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Picasso, Monet, Van Gogh : les trésors de la collection Morozov se révèlent à la Fondation Louis Vuitton

Picasso, Monet, Van Gogh : les trésors de la collection Morozov se révèlent à la Fondation Louis Vuitton
Auguste Renoir, Portrait de Jeanne Samaryou, La Rêverie, Paris, 1877, Huile sur toile, 56×47cm, Musée d'Etat des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou. ©Courtesy Musee d'Etat des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou

Après le triomphe de la collection Chtchoukine, la Fondation Louis Vuitton, à Paris, crée de nouveau l’événement en dévoilant celle de Mikhaïl et Ivan Morozov. Cent soixante-dix chefs-d’œuvre de Monet, Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Bonnard, Matisse…

Il y a quatre ans, plus d’un million de visiteurs découvraient l’ensemble de tableaux modernes réuni par l’industriel moscovite Sergueï Chtchoukine. « Dès que j’ai commencé à travailler sur ce sujet, celui de la collection Morozov s’est imposé, explique Anne Baldassari, commissaire générale des deux expositions. Il aurait même été plus logique de commencer par le second. La collection de Chtchoukine est plus radicale, avec cinquante-quatre œuvres de Pablo Picasso, trente d’Henri Matisse…. Celle des frères Morozov relèverait davantage du “classique moderne“, avec Édouard Manet, Claude Monet, Auguste Renoir, Alfred Sisley, mais aussi Paul Gauguin, Maurice Denis, Pierre Bonnard, Paul Cézanne. Elle ne comprend “que“ trois Picasso, mais ils sont splendides. Notamment Les Deux Saltimbanques, Arlequin et son amie (1901), acheté en 1908, et qui est le premier tableau de l’artiste entré en Russie. »

Les Morozov

Mikhaïl et Ivan Morozov sont issus d’une famille d’origine modeste qui deviendra, à la fin du XIXe siècle, l’une des plus riches de Russie. Leur arrière-grand-père, Savva Morozov (1770-1860), est serf au service du comte Nikolai Rioumine. Après s’être lancé discrètement dans le commerce de rubans et de tissus, il achète en 1825 un petit terrain à son maître, pour y implanter une fabrique. Rapidement, son activité se développe et plusieurs manufactures de textile sont créées, que dirigeront ses fils, puis son petit-fils, Abram Abramovitch Morozov. Mort en 1882, ce dernier laissera à ses fils Mikhaïl (1870-1903) et Ivan (1871-1921) une fortune colossale.

Valentin Sérov, Portrait de Mika Morozov, Moscou, 1901. ©Courtesy Galerie nationale Tretiakov, Moscou

Valentin Sérov, Portrait de Mika Morozov, Moscou, 1901. ©Courtesy Galerie nationale Tretiakov, Moscou

Féru d’histoire et auteur de deux ouvrages sur Charles Quint, l’aîné des frères est un homme d’excès, qui multiplie les soirées mondaines et dilapide son héritage au jeu, tout en assouvissant sa passion pour l’art de son temps. Son frère, lui, fait ses études à Zurich, avant de revenir à Moscou en 1895 pour reprendre l’affaire familiale de la Compagnie des manufactures de Tver. Entre 1904 et 1916, l’homme d’affaires multiplie par trois le capital familial et acquiert un nombre impressionnant d’œuvres, qu’il expose dans les différentes pièces de son hôtel particulier de la rue Pretchistenka.

Entre Moscou et Paris

« Mikhaïl a joué un rôle important, même s’il meurt prématurément, à 33 ans. Il est le prescripteur, pour son frère comme pour Chtchoukine. C’est lui qui va acheter les premiers Gauguin et Van Gogh entrés sur le territoire russe. Son frère Ivan poursuit son œuvre et s’adosse à Chtchoukine, qui apparaît comme une sorte de mentor », précise Anne Baldassari. Les collections des Morozov comprennent deux grands ensembles. Ils se sont attachés, d’une part, à soutenir la création russe contemporaine. Ivan, notamment, achète des œuvres de Natalia Gontcharova, de Mikhaïl Larionov, de Martiros Sarian, de Marc Chagall, de Piotr Kontchalovski, d’Ilia Machkov, dont certaines sont présentées dans l’exposition. L’autre corpus est consacré à l’art occidental. Magistral, il constitue le cœur de l’accrochage de la Fondation Vuitton.

