Marine Serre, la révolution stylistique et circulaire
Avec sa mode radicale, rétrofuturiste et basée sur le recyclage des matériaux, Marine Serre, lauréate du prix LVMH à 25 ans, présente à 30 ans à peine sa douzième collection.
Par Astrid Faguer
Marine Serre nous a reçus dans les locaux de sa marque dans le XIXe arrondissement de Paris, trois jours avant son défilé inscrit pour la première fois dans le calendrier de la semaine de la mode homme.
D'où vous vient votre approche d'une mode engagée ?
Plus jeune, je vivais à la campagne, en Corrèze, je n'avais pas accès aux grandes villes ni à la fast fashion. J'allais dans les brocantes et chez Emmaüs. J'ai appris à regarder et a apprécié des vêtements qui n'étaient pas forcément nouveaux. Ce qui était nouveau, finalement, c'était le regard qu'on leur portait. Quand j'ai lancé ma griffe il y a six ans, l'upcycling a été inné. Et aujourd'hui nous vendons des chemises faites à partir de taies d'oreillers.
A l'origine de votre marque, quelle était la feuille de route ?
Je ne voulais pas proposer une énième jupe sur le marché. L'idée était de changer un système très rodé, de le transformer dans ce qui était assez invisible : la production et la fabrication d'un vêtement. Quand on a commencé avec l'upcycling, on nous a donné six mois, pas plus.
Comment concevez-vous vos collections ?
L'idée est que 50 % de ce qui est proposé soient réalisés à partir de pièces de seconde main. Le reste est conçu à partir de fibres recyclées, certifiées, organiques ou de fin de stocks. Nous avons une équipe dédiée à l'upcycling qui reçoit les vêtements ici, les lave, les trie, regarde s'ils ne sont pas abîmés. C'est une nouvelle manière de travailler, un système dans lequel la mode n'avait jamais mis les pieds. Cela n'est pas très glamour et c'est important de le dire… Ensuite, on passe au design. A partir de l'existant, on se demande comment créer une pièce intéressante tout en manipulant le moins possible la matière. Si on commence à découper un pantalon cinq fois, on dépense autant d'énergie qu'en produisant une nouvelle pièce. On travaille aussi avec des fibres recyclées, comme des fils issus de bouteilles en plastique fondu qu'on retisse.
Pour la première fois, vous défilez en juin pendant la semaine de la mode masculine. Pourquoi ?
C'est le début de l'été, une période festive. Plus qu'un défilé, c'est un moment de rencontre. C'est cela que je questionne régulièrement : de quelle façon travaillons-nous ? Il faut ramener du sens dans la manière de s'adresser à notre communauté, et cela passe aussi par le défilé.
C'est pour cette raison que ce défilé a été ouvert au public ?
Je trouve que réduire notre défilé aux 400 personnes du milieu de la mode n'est pas à l'image de la maison. Nous avons donc mis en place une billetterie gratuite sur notre site Internet, en deux minutes les 900 billets sont partis.
Comment se porte votre entreprise ?
Nous sommes 100 % indépendants, présents dans 225 points de vente, et nous comptons 70 salariés. En 2019, l'apparition de notre site d'e-commerce nous a aidés à doubler notre chiffre d'affaires. Cela permet un contact direct avec nos clients. C'est aussi une nouvelle manière de vendre en ligne car ces pièces uniques, qui d'ailleurs ne sortent pas à un prix « couture », sont toutes photographiées une par une.
On vous sait très déterminée. Pensiez-vous arriver si loin et si vite ?
Honnêtement non. Mais tout cela est arrivé très naturellement.
Marine Serre en dates
1991 : naissance à Brive-la-Gaillarde (Corrèze).
2016 : diplômée de l'Ecole nationale supérieure des arts visuels de La Cambre (Bruxelles).
2017 : lauréate du Prix LVMH avec sa marque lancée la même année.
2018 : premier défilé à la fashion week femme de Paris avec sa collection Manic Soul Machine.
2020 : lauréate du prix de l'Andam.
2021 : nommée ambassadrice du design circulaire pour la mode par la Fondation Ellen MacArthur.
2022 : elle défile pour la première fois pendant la fashion week homme.
Propos recueillis par Astrid Faguer