À vingt-cinq ans, au printemps 1865, Claude Monet commence à peindre une toile monumentale (4,65 x 6,40 m), intitulée Déjeuner sur l’herbe, qui devait s’imposer comme le manifeste de la peinture « plein-airiste », neuf ans avant la naissance officielle de l’impressionnisme. L’objectif de Monet est alors double : peindre un sujet moderne (une scène de pique-nique en forêt réunissant douze figures grandeur naturelle) dans un format réservé normalement à la peinture d’histoire et rendre hommage au peintre Édouard Manet, auteur du Bain (rebaptisé Le Déjeuner sur l’herbe en 1867) et qui avait été l’objet de sarcasmes de la part du public en général et de la critique en particulier lors de son exposition à Paris, au Salon des refusés, en 1863.
Les vestiges d’un tableau mythique
Finalement, en 1866, Monet abandonne son projet téméraire et coûteux (trois fois plus grand que Le Déjeuner sur l’herbe de Manet). Il n’en reste que quelques fragments conservés au musée d’Orsay et quelques études faites sur le motif à Chailly (près de Fontainebleau), dont l’une, très poussée, mais de dimensions réduites (1,30 x 1,81 m), conservée à Moscou, au musée Pouchkine. Celle-ci est fidèle au tableau qu’avait imaginé Claude Monet, à quelques détails près.
Une démonstration impressionniste
Dans la toile définitive, le jeune homme imberbe assis tout au bord de la nappe devait être remplacé par un homme barbu, ressemblant étrangement au peintre Gustave Courbet. L’étude de Moscou donne parfaitement l’impression de la vie en plein air : la lumière agit sous forme de taches — la nappe blanche au milieu de la toile est éblouissante —, les feuilles des arbres vibrent et scintillent. Pour arriver à ses fins, Monet emploie une facture large et libre, créant des contrastes de valeurs inédits. Les personnages (ce sont les amis de Monet qui ont servi de modèles, dont les peintres Frédéric Bazille et Auguste Renoir, ainsi que la compagne du peintre, Camille Doncieux, pour les personnages féminins) s’intègrent à merveille dans le paysage animé par le jeu des ombres et des lumières. La cohérence de la composition est également assurée par la simplicité des poses : les têtes sont délicatement inclinées, les regards se croisent, les gestes communiquent entre eux naturellement. L’effet de spontanéité qui fera le succès des tableaux impressionnistes, est déjà là.