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Michel David-Weill, le dernier empereur de la finance, a tiré sa révérence

Michel David-Weill s'est éteint jeudi soir, à New York, à l'âge de 89 ans. Il fut le grand artisan du succès international de la prestigieuse banque d'affaires Lazard, qu'il a présidée pendant plus d'un quart de siècle, de 1975 à 2001, avant de fonder sa propre société d'investissement Eurazeo.

Michel David-Weill, en avril 2000 à New York.
Michel David-Weill, en avril 2000 à New York. (Raphael GAILLARDE/GAMMA)

Par Thibaut Madelin, Anne Drif, Romain Gueugneau

Publié le 19 juin 2022 à 19:13Mis à jour le 20 juin 2022 à 07:49

Michel David-Weill, qui s'est éteint jeudi soir à New York à l'âge de 89 ans, aura marqué l'histoire de Lazard et du monde des affaires comme peu d'acteurs français. « Michel dirigeait Lazard avec une fermeté infaillible, a déclaré vendredi la banque d'affaires qu'il a présidée de 1975 à 2001. Son inspiration, son leadership et sa vision définissent Lazard aujourd'hui. » Il devrait être enterré au cimetière du Montparnasse, à Paris, aux côtés des familles des principaux associés de la banque.

Descendant direct d'Alexandre Weill, parti aux Etats-Unis en 1856 pour rejoindre Lazard Frères, Michel David-Weill est parvenu à unifier les branches de New York, Paris et Londres sous un même toit, faisant de la banque d'affaires familiale un pilier incontournable du capitalisme hexagonal, mais aussi transatlantique. L'influence de ce mécène et collectionneur d'art, né dans une famille juive avant d'être baptisé et élevé dans la foi catholique, a largement dépassé le milieu financier, comme en témoignent les nombreux hommages qu'a suscités sa disparition. « Le président de la République salue un acteur visionnaire du monde économique, qui prodigua ses talents et ses dons dans nos entreprises françaises, notre patrimoine et nos arts », a notamment déclaré l'Elysée dans un communiqué. Retour en six moments clés sur une vie et une carrière hors norme.

Ses premiers coups d'éclat

Difficile de résumer la trajectoire de cet héritier parfois présenté comme le « Roi Soleil » de la finance, qui partageait sa vie entre Paris, New York, Londres et ses propriétés dont sa villa « Sous le vent » du cap d'Antibes, où il accueillait l'été le gratin des affaires, de la politique et des arts. Né le 23 novembre 1932, le fils de Pierre David-Weill et Berthe Haardt a étudié au lycée français de New York, puis à Sciences Po Paris avant de rejoindre la banque en 1956. C'est André Meyer , l'un des banquiers les plus brillants de sa génération, surnommé le « Picasso de la finance », qui l'initie aux affaires américaines.

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Portrait du directeur de la banque Lazard Michel David-Weill, le 4 octobre 1968. 

Portrait du directeur de la banque Lazard Michel David-Weill, le 4 octobre 1968. KEYSTONE-FRANCE

Son baptême du feu ? L'OPA hostile de Lazard Frères en 1964 sur la Franco Wyoming, une société possédant des actifs pétroliers à cheval entre la France et les Etats-Unis. Audacieuse, l'opération choque New York mais son succès inspirera Michel David-Weill. Retourné à Paris, il conseille quatre ans plus tard le petit groupe verrier lyonnais Boussois-Souchon-Neuvesel (BSN) quand il lance une OPA hostile sur Saint-Gobain, cinq fois plus gros que lui.

L'opération, qui va diviser l'élite parisienne entre les anciens et les modernes, finit par échouer. Mais elle donne naissance à une relation d'affaires et une amitié indéfectible entre Michel David-Weill et le président de BSN et futur fondateur de Danone, Antoine Riboud. Elle va aussi installer l'autorité de l'héritier face à des associés aux personnalités reconnues comme Antoine Bernheim, Felix Rohatyn ou encore Bruno Roger.

Le début du règne

A la mort de son père, Pierre David-Weill, en 1975, Michel prend la présidence de Lazard Paris, puis deux ans plus tard, la présidence de la banque à New York. En septembre 1979, André Meyer décède. Dans une scène digne d'un film, décrite par Martine Orange dans son livre « Ces Messieurs de Lazard » (Albin Michel, 2006), Michel David-Weill profite de l'enterrement de son mentor au cimetière du Montparnasse pour aborder avec sir Ian Fraser, le président de Lazard Londres, un rapprochement des trois maisons.

