Publicité
Récit

Coronavirus : les veilleurs de notre déconfinement

Une multitude d'institutions et de métiers organise le dépistage du Covid en période de déconfinement. Un système complexe mais qui laisse l'opportunité d'innover sur le terrain. Enquête.

Paris, le 19 mai 2020. Elise et Yves, deux infirmiers libéraux du 18ème arrondissement, se rendent chez leur premier patient de la journée afin de lui faire un test PCR.
Paris, le 19 mai 2020. Elise et Yves, deux infirmiers libéraux du 18ème arrondissement, se rendent chez leur premier patient de la journée afin de lui faire un test PCR. (Vincent Jarousseau pour 'Les Echos')

Par Elsa Freyssenet

Publié le 3 juin 2020 à 17:00Mis à jour le 3 juin 2020 à 18:14

Ils sont infirmiers libéraux à Paris, médecin généraliste à Perpignan, infectiologue, préfet en Seine-Saint-Denis, responsable d'une caisse primaire d'assurance-maladie ou d'une Agence régionale de santé en Bretagne et ils ont un point commun : ils n'ont pas encore programmé leurs vacances d'été. « Vacances… Vous avez un dictionnaire ? » ironise l'un d'eux. Tous participent au dépistage du coronavirus. La deuxième vague redoutée n'a pas eu lieu, mais ils ne veulent pas se réjouir trop vite. Cette épidémie les a surpris plus d'une fois, alors… « On reste à la merci d'un truc », dit l'un. « Si on se déshabille maintenant et que cela repart, on n'aura plus que les yeux pour pleurer », dit une autre. En fait, ils et elles veillent sur notre déconfinement .

Cas contacts

Loin des plages ou des terrasses de café enfin rouvertes, on se retrouve à Bobigny, dans le centre d'accueil de la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) dont le hall a été réaménagé en plateforme téléphonique. C'est ici qu'arrivent les noms des personnes testées positives au Covid et signalées par les médecins de ville, les hôpitaux et les laboratoires. Une trentaine de jeunes filles, situées à bonne distance les unes des autres et leur masques toujours à portée de main, sont pendues au téléphone : elles doivent appeler les patients, s'assurer qu'ils peuvent s'isoler et identifier les gens qu'ils ont côtoyés dans les derniers jours.

Cet après-midi, deux d'entre elles ont fort à faire : une adolescente de seize ans a été testée positive après avoir fêté l'Aïd en famille. Soit douze « cas contacts » à identifier par leurs noms, prénoms et date de naissance (afin d'éviter les homonymes), douze personnes à rappeler dans les 24 heures.

Publicité

 Si on braque les gens, on les perd et tracing s'arrête. 

A quelques mètres de là, Gwen, une étudiante embauchée en CDD pour l'occasion, est déjà passée à l'étape suivante de l'enquête : convaincre un gardien d'école dont la belle-mère est Covid+ de ne pas aller travailler. « On peut vous faire un arrêt de travail, il faut bloquer la propagation », dit-elle. Lui attend le résultat de son propre test pour se décider. Gwen insiste en passant par son épouse : elle sait qu'avec 30 % de tests faux négatifs, il ne faut pas prendre de risque dans certaines professions, mais elle évite tout discours moralisateur. « Si on braque les gens, on les perd et le tracing s'arrête », explique la directrice de la CPAM de Seine-Saint-Denis, Aurélie Combas-Richard. Il a ainsi fallu deux conversations téléphoniques et le passage par un échange en arabe pour qu'un vieil homme surmonte sa « honte » - le mot est de lui - d'être contaminé et accepte de donner les coordonnées de ses six grands enfants.

Rentrer dans l'intimité des gens est toujours délicat et parler leur langue maternelle agit souvent comme un brise-glace. A Bobigny, des personnels maîtrisent l'arabe, le bambara et le tamoul. D'autres sont prêts à résoudre les cas complexes d'accès aux soins (étudiants sans carte Vitale, sans-papiers sans AME…). Ici comme ailleurs, la confiance est la clef de l'efficacité. Ici davantage qu'ailleurs, il faut éviter toute analogie avec un dispositif policier. « Non, je n'ai pas besoin de vos papiers, je veux juste votre nom et votre date de naissance », entend-on sur la plateforme.

Ne pas parler de brigades

Alors personne ne parle de « brigade ». La première fois qu' Edouard Philippe a employé ce mot , on avait imaginé une armée de soignants et d'assistantes sociales se rendant au domicile des malades, avec masques et surblouses, pour organiser leur isolement, tester les familles et se renseigner sur leurs relations. C'est d'ailleurs le principe du dispositif Covisan lancé avec force publicité par l'AP-HP. Malgré les quelque 800 volontaires formés, Covisan ne couvre pas toute l'Ile-de-France et n'a pas été répliqué dans tout le pays. Ce schéma-là ne correspondait ni aux effectifs disponibles ni à l'organisation sanitaire de la France.

