Archéologie : oubliée depuis plus d’un siècle, une dalle gravée pourrait être une des premières cartes géographiques d’Europe

Archéologie : oubliée depuis plus d’un siècle, une dalle gravée pourrait être une des premières cartes géographiques d’Europe
La dalle de Saint-Bélec a récemment été redécouverte par les archéologues, qui pensent avoir trouvé la plus ancienne carte gravée d'Europe © Daniel Gliksman

Oubliée pendant près d'un siècle dans les réserves du musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, la dalle de Saint-Bélec a récemment été étudiée en détail par plusieurs archéologues français et britanniques. Il pourrait s'agir de la plus ancienne représentation cartographique européenne.

Les Bretons étaient-ils les premiers cartographes d’Europe ? C’est en tout cas la conclusion à laquelle semblent arriver les chercheurs de l’Inrap, de l’université de Bournemouth, du CNRS et de l’université de Bretagne Occidentale (UBO) qui ont récemment analysé la dalle de Saint-Bélec, un bloc de pierre gravé datant de l’âge du Bronze ancien (2200-1600 av. J.-C.), dans une étude publiée le 31 mars dernier dans le Bulletin de la Société préhistorique française. Découverte en 1900 dans un tumulus près de Leuhan dans le Finistère, elle n’avait jamais été examinée et attendait son heure au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Les différentes études menées depuis 2017 sur cette stèle semblent indiquer qu’elle avait une fonction politique précise car elle représente une portion bien identifiable de la Bretagne, centrée sur une grande enceinte. Cela concorde avec les hypothèses des archéologues quant à l’organisation de la société armoricaine de l’époque. Il s’agirait donc de la première carte en relief connue en Europe.

La redécouverte de la dalle de Saint-Bélec

Découverte en 1900 par le préhistorien français Paul du Châtellier dans le tumulus de Saint-Bélec, cette stèle de schiste de 2,20 m de longueur et 1,53 m de largeur, constitue l’une des parois d’un coffre funéraire situé sous un tumulus. Malgré son poids de plusieurs tonnes, le chercheur la fait déplacer jusqu’à sa maison du Finistère, où il regroupe la plupart de ses découvertes archéologiques. En 1924, plus de 10 ans après la mort du scientifique, ses collections sont transférées au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. La dalle, elle, est stockée dans les caves et personne ne l’étudie durant des décennies. Ses reliefs, qui forment un ensemble dense de lignes, de cercles et de trapèzes disposés de façon régulière, ont pourtant de quoi intriguer. Redécouverte en 2014, elle fait finalement l’objet d’une campagne de recherche approfondie à grand renfort d’analyses topographiques et photogrammétriques qui permettent d’étudier ses gravures, leurs différentes techniques de réalisations et les différentes étapes création de la dalle. Les nombreux relevés effectués ont permis aux archéologues de préciser la signification de cette roche gravée et de démontrer qu’il s’agit bien là d’une carte de géographie. L’objet montre d’ailleurs des similitudes frappantes, du point de vue de ses motifs et de leur agencement, avec d’autres cartes gravées créées durant l’âge du Bronze.

Les archéologues ont montré que les reliefs représentaient la géographie locale © Denis Gliksman

Les archéologues ont montré que les reliefs représentaient la géographie locale © Denis Gliksman

Cartographie préhistorique et enjeux politiques

Les préhistoriens ont pu établir une correspondance entre les différentes lignes gravées (qui représentent généralement des chemins ou des cours d’eau) et les fleuves et rivières de cette région du Finistère. La ligne droite partant de la gauche représenterait l’Odet, les deux autres, partant de la droite, symboliseraient le Stêr Laër et l’Isole. Les reliefs environnants, notamment les Montagnes Noires, semblent également reproduits sur la carte. La carte semble, en outre, s’organiser autour d’une forme arrondie centrale que les archéologues identifient comme l’enceinte de Castel-Ruffel, ou l’actuel bourg de Roudouallec, et qui constituerait le centre du pouvoir d’une entité politique locale. Selon les chercheurs, cette carte a pu être commandée par un prince armoricain de l’âge du Bronze pour matérialiser sa zone d’influence. Citant la géographe Emmanuela Casti, l’étude explique qu’« il est bien connu que la cartographie reflète toujours l’intention d’un pouvoir politique de prendre le contrôle d’un territoire ».

À l’âge du Bronze ancien, la région est en effet organisée en plusieurs petites principautés qui fondent leur économie sur l’exploitation de terres agricoles et sur une forte hiérarchisation sociale. Leurs différentes zones d’influences se situent autour des nombreux tumulus princiers, au riche matériel funéraire, mis au jour par les archéologues. La dalle de Saint-Bélec faisait partie d’un coffre funéraire dans l’un de ces tumulus, et a, par ailleurs, été cassée, volontairement ou non. Son réemploi comme pierre de construction pourrait signifier, selon les archéologues, qu’elle avait perdu son utilité première, et donc que la zone de contrôle n’existait plus. On peut même imaginer qu’il s’agit là d’un geste iconoclaste résultant d’une révolte envers l’autorité principale, d’une conquête ou d’un effondrement de cette société.

La forme circulaire au centre de la dalle pourrait représenter le centre d'une principauté armoricaine de l'âge du Bronze © Denis Gliksman

La forme circulaire au centre de la dalle pourrait représenter le centre d’une principauté armoricaine de l’âge du Bronze © Denis Gliksman

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