Dans le cortège, les membres de la banque n'en croient pas leurs yeux, raconte la journaliste. Michel David-Weill est en train de prendre le pouvoir, sans perdre une seconde... « derrière le cercueil d'André Meyer ». « Je suis le patron parce que je n'ai pas peur », expliquera plus tard dans une interview celui qui se disait lui-même fasciné par la prise de pouvoir de Louis XIV.

L'héritier de la maison Lazard n'est pas un banquier d'exception, mais il sait utiliser son carnet d'adresses et son sens politique pour continuer à faire grandir la banque, qui devient dans les années 1980 l'un des leaders mondiaux dans le domaine des fusions et du conseil aux entreprises. Michel David-Weill hérite à cette époque de son surnom de « dernier empereur de Wall Street ».

Le « ministère bis de l'Industrie »

La cohabitation de 1986 ouvre une nouvelle ère pour Lazard et son PDG. Le Premier ministre, Jacques Chirac, et son ministre de l'Economie et des Finances, Edouard Balladur, lancent une grande vague de privatisations . Et la prestigieuse banque d'affaires, qui contrairement à ses rivales Paribas et Rothschild avait réussi à échapper au mouvement de nationalisations, sait en profiter.

La banque d'affaires, c'est gérer des individualités. Tous les associés de Lazard étaient exceptionnels. Choisir, c'était tuer. Cela aurait été renoncer aux mérites de tous les autres.

Michel David-Weill

Associée à toutes les grandes opérations de privatisation, dont la première et la plus symbolique, celle de Saint-Gobain, elle devient même « le ministère bis de l'Industrie », comme l'écrit Martine Orange dans son ouvrage. « Pas un deal, pas une augmentation de capital, pas un mouvement » ne se fait sans Lazard, qui pilotera aussi l'ouverture du capital de Renault et l'introduction en Bourse de France Télécom. Entre 1986 et 1988, la banque voit ses profits en France multipliés par trois.

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C'est également dans les années 1980 que Lazard, sous la direction de Michel David-Weill, participe à la construction des empires industriels de Bernard Arnault, François Pinault et Vincent Bolloré, et de leur fortune. La banque met au point, grâce à l'ingéniosité financière d'Antoine Bernheim, un système de holding en cascade qui permet à l'actionnaire de tête de contrôler un empire avec une mise de fonds réduite. Une innovation financière qui sera l'une des marques de fabrique de la maison.

La fuite des talents

Mais la gestion autocratique de Michel David-Weill a aussi ses limites. Certes, il sait repérer les talents, souvent très diplômés (X, ENA, Inspection des finances, etc.) et passés par les palais nationaux comme Matthieu Pigasse ou Anne Lauvergeon. Mais plutôt que de gouverner, il règne en entretenant les rivalités.

« On aurait voulu que je fasse du favoritisme, dira celui qui recevait chaque année les associés un par un dans son bureau pour leur annoncer solennellement leurs plantureux bonus. Je m'y suis toujours refusé. La banque d'affaires, c'est gérer des individualités. Tous les associés de Lazard étaient exceptionnels. Choisir, c'était tuer. Cela aurait été renoncer aux mérites de tous les autres. »

Mais dans les années 1990, Michel David-Weill essuie des départs importants. Coup sur coup, plusieurs stars de la banque quittent le navire, renonçant ainsi à une influence et une rémunération extraordinaires. C'est le cas de Jean-Marie Messier, qui rejoint une autre légende du capitalisme hexagonal, Guy Dejouany, à la Générale des eaux. Ou encore de Felix Rohatyn, pilier de la structure new-yorkaise.

En cause, notamment : la montée en puissance d'Edouard Stern, héritier de la famille banquière éponyme et marié à sa fille Béatrice. Le banquier brillant mais controversé était perçu comme le dauphin de Michel David-Weill. Il quittera la banque en 1997, avant d'être assassiné huit ans plus tard. Mais le mal est fait. L'hémorragie de talents pèse sur les affaires, tandis que l'éternelle rivale, Rothschild, gagne des parts de marché.

