j’ai été impressionnée par les ateliers de perruques de Bastille qui travaillent avec de vrais cheveux, mèche par mèche et témoignent d’un art si raffiné. Ayant suivi des parcours de chimiothérapie, j’ai pu réaliser à quel point ces passages au salon de coiffure sont importants. La perte des cheveux peut obséder le malade plus encore que la peur de la douleur ou de la fatigue liée au traitement. La perruque permet, alors, de camoufler la maladie. Le salon de coiffure de l’hôpital est ainsi un lieu de transformation qui nous renvoie directement au monde du théâtre et de l’opéra où il s’agit justement de passer dans la peau d’un autre, de représenter une œuvre, de parler plus largement de notre monde. Je souhaitais, en outre, que le film reste très pudique. C’est pourquoi j’ai privilégié les faits plutôt que les sentiments. Mon envie était également de mettre en avant tous ces métiers de l’ombre, tous ceux qui sont aux côtés du patient comme de l’artiste. Ce sont, d’ailleurs, essentiellement des femmes. Poser une perruque à une chanteuse ou la maquiller, c’est aussi prendre soin d’elle, recueillir son trac, soulager ses angoisses telle une aide-soignante ou une coiffeuse à l’hôpital dont on sait à quel point l’accompagnement est essentiel dans le processus de guérison. Je voulais rendre hommage à ces femmes qui constituent des maillons si importants de la chaîne.

 

Julie Deliquet : « L’hôpital et le théâtre sont des lieux où la vie est mise en jeu »

Laure Mézan : Vous soulignez toute la délicatesse de ces femmes qui apparaissent d’autant plus touchantes qu’elles ont été, ces dernières semaines, au cœur de nos préoccupations. Nous avons découvert leur dévouement et les avons applaudies chaque soir à la fenêtre pendant plus de 2 mois. Votre film, qui a été réalisé avant la pandémie, prend ainsi une nouvelle résonance. Le percevez-vous, également, d’une autre façon ?

Julie Deliquet : J’ai toujours ressenti une profonde admiration pour l’hôpital comme pour l’école, pour ce qui est de l’ordre de la fonction publique. A travers la maladie de mes propres parents, j’ai pu me familiariser avec le processus de chimiothérapie, les services d’oncologie… des métiers auxquels je souhaitais rendre hommage, en les filmant sans artifice, à travers une caméra qui ne serait jamais intrusive. J’ai essayé d’être la plus discrète possible afin de ne pas perturber le fonctionnement du service. Toutes ces femmes, dont on perçoit la douceur, se sont montrées au naturel, ont réagi comme si elles étaient confrontées à une véritable patiente. L’hôpital et le théâtre sont des lieux où la vie est mise en jeu ! Si je suis habituée des planches, je me sens toute aussi proche de ce monde hospitalier ou des Ehpad que j’ai fréquentés avec mon collectif « In Vitro ». Nous avons beaucoup travaillé avec le corps soignant comme avec le corps soigné. Et si mon engagement a toujours été très fort vis-à-vis de ce milieu, il est clair qu’aujourd’hui, après ce que nous avons vécu, mon regard sur ce film est encore différent.

 

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Laure Mézan : Qu’en est-il du milieu de l’opéra dans lequel vous vous êtes également immergée ?

Julie Deliquet : C’est un monde dont j’étais peu familière, dans lequel j’hésitais même à m’aventurer malgré plusieurs sollicitations. Mais je me suis aperçue que ses codes ressemblaient beaucoup à ceux du théâtre que je connais par cœur. La musique nous a accompagné tout au long du processus de création et j’ai pu ainsi rentrer en communication avec cet art qui me tendait les bras depuis des années. Accepter de faire ce film m’est apparu comme la première étape d’un chemin qui devrait me conduire à la mise en scène d’opéra.

Laure Mézan : La 3ème scène est le seul des 3 espaces de l’Opéra de Paris à maintenir son activité puisque Bastille et Garnier sont toujours à l’arrêt. Le virtuel a pris ainsi une nouvelle dimension. Qu’est-ce que cela vous inspire, vous qui appartenez au monde du spectacle vivant ?

Julie Deliquet : Le virtuel n’est pas un outil naturel pour moi qui n’ai jamais été connectée aux réseaux sociaux. Cependant, nous avons tous pu constater à quel point les captations ont joué un rôle important pour pallier le manque d’offre culturel durant cette période de confinement. Cet élan, qui est parti d’une forme d’organisation artisanale, s’est développé grâce au formidable travail de certains réalisateurs et à la forte réactivité des plateformes de streaming. Mais tout cela a des limites, dans la mesure où notre art demeure profondément impacté tant que nous n’avons pas la possibilité de repasser au vivant. En outre, le numérique est un palliatif dont une certaine frange de la population est dépourvue, faute d’outils informatiques. Retourner sur les planches, renouer avec l’école, inventer une autre forme d’accès à la culture… retrouver le vivant tout en assurant notre sécurité : tels sont nos objectifs pour ces prochains mois. Et cela représente beaucoup de travail !

 

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Laure Mézan : Pendant ce confinement, vous avez pris la direction du Théâtre Gérard Philippe à Saint-Denis. Comment avez-vous vécu votre arrivée à la tête d’une institution à l’arrêt ?

Julie Deliquet : C’est une situation vertigineuse ! Je me suis retrouvée, en plein apprentissage de mes fonctions, à gérer une crise absolument inédite, à laquelle personne n’était préparé. J’ai choisi de favoriser l’humain, le cas par cas, de prendre soin de chacune des activités qui font la force d’un théâtre. Puis la peur m’est apparue, liée aux incertitudes de l’avenir, à notre impossibilité à nous projeter et à mesurer les conséquences de cette onde de choc. Combien de saisons seront impactées ? Devrais-je sacrifier tout mon premier mandat ? Il me fallait trouver des réponses face aux interrogations des acteurs, actrices et metteurs en scène sans oublier les inquiétudes territoriales dans la mesure où le confinement a creusé les inégalités dans la population. Quel est le rôle d’un espace culturel public face à une telle situation ? A peine arrivée, je me trouvais confrontée à tant d’injonctions ! Quand l’activité artistique reprendra, il nous faudra gérer ce nouveau souffle né de ces inquiétudes. J’espère, cependant, qu’on saura retrouver un peu de cette insouciance et de cette légèreté qui nous manquent tellement en ce moment.

Laure Mézan : Comment allez-vous gérer la réouverture de votre théâtre ?

Julie Deliquet : Nous avons envisagé la possibilité de lancer, début juin, une activité théâtre mesurée, en reprenant certaines répétitions, dans le respect des gestes barrières, et en initiant quelques projets. Nous pouvons compter sur le soutien de nos partenaires et de l’éducation nationale pour accompagner cette reprise de vie et combler le manque social que ces mois de confinement ont suscité. Le numérique sera ainsi privilégié et le théâtre s’ouvrira de nouveau au public pour accueillir des ateliers destinés à ces nombreux enfants et adolescents privés de vacances. Il nous faudra donc faire appel, pour animer ces ateliers, à des artistes dont on sait à quel ils sont actuellement fébriles et inquiets. Il ne s’agit pas de leur proposer du bénévolat. A côté de cela, nous préparons la rentrée, prévue pour début septembre, dans des conditions qui seront, sans doute, particulières, pour des jauges réduites. Il convient donc de s’organiser également sur le plan financier. Nous n’avons que peu de temps devant nous, mais nous tenterons tout ce qu’il est possible de faire.

 

 

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