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Velázquez, peintre virtuose du réel : quels artistes ont influencé son art ?

Velázquez, peintre virtuose du réel : quels artistes ont influencé son art ?
Diego Velázquez, Les Ménines (détail), 1656-1657, huile sur toile, musée du Prado

Les peintures de la réalité quotidienne exécutées par Velázquez, aux ambiances sombres peuplées de figures humbles, longtemps considérées comme héritières du caravagisme, le sont tout autant de la tradition vénéto-flamande et de l’art naturaliste des bodegones.

Diego Velázquez entra dans l’atelier de Francisco Pacheco à Séville en 1611, à l’âge de onze ans. Au terme de son apprentissage, qui dura cinq années, le jeune homme fut agréé par la corporation des peintres et épousa la fille de son maître. Conscient du talent exceptionnel de son gendre et disciple, celui-ci fit tout son possible pour aider à l’avancement de sa carrière. Pacheco était une personnalité éminente de la ville. Son atelier n’avait rien de la « boutique » d’un artisan, c’était le siège d’une académie littéraire et le lieu de rencontre de l’élite intellectuelle sévillane. Le maître était aussi veedor de l’Inquisition, chargé de contrôler la conformité des images destinées aux lieux de culte, et théoricien.

Velázquez, un virtuose du bodegón

Il consigna, dans son ouvrage L’Art de la peinture, ses conceptions inspirées de l’art italien et des théories maniéristes, exposant un idéal d’art noble et élevé et une hiérarchie des genres ; le plus bas consistant en la représentation d’objets inanimés, ce que nous appelons « nature morte » et que les Espagnols désignent du nom de bodegón.

Mais ce terme est plus ambivalent car il englobe à la fois les représentations d’objets et les scènes avec des personnages d’humble condition occupés à boire, manger, cuisiner, voire jouer de la musique. « Les bodegones sont-ils dignes d’estime ? », interroge notre peintre théoricien. Et de répondre, contre toute attente, et malgré ses idéaux académiques : « Bien sûr, quand ils sont peints par mon gendre qui atteint des sommets inédits, ils méritent alors la plus grande estime. » Rendons grâce à sa clairvoyance. Car le jeune peintre était parvenu, dans la peinture des objets et des personnages de la vie quotidienne, à un degré de virtuosité, d’intensité, de vérité alors inédit en Espagne.

Un naturalisme espagnol ?

On invoque habituellement le nom de Caravage, l’influence de son art dans la Péninsule pour expliquer le naturalisme de Velázquez à Séville, son choix de sujets tirés de la réalité quotidienne la plus humble, avec de forts contrastes d’ombre et de lumière. En dehors du fait qu’on ne sait pas ce qui, du courant caravagesque, était alors parvenu dans la cité andalouse, Guillaume Kientz, commissaire de l’exposition Velázquez au Grand Palais en 2015, défend quant à lui une autre thèse, à savoir l’existence d’un naturalisme espagnol, en parallèle du développement de la littérature picaresque née au siècle précédent et contemporain des courants réalistes qui se manifestent ailleurs en Europe, notamment dans les Flandres.
Et certes, l’on peut invoquer certains antécédents espagnols comme les natures mortes austères de Sánchez Cotán. Pacheco nous dit que son élève dessinait d’après le modèle vivant, pratique peu courante à l’époque, et l’on sait quelles importantes conséquences cette pratique eut chez les Carrache, à Bologne dans les années 1580, quel rôle elle joua dans leur conquête du « naturel ». Par ailleurs, la polychromie des statues incombant aux peintres dans les ateliers de Séville, Velázquez fut confronté au travail du sculpteur sur bois, à cet art de faire saillir les reliefs et, sans doute, cela contribua à aiguiser son sentiment de la forme, la volumétrie appuyée des objets dans l’espace, l’âpreté de leur matière, leur existence concrète dans le tableau.