La bataille de la Rue Impériale

D'apparence, la transaction est purement technique. En avril 2001, Michel David-Weill achève l'ultime restructuration de la structure de contrôle de Lazard. Il fusionne Eurafrance et Azeo, en vue d'unir les trois maisons de Paris, New York et Londres. C'est la naissance d'Eurazeo, une société d'investissement qui détient 17 % de Lazard, et des parts dans Generali, Mediobanca et Danone.

Mais cette opération est surtout l'épilogue d'un bras de fer que « l'empereur » a bien failli perdre. Un combat mené contre Vincent Bolloré, qui avec l'aide d'Antoine Bernheim, a repéré une faille dans la structure de contrôle. Pendant des mois, l'homme d'affaires, bénéficiant du soutien tacite de quelques fonds d'investissement et du géant bancaire suisse UBS, rachète des titres de Rue Impériale de Lyon, le holding faîtier de la galaxie Lazard. Il finit par en détenir 31 % et se retrouve en position de force. C'est le Crédit Agricole qui viendra libérer le patriarche en rachetant ses parts à Vincent Bolloré pour près de 4 milliards de francs, le double environ de sa mise de départ.

Quelle que soit la suite, je ne pourrai jamais me débarrasser de l'idée que cette maison est la mienne.

Il n'envisagera pas de ressortir d'Eurazeo jusqu'à la crise financière. La sortie complète du Crédit Agricole d'Eurazeo, en 2017, déclenchera un nouveau raid, celui du rival Tikehau. Un nouvel investisseur de long terme prend le relais, la famille Decaux, qui rachète les parts de la banque verte.

L'entrée à Wall Street, la dernière bataille

« Ils vont tuer Lazard. Michel est fou. Il les laisse faire. » A l'automne 2004, Antoine Bernheim, l'ancien faiseur de roi du capitalisme européen et ex-associé de Lazard, ne veut pas croire que Michel David-Weill laisse une icône de Wall Street, Bruce Wasserstein, confier le destin de la puissante banque d'affaires familiale aux mains de la Bourse.

C'est la ligne rouge que le monarque de la finance a toujours fixée : « La banque n'est pas cotée et ne le sera pas », déclarait-il en 2000. Mais à ce dauphin, qui vient de vendre au prix fort sa boutique Wasserstein Perella à la banque allemande Dresdner Bank, Michel David-Weill aura tout cédé pour le convaincre d'écrire la suite de l'histoire de la banque d'affaires et l'introniser. Jusqu'à ce que le premier veuille définitivement évincer le second.

A force de plantureux bonus et de coûteux recrutements de stars par Bruce Wasserstein, Lazard se trouve pris à la gorge et enregistre les premières pertes de son histoire. Il faut lever du capital, insiste le nouveau maître de Lazard, qui n'ignore pas que la cotation est aussi un moyen de gommer l'ADN familial de la banque. « Coter la maison, c'est l'engager vers la banalisation », oppose Michel David-Weill. Les passes d'armes se font de plus en plus violentes au sein de la maison.

Bruce Wasserstein (au centre du podium), lors de l'introduction de la banque Lazard au New York Stock exchange, le 5 mai 2005.

Bruce Wasserstein (au centre du podium), lors de l'introduction de la banque Lazard au New York Stock exchange, le 5 mai 2005.HO / NYSE / AFP

« Je vous ferai riches », promet Bruce Wasserstein aux associés, opposant les « travailleurs » de la banque aux « capitalistes » qui la possèdent et perçoivent chaque année de généreux dividendes. La banque d'affaires entre en Bourse le 5 mai 2005. La famille est diluée et le banquier américain devient seul maître à bord pour quelque temps seulement. Il décédera brutalement d'une crise cardiaque quatre ans plus tard.

Pour Michel David-Weill, le temps est venu de s'éloigner de Lazard. Il se replie alors sur Eurazeo, dont il occupera la présidence du conseil de surveillance jusqu'en avril dernier, contribuant à en faire une société d'investissement prospère. Mais dans son esprit, le lien avec la banque qu'il aura contribué à porter au sommet ne sera jamais vraiment rompu, comme il le confiait en 2005 : « Quelle que soit la suite, je ne pourrai jamais me débarrasser de l'idée que cette maison est la mienne. »

Anne Drif, Romain Gueugneau, Thibaut Madelin

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