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Décryptage

Applis de partage d'abonnements : est-ce bien légal de prêter ses codes Netflix, Canal+ ou Spotify à vos amis ?

De nombreuses offres fleurissent pour partager vos codes afin d'économiser de l'argent. Mais finalement ces services sont-ils « safe » ? On fait le point.

Netflix, Canal+, Spotify et consorts musclent leur lutte contre le piratage des codes de leurs abonnés.
Netflix, Canal+, Spotify et consorts musclent leur lutte contre le piratage des codes de leurs abonnés. (iStock)

Par Marion Simon-Rainaud

Publié le 25 mai 2021 à 07:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

« Tu as des codes Netflix à me passer ? » Depuis le début de la pandémie, la question a vite tourné entre des millions de personnes dans le monde. Et la solidarité, sur ce plan là aussi, a joué à plein. Certains se partagent des codes dans une même famille, maison ou encore entre amis. Sentant le bon filon, des applis comme Sharesub ou Spliiit se sont positionnées sur ce segment : via une plateforme d'intermédiation elles permettent de partager des codes entre plusieurs personnes même hors de son cercle proche et de son foyer. Mais ce n'est parce qu'un service existe ou que tout le monde le fait que c'est autorisé.

Dans les conditions générales d'utilisation (CGU) de Netflix, Spotify ou Canal+ (pour ne citer que les plus populaires) il est écrit noir sur blanc que le partage entre individus qui ne vivent pas sous le même toit est interdit. « Le service Netflix, ainsi que tout contenu regardé via le service, est réservé à un usage uniquement personnel et non commercial et ne doit pas être partagé avec des personnes extérieures à votre foyer », peut-on lire dans les CGU de la plateforme américaine de streaming vidéo. Pour enfoncer le clou, lorsque vous souscrivez à un compte Netflix, au moment de signer, vous pouvez lire, en tout petit en bas du contrat : « Seules les personnes qui vivent avec vous peuvent utiliser votre compte. Regardez Netflix en simultané sur 4 appareils différents avec le forfait Premium, sur 2 avec le forfait Standard, et sur 1 avec le forfait Essentiel. »

Une certaine tolérance

Du côté de la musique, Spotify fonctionne plus ou moins sur les mêmes CGU. Depuis 2019, l'application de streaming audio a même ajouté une case « adresse postale » pour lutter contre le partage interfoyers. Lors de l'inscription à l'abonnement famille (six profils maximum), les utilisateurs doivent renseigner obligatoirement la même adresse. Bien sûr, il est toujours possible de mentir, mais cette mesure peut dissuader.

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Canal+ a pour sa part fait la différence entre les comptes « utilisateurs » qui peuvent aller jusqu'à quatre selon les offres (la plus permissive étant « L'INTEGRALE + ») et les « licences » qui renvoient au « nombre de périphériques autorisés sur un intervalle de trois jours ». Le site de la chaîne télévisée explicite par un exemple : « avec L'INTEGRALE +, vous pouvez vous connecter sur quatre équipements en même temps, et vous pouvez vous connecter sur cinq équipements sur trois jours ». Bref, le système est devenu assez sophistiqué.

Dans les CGU, tout est dit

Et là vous vous demandez : « Mais pourquoi rentre-t-on aussi précisément dans les termes et conditions des contrats ? » Avant de vous renfrogner davantage (si vous n'avez pas déjà fermé l'onglet) : « Si j'avais voulu lire un règlement commercial, je n'aurais pas cliqué sur cet article… » Oui, on sait c'est fastidieux. Pourtant « tout est dit dans les CGU du contrat que vous signez », nous explique Me Goulesque-Monaux, avocat au département médias et divertissement du cabinet Taylor Wessing. Autrement dit, la responsabilité revient à l'utilisateur.

Mais, il en convient : « Il est difficile de dire ce qui est acceptable ou non d'un point de vue du droit civil ou pénal. On ne peut pas interdire le titulaire du contrat de partager ses codes d'accès avec qui il l'entend. » Deux autres difficultés s'ajoutent selon lui : « la difficulté de circonscrire un utilisateur à un type de support » et « la définition juridique de ce qu'est un cercle familial restreint ». C'est pourquoi, les plateformes sont (du moins pour l'instant) assez tolérantes avec ces partages extra-familiaux. La preuve : dans ses FAQ, Netflix a consacré un paragraphe à la situation suivante « s ».

Derrière ce laisser-faire, il y a des ambitions commerciales. La logique est la suivante : par des aperçus via leurs amis (ou des offres découvertes) les plateformes donnent envie aux non-abonnés de s'abonner, à la suite de quoi elles espèrent qu'ils veulent « en être » - quitte à payer. C'est un levier de conquête comme un autre. On pense aussi à YouTube premium offert gratuitement pendant un mois, ou à la partie « en clair » de Canal+ dans les années 2000.

On peut en conclure que même si c'est interdit, dans la pratique, Netflix, Spotify ou Canal+ y trouvent leur compte. C'est pourquoi, il est rarissime que les plateformes s'intéressent à ce genre de « fraude ».

Lutte coordonnée contre les marchés gris et noir

En revanche, ce qui n'arrange pas les plateformes ce sont les offres commerciales d'acteurs tiers qui permettent de systématiser ces partages. Les plateformes qui produisent les contenus sont perdantes. Et à la fin, les prix baissent ce qui n'incite à pas les abonnés à payer le « vrai » prix.

Légalement, pourtant, ces start-up sont protégées puisque leur activité n'est que de « l'intermédiation », c'est-à-dire la mise en relation entre deux tiers et non la production d'un service (en l'occurrence la fourniture de codes). Elles ne peuvent donc pas être tenues responsables, contrairement à l'abonné qui lui a signé les CGU dont on a évoqué les contours précédemment. « On est toujours à la limite de l'illégal », commente l'avocat spécialiste en propriété intellectuelle. Vous savez un peu comme Uber qui n'est pas considéré au regard de la loi comme une entreprise de transport ou Airbnb qui n'est pas un service d'hôtellerie.

L'objectif prioritaire des géants du divertissement en ligne est de lutter contre le « marché noir » du partage de codes. Car comme les mots de passe, les e-mails, les identités , tout se monnaye sur internet même vos identifiants Netflix, Canal+ ou Spotify. Par des moyens techniques innovants, ces derniers cherchent à éliminer les piratages massifs revendus sur le dark web. Les problématiques s'accumulent ici pour les éditeurs web car au manque à gagner financier s'ajoutent les failles de sécurité, et in fine les risques d'usurpation d'identité pour leurs abonnés.

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« Finalement, derrière tout piratage, s'il y a une perte de valeur pour les diffuseurs, ce sont les ayants droit, c'est-à-dire les auteurs des contenus diffusés, qui ne touchent rien lorsque leur oeuvre est visionnée », rappelle Me Goulesque-Monaux.

Marion Simon-Rainaud

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