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Pourquoi les écoles de commerce changent-elles de nom ?

Depuis 15 ans, sur les 20 premières écoles de commerce françaises du classement 2019 établi par Le Figaro Etudiant, 15 ont changé de nom ! Seules HEC, l’ESSEC, l’ESSCA, l’IÉSEG et l’ICN ont conservé le leur.

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Les réponses possibles sont multiples… (Syda Productions / Shutterstock)
Publié le 3 janv. 2019 à 11:05Mis à jour le 3 janv. 2019 à 11:29

Les changements de nom de marque ont émergé dans l’industrie et les services au début des années 1990, puis se sont développés dans les années 2000. Parmi ces changements emblématiques, dont beaucoup sont devenus des cas d’école ou des sujets de thèse, nous pouvons citer : Treet’s en M&amp ;M’s, Raider en Twix, Pal en Pedigree, Andersen Consulting en Accenture, L’Alsacienne en Lu, Gemey en Maybelline. Parfois, ce sont des entreprises ou des groupes qui ont changé de nom : BSN en Danone, SNECMA et Sagem en Safran, CGE en Vivendi, GDF Suez en Engie, France Télécom en Orange, etc.



En 1991, Raider devient Twix… et le fait savoir !

Des partis politiques ont eux aussi changé leur nom : l’UMP (Union pour un mouvement populaire) en LR (Les Républicains), le FN (Front national) en RN (Rassemblement national). Quant aux régions françaises, après la réforme de 2014, 15 d’entre elles ont fusionné et ont adopté, pour certaines, un nouveau nom : Occitanie, Hauts-de-France, Grand-Est.

Deux types de changements

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A notre connaissance, aucun secteur d’activité en France n’a connu un tel bouleversement des dénominations comme le marché des écoles de commerce françaises. Qu’il paraît antédiluvien, le réseau des ESCAE (École Supérieure de Commerce et d’Administration des Entreprises) ou celui des ESC (École Supérieure de Commerce) !

On peut classer les changements de nom d’entreprise en deux types. D’abord, les créations d’un nouveau nom qui n’a rien à voir avec le précédent, à l’image d’Audencia, Kedge, Skema ou Neoma. Deuxième type : les simples évolutions, comme EDHEC Business School, ESCP Europe ou IMT Business School.

Dans les deux cas, les changements de nom doivent être considérés comme une décision stratégique et marketing (Eric Delattre, 2002). Les raisons qui ont généré cette vague de changements sans précédent sont plutôt identiques à celles qui ont poussé les entreprises à changer de dénomination. Mais le processus, dans le cas des écoles de commerce, s’est fait plus brutalement et à marche plus forcée.

L’internationalisation

La première des raisons est bien sûr l’internationalisation. Le marché des Business schools et autres écoles de gestion ou de management est devenu mondial. S’insérer dans la concurrence internationale n’est d’ailleurs pas une option pour celles qui souhaitent figurer en bonne place dans les classements nationaux ou internationaux, mais une obligation. Or, pour les non francophones, "Sup de Co", "École de Commerce" ou "École de Gestion", ne signifient rien. Et ce d’autant plus que le système français dit des "Grandes écoles" est unique au monde. D’où la création des marques TBS (Toulouse Business School), MBS (Montpellier Business School), RSB (Rennes School of Business), BSB (Burgundy School of Business).

Mais avec de tels noms, la différenciation se fait seulement par la ville. Quant aux sigles (ICN ou IÉSEG par exemple), ils sont difficilement compréhensibles à l’étranger. Certains établissements ayant des sigles pour nom, ont alors accolé une dimension internationale à une marque existante : ESCP-EAP est devenu ESCP Europe, et EDHEC, EDHEC Business School.