Paris, le 19 mai 2020. Chaque visite à domicile est préparée en amont. Elise et Yves prennent connaissent des renseignements des éléments transmis par les médecins généralistes et appelle les patients pour les prévenir de leur arrivée.

Paris, le 19 mai 2020. Chaque visite à domicile est préparée en amont. Elise et Yves prennent connaissent des renseignements des éléments transmis par les médecins généralistes et appelle les patients pour les prévenir de leur arrivée.Vincent Jarousseau pour 'Les Echos'

Chaque administration voulait en être, donc la loi a attribué les enquêtes individuelles à l'Assurance-maladie, l'accompagnement social aux préfectures en liaison avec les collectivités locales et la gestion des clusters aux Agences régionales de santé. Le tout avec trois systèmes informatiques que le Conseil constitutionnel a refusé de connecter pour protéger la vie privée.

On soupirait déjà devant cet enchevêtrement d'acteurs , lorsqu'on a découvert qu'il a finalement laissé pas mal de place à l'inventivité sur le terrain. C'est l'une des surprises de notre enquête : l'organisation varie d'un département à l'autre, voire d'une ville à l'autre. En fonction des effectifs disponibles, de l'efficacité des agences, des relations entre services publics et médecine libérale, en fonction aussi de la population.

Barnum et drive-in

L'ARS d'Ile-de-France a décidé d'amener le dépistage - gratuit - dans certains quartiers de banlieue. «Là où une partie élevée de la population n'a pas de médecin référent », explique le préfet de Seine-Saint-Denis, Patrick Lapouze. Les habitants sont accueillis dans des barnums sans rendez-vous ni carte Vitale. Gros succès à Clichy et Saint-Denis. D'autres « drive-in » - c'est l'expression retenue - sont donc programmés à Sevran, Pierrefitte, Montreuil, La Courneuve…

Malgré les familles nombreuses et les logements petits, le nombre de cas est limité (moins de 2% des personnes testées). Et sur tout le département, une seule personne a demandé à être isolée dans une chambre d'hôtel, un monsieur qui dormait jusque-là dans sa voiture.

Publicité

Bonnes nouvelles et mauvaises surprises

C'est, à l'échelle de la France, la bonne nouvelle de ce début d'été : le nombre de contaminations liées au déconfinement est bien inférieur aux estimations. A la veille du 11 mai, les épidémiologistes avaient avancé une fourchette de 1.800 à 4.000 nouveaux cas par jour. « En fait, on en a eu autour de 1.000 au début et 700 par jour depuis une semaine », explique aujourd'hui le directeur général de la CNAM, Nicolas Revel . Ce n'est pas tout : les formes de la maladie sont moins virulentes qu'il y a deux mois et les habitudes de distanciation prises lors du confinement ont permis de réduire de 20 à 3 ou 4 en moyenne le nombre de cas contacts.

Mais il y a aussi de mauvaises surprises. Le virus frappe là où on ne l'attend pas. Les Côtes-d'Armor étaient, jusqu'à début mai, « le département le plus épargné de France », selon la directrice de la CPAM, Elodie Poullin. Et puis sont apparus coup sur coup deux clusters, au centre hospitalier de Lannion et aux abattoirs de l'entreprise Kermené.

Comme des milliers de personnes étaient potentiellement menacées, les grands moyens ont été déployés. A Lannion, 500 personnes ont été testées en douze jours et 46 contaminations détectées. Aux abattoirs de Kermené, l'ARS de Bretagne a organisé deux vagues de dépistage massives à quatre jours d'intervalle, en s'appuyant sur le médecin du travail, des hospitaliers, le Samu, les pompiers… Le premier dépistage a eu lieu dans le secteur épaule-jambon, où travaillaient les premiers cas identifiés (209 tests, 65 cas positifs) et le second dans toute la division dédiée au porc (818 tests, 44 cas positifs) pour vérifier l'état de dissémination du virus.

Les professionnels du dépistage ont un indicateur clef : le pourcentage de cas Covid+ par rapport au nombre de personnes testées. Quand le premier testing de Kermené a donné le résultat de 30 %, bien supérieur au seuil de vigilance (5 %), ils ont donc élargi les recherches. Une fois que le résultat du deuxième testing est retombé à 5 %, ils se sont dit que le cluster avait été circonscrit. De son bureau à l'ARS de Bretagne, Anne-Briac Bili avertit néanmoins : « Le virus recule, mais il circule encore. »

 On a décloisonné le lien ville-hôpital et c'est cela qui a marché. 

« On ne peut pas se poser, on reste vigilant, car notre région est très touristique. » Cette fois, c'est Sylvain Pavageau, médecin généraliste à Perpignan, qui parle. Sa ville revient de loin : durement touchée par l'épidémie, elle faisait figure d'exception dans une région - l'Occitanie - globalement épargnée. Aucun nouveau cas n'a été détecté depuis le 11 mai, et cette victoire est en partie due à une étroite collaboration entre médecins de ville et hospitaliers .