Martiros Sarian, La Rue. Constantinople, Constantinople (Istanbul), 1910. © Succession Martiros SARIAN. ©Courtesy Galerie nationale Tretiakov, Moscou

Martiros Sarian, La Rue. Constantinople, Constantinople (Istanbul), 1910. © Succession Martiros SARIAN. ©Courtesy Galerie nationale Tretiakov, Moscou

« Les Morozov achetaient beaucoup, et les marchands parisiens, Paul Durand-Ruel, Ambroise Vollard, Eugène Druet, Georges Bernheim, Daniel-Henry Kahnweiler, les ont aiguillés, conseillés. Tout n’était pourtant pas de la même qualité. Les collectionneurs pouvaient, le même jour, acquérir un chef-d’œuvre et un tableau mineur, poursuit la commissaire. Il est difficile de connaître précisément le nombre d’œuvres qui leur ont appartenu. Certaines ont disparu – des actes de vente évoquent deux Paul Sérusier dont on a perdu la trace –, d’autres ont été revendues. Comme Chtchoukine, les Morozov signaient une clause avec leurs marchands, stipulant qu’ils pouvaient leur rendre des toiles s’ils venaient à s’en lasser. »

On sait néanmoins qu’à son décès en 1903, Mikhaïl Morozov possédait quarante-quatre œuvres d’art russe, et trente-neuf d’art occidental. Elles ont été inventoriées en 1910, lorsque sa veuve, Margarita Kirrilovna, en a fait don à la Galerie Tretiakov. Quant à Ivan Morozov, il confiait en 1920 au critique d’art Félix Fénéon pour « Le Bulletin de la vie artistique » que sa collection comprenait six cent soixante-dix numéros, dont deux cent quarante tableaux et sculptures d’art français.

L’exposition dévoile cent soixante-dix de leurs œuvres. Introduite par une série de portraits qui évoquent le cercle familial et amical des Morozov, elle s’articule autour de grands thèmes et courants : le monde de la nuit (Édouard Manet, Vincent Van Gogh, Henri de Toulouse-Lautrec), le paysage impressionniste (Claude Monet, Auguste Renoir, Alfred Sisley, Camille Pissarro…), la peinture fauve (André Derain, Maurice de Vlaminck, Louis Valtat, Albert Marquet). Une salle dédiée au nu associe des toiles d’Henri Matisse, de Charles Guérin, d’Henri Manguin, à quelques sculptures de Sergueï Konenkov, d’Auguste Rodin et de Camille Claudel.

Ilia Machkov, Autoportrait, Moscou, 1911. ©Courtesy Galerie nationale Tretiakov, Moscou

Ilia Machkov, Autoportrait, Moscou, 1911. ©Courtesy Galerie nationale Tretiakov, Moscou

Ces différentes sections alternent avec des espaces monographiques, qui montrent que les Morozov avaient à cœur de composer, pour certains artistes, de véritables ensembles. Ainsi de Paul Gauguin, dont les neuf tableaux de la collection sont réunis à Paris, d’Henri Matisse – l’extraordinaire Triptyque marocain –, et surtout, de Paul Cézanne. Ivan Morozov possèdera dix-huit de ses toiles, toutes présentées ici, à l’exception d’une œuvre vendue par le régime soviétique en 1933. Vues de la montagne Sainte-Victoire, portraits et autoportraits, baigneurs et natures mortes sont mis en regard avec des tableaux d’artistes russes comme Piotr Kontchalovski ou Ilia Machkov, fortement influencés par les recherches novatrices du maître d’Aix.

