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Témoignage

« Aux urgences, on fait de la maltraitance et ce n'est pas de notre faute ! »

TEMOIGNAGE // Deux ans que Nicolas, médecin urgentiste à temps plein en Île-de-France, constate une dégradation grave et continue de l'hôpital. A tel point qu'à 33 ans, il sait déjà qu'il ne tiendra pas encore une décennie dans les services d'urgences. Il nous explique son quotidien.

Nicolas, médecin urgentiste de 33 ans.
Nicolas, médecin urgentiste de 33 ans. (D.R.)

Par Florent Vairet

Publié le 14 juin 2022 à 17:40Mis à jour le 14 juin 2022 à 18:29

« En théorie, mon métier d'urgentiste consiste à m'occuper du patient lors des premières heures suivant la prise en charge pour éviter toute détérioration de son état. Il peut s'agir d'une victime d'un accident de la route ou d'un arrêt cardiaque, mais dans les faits, ce sont surtout des patients avec un problème de santé plus vague, dont il faut estimer la gravité de la cause. Est-ce une simple douleur thoracique ou un infarctus du myocarde qui se profile à bas bruit ? Dans cette dernière option, on doit agir au plus vite pour maximiser les chances de survie. Une fois stabilisé, j'oriente le patient dans le bon service de l'hôpital (cardiologie, gastro-entérologie, gériatrie, etc).

J'adore ce métier, car je me lève et je ne sais pas de quoi sera faite ma journée. Chaque matin, je pars à l'inconnu. Quand le boulot est bien fait, je sais que toute l'équipe et moi-même avons pu changer la donne pour améliorer les chances de survie d'un patient. C'est très satisfaisant. Sans parler que les urgences sont les seuls services publics ouverts 24h/24. Et en plus des soins, j'aime bien la dimension sociale, comme offrir un café à un SDF, même si ce n'est pas le rôle des urgences.

Faire attendre 48 à 60 heures un patient sur un brancard

Sauf que depuis mon premier stage aux urgences en 2016, la situation s'est dégradée de manière continue. A l'époque, je me souviens qu'entre urgentistes, on avait un défi qui s'appelait le no-bed challenge. Chaque matin, on se disait combien de patients avaient dû passer la nuit chez nous, faute de lits dans les services de l'hôpital. Et ça nous arrivait quelquefois de faire face à cette situation. Désormais, c'est tous les jours. On se retrouve avec 3 à 10 patients à surveiller car il n'y a plus de lit disponible ailleurs. Ce n'est pas le rôle des urgences.

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Les conséquences de cette carence sont concrètes. Premièrement, on ne peut pas bien faire notre travail. On doit s'occuper des patients qui stagnent chez nous, ce qui nous empêche de prendre correctement en charge les nouveaux arrivants. Heureusement les internes prennent le relai mais ça reste des étudiants en phase d'apprentissage. Un interne n'a pas le même rythme de travail qu'un médecin à temps plein, surtout s'il est en début d'internat. Moi, en parallèle et en tant que médecin urgentiste, je dois dédier les deux tiers de ma journée à la gestion de dossiers de patients en attente d'hospitalisation. Je le redis ici, ce n'est pas mon job.

Deuxièmement, le patient attend plus longtemps. Or, comme je le disais précédemment, rallonger les délais, c'est diminuer les chances de survie en cas de problème grave. Dans les faits, certains patientent 8 heures dans la salle d'attente ! Certains week-ends, après que le diagnostic a été posé aux urgences, certains patients peuvent attendre un lit d'hospitalisation pendant 48 à 60 heures, sur un brancard, dans un couloir des urgences.

Faire face aux reproches de la famille d'un patient est sans doute le plus compliqué

Le manque de lits nous pousse parfois à renvoyer chez elles des personnes âgées, fragiles, qui sont à deux doigts d'avoir besoin d'une assistance en oxygène, car elles habitent proche de l'hôpital ou qu'elles ont de la famille à proximité, parce qu'il n'y a plus assez de place chez nous alors qu'on devrait les garder sous surveillance. Ce n'est pas normal.

J'ai conscience de ne pas bien faire mon métier. En réalité, aux urgences, on fait de la maltraitance et ce n'est absolument pas de notre faute. Je vois chaque jour que je fais du mieux que je peux mais je n'ai aucune autre solution à proposer aux patients.

22 millions

C'est le nombre de passages dans les urgences françaises en 2019, soit 20 % de plus qu'en 2012, et +100 % par rapport à 2002.

Faire face aux reproches de la famille d'un patient est sans doute le plus compliqué. Ils nous demandent si on trouve admissible la prise en charge de leur proche. Moi je sais bien qu'elle ne l'est pas. Je le dis aux familles mais je leur réponds que je n'y peux rien. Je reste leur seul exutoire...

Dans le contexte actuel, je peux encore dire qu'il n'y a pas de décès dûs aux mauvaises conditions de travail. On se débrouille pour prendre en charge les patients en phase critique. Le problème concerne les patients en zone grise : ceux dont le pronostic vital n'est pas engagé mais dont l'état pourrait, sans surveillance, se détériorer rapidement. Aujourd'hui, on arrive encore à prendre en charge les patients en urgence vitale, mais cela retarde d'autant les soins des autres patients.

Changement de métier à horizon 10 ans

Il faut non seulement plus de lits disponibles au sein de l'hôpital pour décharger les urgences mais aussi une meilleure éducation à la santé des Français. Si on a le nez qui coule, oui, on peut prendre un doliprane et attendre quatre jours. La Cour des comptes a calculé qu'en 2016, 10 à 20 % des patients auraient pu être pris en charge par un médecin généraliste. Un chiffre non négligeable mais qui en réalité n'est pas énorme et qu'on pourrait traiter. Sauf que dans le contexte actuel, on ne peut plus s'occuper de ce surplus de patients.

L'été s'annonce compliqué. Dans mon hôpital, un quart des postes de médecins urgentistes pour juillet/août n'est pas pourvu. Il y aura bien sûr des médecins en intérim pour venir combler mais le fond du problème est le manque d'attractivité. Moi-même, je me vois continuer d'être urgentiste encore 5 ans mais pas 10. Ce n'est pas possible de faire son travail dans de si mauvaises conditions aussi longtemps. »

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La réponse du gouvernement à la crise des urgences

Le 8 juin, la ministre de la Santé a annoncé :

- le doublement de la rémunération des heures supplémentaires du personnel non médical, et du temps de travail additionnel des médecins

- la possibilité pour les élèves infirmiers et aides-soignants ayant achevé leur formation initiale en juin et juillet de commencer à exercer immédiatement, sans attendre la remise officielle de leur diplôme

- que les soignants retraités volontaires pour reprendre une activité cet été bénéficieront de facilités de cumul avec leur pension de retraite

Propos recueillis par Florent Vairet

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