La différenciation

La seconde raison est le besoin de différenciation. Dans cette optique, le changement de nom radical a trouvé ses adeptes : Skema, Audencia, Kedge, Neoma. Il permet de bien distinguer chaque établissement par la création d’une marque nouvelle et originale. Mais le risque réside dans le coût d’un tel changement et dans le temps qu’il faut pour installer la notoriété de la nouvelle marque. Certaines écoles, pour ne plus être assimilées aux traditionnelles Sup de Co, sont devenues des écoles de management (siglées en EM) : EM Lyon, Grenoble EM, EM Normandie, EM Strasbourg. Paradoxalement, en utilisant la même dénomination "EM", elles réduisent d’autant leur différenciation, avec parfois des conflits juridiques.

Les fusions

La troisième raison est le nombre de rapprochements ou fusions affectant les anciennes écoles de commerce. Skema est née de la fusion, en 2009, de l’ESC Lille et du Ceram Business School de Sophia Antipolis ; Kedge de la fusion d’Euromed Marseille et de Bordeaux Ecole de Management en 2013 ; Neoma de la fusion, la même année, de Reims Management School et de Rouen Business School.

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« Fusions d’écoles de commerce : signal de crise ou d’offensive ? », interview de Bernard Belletante, directeur général de l’EM Lyon, pour Xerfi canal, 2016.

La course à la taille et les délocalisations

Enfin, la quatrième raison, liée aux précédentes, est la course à la taille et la nécessité de s’implanter à l’étranger pour trouver des ressources supplémentaires et couvrir des frais de fonctionnement toujours plus élevés. Presque toutes les écoles du Top-20 français ont déjà plusieurs campus, dans l’Hexagone ou à l’étranger.

La jungle des noms

Il faut noter que les trois plus prestigieuses écoles ont échappé à la valse des changements drastiques de nom. HEC et l’ESSEC n’ont pas voulu perdre leur capital de "marque". Et l’ESCP a simplement rajouté le terme Europe pour mieux signifier l’implantation de ses campus dans plusieurs villes d’Europe.

Le cas d’HEC est symptomatique de la politique de marque agressive que se livrent les grands établissements. Pour des raison historiques, HEC n’a pas su protéger sa "marque". Elle a donc rajouté Paris à son nom et à son logo pour se distinguer de ses concurrentes HEC Montréal, HEC Lausanne, HEC Liège et bien d’autres HEC qui n’ont pas de lien juridique avec elle. Dans cette jungle des noms, la lisibilité des écoles n’est évidente ni pour le grand public, ni pour les recruteurs. Nombre d’écoles ayant changé de nom, sont encore appelés "ex-Sup de Co" dans les conversations.

Des défis immenses et des pressions fortes

Les défis pour les écoles de commerce, ou plutôt Business Schools, françaises sont nombreux et immenses : internationalisation, course à la taille, implantation hors de France, fusions, rapprochements, concurrence acharnée, différenciation, besoin de notoriété, pression commerciale et financière, recherche de compétitivité.

D’un côté, elles doivent accroître leur chiffre d’affaires en attirant des étudiants du monde entier, en optimisant les frais de scolarité et en multipliant les partenariats avec les entreprises (chaires, parrainage, etc.). De l’autre côté, elles doivent faire face à une forte augmentation de leurs coûts et investissements pour ouvrir ou rénover de nouveaux campus, attirer des enseignants-chercheurs de haut niveau et multiplier les divers programmes (Bachelor, Master, MBA, MSC, Doctorat, Executive Education, etc.). Et pour convaincre, non seulement leurs clients potentiels (étudiants et entreprises), mais aussi les prescripteurs (médias, tels le Financial Times, Le Point, Le Figaro ou l’Étudiant) et les organismes d’accréditation qui font la pluie et le beau temps dans le business des Business Schools.

La bataille sera rude tant au niveau français qu’international. Combien de marques de Business Schools françaises parviendront à s’imposer sur un marché où l’offre semble assez similaire ? La double pression commerciale et financière risque d’accélérer les fusions ou les relégations en "deuxième division", pour reprendre un terme footballistique. Et bien peu de marques atteindront le niveau de notoriété et de réputation des Harvard, Stanford, INSEAD ou London Business School.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Phillippe Villemus, Professeur à Montpellier Business School – UGEI

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