Diego Velázquez,La Mulata, 1617-1618, huile sur toile, 55,9 x 104,2 cm, Chicago, The Art Institute of Chicago

Diego Velázquez, La Mulata, 1617-1618, huile sur toile, 55,9 x 104,2 cm, Chicago, The Art Institute of Chicago

L’influence des scènes de genre flamandes

Ce sont des modèles flamands qui sont à l’origine de certains bodegones du jeune Sévillan, relevant d’une tradition née au XVIe siècle en Flandre avec Pieter Aertsen et son neveu Joachim Beuckeler, qui se spécialisèrent dans les scènes de genre avec des victuailles étalées au premier plan et une scène biblique glissée dans le fond venant moraliser cette peinture de la vie quotidienne. Dans Le Christ chez Marthe et Marie et Le Repas à Emmaüs, Velázquez reprend ce système de scènes « à coulisses », en accentuant l’ambiguïté de l’épisode qui se déroule à l’arrière-plan, dont on ne sait s’il est une image accrochée au mur, un reflet dans un miroir, ou s’il est vu derrière une fenêtre.
Et, à l’avenir, il approfondira ce type d’inversion consistant à mettre l’essentiel, le vrai sujet, hors scène (Les Fileuses) et même hors champ (Les Ménines). La Mulata est une version profane du Repas à Emmaüs : ce n’est plus un bodegón « a lo divino », car la scène sacrée du fond a disparu, mais une simple scène de cuisine. De même, la Scène de taverne du musée de l’Ermitage se décline en plusieurs versions, et ceci pose la question d’un éventuel premier atelier, ouvert par Velázquez à Séville entre son admission à la maîtrise en 1617 et son installation à Madrid en 1623.

Diego Velázquez, Saint Pierre pénitent, vers 1623, huile sur toile, 132 x 98,5 cm, Madrid, Fondo Cultural Villar Mir.

Diego Velázquez, Saint Pierre pénitent, vers 1623, huile sur toile, 132 x 98,5 cm, Madrid, Fondo Cultural Villar Mir.

Le modèle italien

Un premier séjour dans la capitale, l’année précédente, lui avait permis de découvrir des exemples majeurs de ce qui était alors, en peinture, la tendance la plus novatrice, la plus moderne : le caravagisme. À Madrid, auprès de certains grands amateurs de peinture. Mais aussi, très probablement, à Tolède, ancienne capitale du royaume où, à côté des productions du Greco, disparu en 1614, l’on pouvait admirer de nombreuses œuvres caravagesques dues aux pinceaux de Pedro Orrente, Juan Bautista Maíno et Luis Tristán, tous trois formés à Rome dans les premières années du siècle. Le Saint Pierre pénitent de la collection Villar Mir, à Madrid (voir p. 20), reprend un motif – les mains croisées autour des genoux – découvert dans les œuvres de Maíno et de Tristán, qui l’avaient eux-mêmes emprunté au premier Saint Matthieu et l’ange de Caravage pour l’église Saint-Louis-des-Français à Rome.

 

Velázquez put aussi étudier les toiles de Carlo Saraceni, caravagesques de la première heure, peintes pour la sacristie de la cathédrale de Tolède en 1613 ; ainsi que le beau Saint Jean Baptiste au désert de Bartolomeo Cavarozzi, qui passa longtemps pour un authentique Caravage. Par ailleurs, le peintre sévillan eut forcément connaissance des œuvres de son compatriote José de Ribera, originaire de Valence mais parti vers 1610 en Italie. À Rome, Ribera était devenu l’un des émules les plus inspirés du maître lombard. Ses Apostolados, suite d’effigies d’apôtres d’un âpre réalisme, sont la source évidente des saints en buste que Velázquez peignit à son tour, comme le Saint Paul et le Saint Thomas, où la lumière intense qui creuse les rides et les plis semble exprimer la pensée même, l’esprit des personnages.

 

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