« On a déconfiné le lien ville-hôpital et c'est cela qui a marché », poursuit Sylvain Pavageau. Enseignant de médecine générale à l'université, il a proposé dès le premier jour du confinement de mobiliser son réseau - quelque 200 médecins, internes et infirmiers  - pour ouvrir un accueil téléphonique à même de désengorger le 15 et des centres d'accueil dans les quartiers pour soulager les urgences. Le préfet a dit banco, le département a fourni le matériel et les infectiologues de l'hôpital sont venus former les généralistes au diagnostic sur simples symptômes (les tests manquaient à l'époque).

Culture « hors les murs »

Ces centres ont été maintenus pour le déconfinement. Par volonté de poursuivre une collaboration fructueuse, mais aussi par dénuement côté ARS. « La délégation des Pyrénées-orientales n'emploie aucun soignant », dit-il. Alors les clusters potentiels sont surveillés par les équipes mobiles de l'hôpital qui visitent les Ephad, les établissements médico-sociaux, les squats, et ont noué de longue date des partenariats avec le Secours populaire et les Restos du coeur. « J'ai tous les jours une équipe dehors, souligne le chef du service d'infectiologie Hugues Aumaître . On a une grosse culture hors les murs, car nous sommes dans un département pauvre et de montagnes, avec une vraie difficulté d'accès aux soins. » Ici la pénurie a favorisé le décloisonnement, l'entraide et l'inventivité.

Dans le 18e arrondissement de Paris, c'est l'activisme et la force de conviction de quelques soignants libéraux qui a permis de monter des équipes mobiles de visite à domicile. Le Dr Kore Mognon et son ami d'enfance l'infirmier Samy El Amri venaient d'ouvrir leur maison de santé, à proximité de l'hôpital Bichat, lorsque l'épidémie a démarré. « Améliorer le parcours des patients grâce à une continuité des soins entre la ville et l'hôpital », ils en rêvaient. Alors quand la direction de l'hôpital leur a demandé de concevoir un processus de dépistage du coronavirus à domicile, c'était presque le Graal. « Bichat a pris le parti d'être en soutien, pas moteur. L'hôpital qui se met à la disposition de la médecine de ville, on n'avait jamais vu ça ! » s'enthousiasme Samy El Amri.

Ils s'y sont mis avec ténacité et beaucoup de culot : ils ont frappé à la porte de l'ARS, de l'AP-HP et de la Mairie de Paris pour obtenir du matériel et des locaux ; ils ont mobilisé les infirmiers libéraux de l'arrondissement pour monter des équipes. Les locaux sont spartiates (deux pièces dans un immeuble industriel) et le nombre de surblouses pour les soignants reste un « sujet sensible ». « Mais tout le monde arrive à travailler ensemble. Si cela laissait des traces pour l'après, ce serait tellement beau », reprend Kore Mognon.

Paris, le 19 mai 2020. Elise et Yves écoutent les conseils de l'infirmier-coordinateur des équipes mobiles, Samy El-Amri.

Paris, le 19 mai 2020. Elise et Yves écoutent les conseils de l'infirmier-coordinateur des équipes mobiles, Samy El-Amri.Vincent Jarousseau pour 'Les Echos'

Equipes mobiles

Ce jour-là, un binôme d'infirmiers, Elise et Yves, fait sa tournée. Les personnes à visiter leur sont adressées par les médecins généralistes et les hôpitaux pour suspicion de Covid (ils n'ont pas accès aux fichiers de la CNAM) : un précaire isolé, sans travail, donc sans argent, à qui ils proposent la livraison de repas gratuits par la Ville de Paris ; des jeunes en colocation qu'il faut convaincre de rester chez eux. « S'adapter aux domiciles des patients et à leurs conditions de vie, c'est notre métier », explique Yves. « D'habitude, on connaît nos patients. Là non et on ne retourne pas les voir. Donc il faut tout mettre en place en une visite et faire le lien avec le médecin traitant », complète Elise.

Dans trois autres arrondissements de Paris, des équipes similaires se sont montées ; ailleurs, ce sont les volontaires de Covisan qui assurent. Dans le 18e, le dispositif était dimensionné pour faire tourner quatre équipes par jour. Le recul de l'épidémie n'en nécessite qu'une. Alors Kore Mognon et Samy El Amri réfléchissent au chantier suivant : « Quel dispositif mettre en place dans la durée pour être prêts si le virus repart à l'automne ? »

>>> Quels ont été les effets du confinement ? Qu'ont annoncé Emmanuel Macron et Edouard Philippe ? Quelles sont les nouvelles règles ? Qu'est-ce que le triptyque : « Protéger, tester, isoler » sur lequel est fondée la stratégie de déconfinement ? Quels sont les 4 indicateurs suivis de près pour traquer l'évolution de l'épidémie et prendre le cas échéant de nouvelles mesures s'ils dépassent certains seuils ?

Réponses ici dans le dossier spécial des « Echos » .

Elsa Freyssenet

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité