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Chronique

Macron ou le recul libéral

Les élus d'En Marche au Parlement européen ont contraint le groupe centriste ADLE à changer de nom, abandonnant au passage l'adjectif « libéral ». Un épisode signifiant pour un parti dont le fondateur ne cesse de s'éloigner du libéralisme pour lui préférer - hélas - le dirigisme.

Emmanuel Macron, au sommet de l'Union européenne à Bruxelles le 28 mai 2019.
Emmanuel Macron, au sommet de l'Union européenne à Bruxelles le 28 mai 2019. (Geert Vanden Wijngaert/Bloomberg)

Par Gaspard Koenig (philosophe)

Publié le 19 juin 2019 à 07:25

La première action du parti macroniste au Parlement européen a été d'éliminer le mot « libéral ». Les élus d'En Marche ont en effet contraint le groupe centriste à abandonner son nom historique d'ADLE , Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe.

Je conviens que l'acronyme n'était guère euphonique. Il n'en reste pas moins que l'origine de ce groupe remonte à 1953, avec la création du Groupe des libéraux et apparentés dans ce qui s'appelait alors « l'Assemblée commune ». Depuis, son nom a varié, mais sans jamais perdre la référence libérale, essentielle pour un mouvement qui s'est tant battu en faveur du marché unique. Il aura fallu tout le bruit et la fureur d'En Marche pour faire table rase de ce prestigieux passé en faveur d'une expression encore toute trempée de la sueur des communicants : « Renew Europe ».

Compétition de platitudes

Renew Europe s'inscrit dans la tendance du Movimento Cinque Stelle, de Change UK, de Génération. s ou de Podemos, des noms de parti qui ne veulent rien dire, mais qui ne choquent personne et qui sonnent bien. Dans cette compétition de platitudes dignes de marques de cosmétique, j'attends encore Fresh, Da ! ou Perché no ? Ainsi le citoyen ayant quelques convictions politiques ne gênera pas le vote de ceux qui se promènent d'un parti à l'autre.

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Cette infantilisation de l'électeur me fait penser aux menus des crêperies, où la jambon-fromage-oeuf s'appelle « Rêve d'amour » et la beurre-sucre, « Caprice estival ». Je me trouve toujours embarrassé au moment de passer la commande. Entre adultes, ne pouvons-nous pas nommer les choses telles qu'elles sont ? « Une jambon-fromage-oeuf », marmonnai-je. « Quoi ? » me répond-on avec une pointe d'agacement. Je réitère mon insolence en m'empourprant. « Ah, une Rêve d'amour ! Bah, fallait le dire ! » De même, l'électeur demandant timidement un programme libéral se verra renvoyé vers Renew. Libéral ? Chut, parlez moins fort…

« Renew » risque de devenir « Regret »

Mais Renew et ses congénères asignifiants, en cherchant à paraître modernes, se trompent d'époque. Ils restent arrimés au consensus des années 1990 sur la fin de l'histoire, considérant l'électeur comme un consommateur versatile à séduire sans vergogne. Or la bataille des idées fait rage plus que jamais. Les populistes l'ont bien compris, en proposant de véritables corpus doctrinaux pour former leurs fidèles, comme Steve Bannon avec son Académie judéo-chrétienne, Marion Maréchal-Le Pen avec son Issep, qui ne se soucie guère d'inventivité linguistique (Institut de sciences sociales, économiques et politiques !) ou, à l'autre bout du spectre, l'Ecole de formation insoumise. Jamais l'histoire profonde des idées politiques, reflétée dans les étiquettes partisanes, n'a eu autant d'importance : Victor Orban n'hésite d'ailleurs pas à théoriser son « illibéralisme ». Dans un monde en mutation accélérée, chacun cherche son lignage intellectuel. Si les libéraux ne comprennent pas l'importance d'une refonte programmatique ainsi que la nécessité de forger une « utopie libérale », pour reprendre les mots de Hayek, je crains que Renew ne devienne vite Regret.

Dans le cas de Renew, il existe cependant une raison de fond, encore plus inquiétante : contrairement à ce qu'il pouvait déclarer ou écrire pendant la campagne présidentielle, Jupiter n'est pas libéral. Démocrate chrétien formé à la revue « Esprit », il a montré durant ses deux années de mandat son attachement à un exécutif fort, son mépris des libertés fondamentales et sa défiance vis-à-vis du marché, encore réitérée lors de son récent discours devant l'OIT à Genève. Il me peine de voir cette tradition dirigiste si française s'infiltrer dans une Europe qui portait dans ses principes, et singulièrement au sein de l'ADLE, le flambeau du libéralisme classique, soucieux d'émanciper l'individu des tutelles publiques comme privées.

Renoncements

En effaçant le libéralisme du débat public, Emmanuel Macron ne « renew » rien du tout. Au contraire, il s'installe définitivement dans le fauteuil des réformes incrémentales, renonçant à toute audace conceptuelle et, corollairement, à toute transformation radicale. Il se satisfait des structures centralisées qui craquent de toutes parts. Il ne doit pas être loin de considérer, comme Jacques Chirac, ce maître du statu quo, que « le libéralisme est une perversion de la pensée humaine ». Le conseiller Emmanuel Macron disait il y a quelques années, à propos de la France que dessinait François Hollande : « C'est Cuba sans le soleil. » Force est de constater qu'aujourd'hui, Macron, c'est Chirac sans la bière.

Gaspard Koenig est philosophe et président du think tank Génération Libre.

Gaspard Koenig

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