Publicité

Notre vie sous abonnement, une économie en plein essor

ENQUÊTE // Téléphone, sport, transport, ciné, musique, panier de fruits et légumes, ordinateur…  De plus en plus, notre consommation se paye sous abonnement. Qu’est-ce que cette tendance dit sur nous, et qu’est-ce que cela change pour les entreprises et notre économie ?

11160_1519382301_netflix.jpg
Grande conso, transport, mais aussi musique avec les plateformes de streaming musical, de films, de jeux vidéos… L’offre d’abonnement n’a cessé de s’élargir pour devenir multisectorielle. Et tout le monde s'y met : de la startup au grand groupe. (Elise Amendola/AP/SIPA)

Par Julia Lemarchand

Publié le 23 févr. 2018 à 11:54

Un hypermarché aux prix imbattables accessible uniquement à ses membres pour une adhésion annuelle de 36 euros ? Le pari de l’Américain Costco, 2ème distributeur mondial, a soulevé pas mal de scepticisme en France lorsque l’été dernier s’est ouvert à Villebon-sur-Yvette, au sud de Paris, son premier “club-entrepôt” français. Aujourd’hui le retailer revendique déjà 100.000 membres, bien au-delà des objectifs affichés.

100.000, c’est aussi la barre des abonnés atteinte par la SNCF pour son tout premier abonnement illimité TGVMax, lancé il y a un an, et destiné aux 16-27 ans contre un abonnement mensuel de 79 euros. Grande conso, transport, mais aussi musique avec les plateformes de streaming musical (Deezer, Spotify…), de films (Netflix), de jeux vidéos (Blacknut)…

L’offre d’abonnement n’a cessé de s’élargir pour devenir multisectorielle. Ainsi, 95% des Français consomme désormais par abonnement, soit 10 points de plus que de la moyenne européenne, et avec en moyenne 5,4 abonnements souscrits par personne, selon une étude datant de 2016. 

Publicité

Boom de la consommation immatérielle

Certes, la tendance n’est pas nouvelle, les formules d’abonnement existent depuis longtemps dans les médias et la téléphonie par exemple, mais elles ont pris depuis plusieurs années une autre dimension avec le “développement de la consommation immatérielle et la recherche de services plus personnalisés”, relève Denis Dauchy, professeur de stratégie d’entreprise et directeur de l’Executive MBA de l’Edhec.

Pour ce docteur en sciences de gestion, il y a conjonction entre l'essor du digital, qui bouleverse la stratégie des entreprises, et l’évolution des modes de consommation, notamment chez les jeunes. Ces derniers affirment de nouveaux besoins liés à leur mode de vie, plus mobile, moins linéaire que les précédentes générations.

“Ils changent plus souvent de job, d’appartement, de ville, de pays…Les solutions en abonnement peuvent neutraliser les contraintes que fait peser cette instabilité, subie ou choisie. En outre, il y a quelque chose de sécurisant et de pratique dans la formule par abonnement, car en tant que souscripteur, j’ai la garantie d’avoir accès rapidement à ce dont j’ai besoin, mais que je ne peux pas ou ne veux pas m’acheter”, explique le professeur.

Même les industries traditionnelles, comme l’automobile, l’ont compris. Ainsi Volvo a choisi un mode de distribution purement digital et via un système abonnement de deux ou trois ans pour les hybrides de sa nouvelle marque Polestar, attendus pour 2019. Abonnement qui comprendra également assurance, dépannage, entretien, garantie… En somme, la valeur d’usage a surpassé celle de la propriété. Ou comment se simplifier la vie, en se dégageant de l’argent et/ou du temps pour des choses qui comptent vraiment.

Emmanuel Freund, cofondateur de Blade, une startup qui a lancé il y a un an le PC par abonnement, pousse la philosophie un cran plus loin : “les consommateurs ne recherchent plus seulement un produit ou un service qui les aide dans leur quotidien, mais qui les rende aussi plus heureux”. Pour 30 euros par mois, la startup propose Shadow le premier ordinateur dématérialisé, accessible via une appli ou, si vous êtes à la maison, un boitier sur lequel brancher écran, clavier, casque... Mais tout ce qui constitue la puissance de l’ordinateur (disque dur, processeur, carte mère, carte mémoire…) est dans le cloud.