Le goût du décoratif

Ivan Morozov s’est également intéressé à Maurice Denis, dont il apprécie le style antiquisant et les références à la mythologie. Après lui avoir rendu visite dans son atelier à Saint-Germain-en-Laye en 1907, il lui commande un décor pour le salon de musique de son hôtel particulier. Le peintre nabi imagine un cycle consacré à l’Histoire de Psyché. Cinq des sept panneaux prévus seront d’abord présentés à Paris, au Salon d’Automne de 1908, avant de rejoindre Moscou au tout début de l’année suivante. Denis se rend alors en Russie, chez Morozov, et juge le décor un peu perdu dans la vaste pièce. Il lui propose d’ajouter d’autres panneaux. Finalement, l’ensemble comprendra treize éléments, que viendront compléter quatre sculptures d’Aristide Maillol à échelle humaine : Pomone, Flore, Le Printemps et L’Été.

Henri Matisse, Nature morte à « La Danse », 1909. © Succession Ivan Morozov © The Estate of Ivan Morozov © The State Hermitage Museum, 2021.

Henri Matisse, Nature morte à « La Danse », 1909. © Succession Ivan Morozov © The Estate of Ivan Morozov © The State Hermitage Museum, 2021.

En 1910, Morozov demande à Pierre Bonnard de réfléchir à une grande décoration autour des quatre saisons, pour orner sa cage d’escalier. Il a pu voir, dans la demeure de Sergueï Chtchoukine, La Danse et La Musique, les deux grands panneaux que le collectionneur avait commandés à Henri Matisse l’année précédente. L’œuvre principale de Bonnard sera un triptyque (La Méditerranée), agrémenté de deux panneaux placés à gauche et à droite, Premier Printemps et L’Automne, la cueillette des fruits. Autour de ces cinq œuvres, Morozov décidera d’accrocher plusieurs autres tableaux de l’artiste célébrant les beautés de la nature, dont Premier Printemps (Petits Faunes), Le Train et les chalands, L’Été en Normandie et L’Été, la danse.

Confisquées sur décret de Lénine, les collections des frères Morozov seront nationalisées en 1918. Elles formeront le premier noyau du musée d’Art moderne occidental – GMNZI, installé dix ans plus tard dans l’ancien hôtel particulier d’Ivan Morozov. À partir des années 1930 et jusqu’en 1948, ces collections seront progressivement réparties entre le musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, le musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine et la Galerie nationale Tretiakov, à Moscou. Organisée en partenariat avec ces trois institutions, l’exposition de la Fondation Louis Vuitton bénéficie également de prêts consentis par le Musée russe de Saint-Pétersbourg, le musée des Beaux-Arts de la République de Biélorussie (Minsk, Belarus), et le musée des Beaux-Arts de Dniepropetrovsk (Ukraine). Elle offre l’occasion unique de découvrir à Paris cet ensemble éblouissant, qui n’avait pas été réuni depuis un siècle.


À voir

L’exposition « Icônes de l’art moderne. La collection Morozov », à la Fondation Louis Vuitton, du 24 février au 25 juillet.

À lire

– Le catalogue de l’exposition, sous la direction d’Anne Baldassari, coédition Gallimard/Fondation Louis Vuitton (524 pp., env. 400 ill., 49 €).
– Le hors-série de « Connaissance des Arts » consacré à l’exposition (n°926, français/anglais, 84 pp., 12 €).


Au musée Pouchkine

Comme ce fut le cas pour la collection Chtchoukine, le musée Pouchkine, à Moscou, proposera sa propre version de l’exposition, après sa présentation à Paris. Mais l’approche sera très différente. Le parcours suivra un tout autre découpage et ne confrontera pas les œuvres occidentales aux tableaux russes. « Le contexte n’est pas le même, précise Anne Baldassari. Ce que nous découvrons en France et replaçons en vis-à-vis de notre histoire de l’art moderne, est bien connu du public russe. Mais grâce à nos projets parisiens répétés, une prise de conscience s’est faite, et des collaborations inédites visant à croiser leurs collections se sont nouées entre le musée Pouchkine de Moscou et l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. C’est un effet retour, et un grand acquis de notre projet ».

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