“Plus besoin de jeter son ordi tous les 2 à 3 ans et dépenser entre 600 et 1.500 euros pour un nouveau. L’abonnement permet d’avoir toujours un ordi hyper léger et puissant”, vante le startuppeur, pour qui le choix de cette formule “pousse l'entreprise à l’excellence : c’est la contrepartie logique de l’engagement des abonnés”. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la startup a ciblé en premier lieu les “gamers”, des utilisateurs prescripteurs mais aussi particulièrement exigeants.

Un business model résilient

La formule plaît en tout cas aux investisseurs, la récurrence des revenus rassure. Blade a levé 60 millions d’euros en deux ans, et compte déjà plus de 90 employés dans 3 bureaux, dont un à Palo Alto. Reste donc à changer d’échelle pour rendre le modèle rentable. Objectif : “remplacer les 270 millions d’ordinateurs personnels dans le monde”, vise Emmanuel Freund.

D’autres ont montré la voie comme Netflix, qui compte désormais près de 120 millions d'abonnés payants dans le monde (soit +400% depuis 2011). De son côté, Amazon a enregistré l’an dernier des résultats record grâce notamment à l’envol de son offre Prime. Ses dizaines de millions d’abonnés à ce service (49 euros par an) ont dépensé pour 5 milliards en 2017 sur la plateforme. Des clients fidélisés qui dépensent plus, voilà le rêve de toutes entreprises.

Publicité

Outre la fidélisation, David Dubois, professeur associé de marketing à l’INSEAD, estime que l’abonnement présente un “avantage compétitif indéniable car il créé des points de contact réguliers avec les consommateurs. C’est le cercle vertueux de la donnée : plus vous connaissez vos clients, plus vous êtes capable de leur offrir des produits ou services personnalisés”. Et l’expert de prendre l’exemple de Nike qui a pris une sérieuse avance sur son concurrent Adidas à la fin des années 2000 grâce à sa plateforme Nike+, dédié au sport et à la santé, qui a permis d’offrir une expérience privilégiée et aussi communautaire à ses membres. 

C’est un changement total de paradigme : la révolution industrielle a conduit les entreprises à se concentrer sur le produit, tandis que le digital et les changements culturels les obligent à penser en termes d’expérience clients. Un bouleversement qui est certainement plus facile à manoeuvrer pour les startups et les acteurs de l'internet que pour les entreprises traditionnelles.

Mais celles qui osent ont tout à y gagner, assure Denis Dauchy. “Dans un environnement de plus en plus volatile, l’abonnement apparaît comme un business model beaucoup plus résilient, grâce à des prévisions d’activités plus faciles. En revanche, cela bouscule beaucoup les habitudes d’organisation interne. En termes de conduite du changement, ça pose de vrais défis sur différents plans : pricing, paiement, suivi, relations clients…”, précise le chercheur.

Cet intérêt croissant pour les formules d’adhésion s’est développé sur le modèle des entreprises BtoB. Certaines pratiquent l'abonnement depuis de longues années comme les vendeurs de logiciels qui font du SaaS (software as a service) ; Xerox qui facture ses photocopieurs à la page ; ou plus récemment Michelin qui ne vend plus ses pneus, mais les facture au kilomètre avec services d’entretien et remplacements inclus.

Même le conseil aux entreprises s'y met à l'instar du cabinet Kestio. Ce spécialiste de la performance commerciale et de la fidélisation clients, propose désormais une formule sous abonnement destinée aux startups et PME, qui comprend un nombre de sessions de coaching par mois. 

Une nouvelle économie de la fonctionnalité

Cette nouvelle économie de la fonctionnalité a permis également à une nouvelle typologie d’acteurs de percer, comme le français SlimPay, ou les Américains Zuora ou Stripe, valorisé à plus de 9 milliards d’euros (ce qui en fait la plus grosse fintech du continent américain). Toutes sont spécialisées dans des logiciels et les moyens de paiement permettant aux entreprises de facturer à leurs clients des services par abonnement.

Alors jusqu’où ira l’économie de la récurrence ? Les observateurs interrogés pensent que ce n’est que le début. Une prochaine étape pourrait être celle de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC). C’est en tout cas le pari pris par l’ADEME (agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) dans une récente étude prospective. En plus d’être rentable, cette économie se révèlerait aussi plus vertueuse pour notre planète. Ou comment sortir de la logique productiviste pour se recentrer sur une logique servicielle, dans laquelle la création de valeur se mesurerait à partir de performances environnementales et sociales. Un capitalisme réformé en somme. 

Julia Lemarchand

Publicité