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Témoignage

« J'ai quitté la banque d'investissement pour lancer ma boulangerie à New York »

TEMOIGNAGE// Gus Reckel, 47 ans, a travaillé durant plus de quinze ans dans la finance entre Paris, Londres et New York. Il a tout plaqué en 2014 et gère aujourd'hui une boulangerie aux Etats-Unis.

Le Français Gus Reckel, 47 ans, gère une boulangerie qui dénombre une dizaine de salariés.
Le Français Gus Reckel, 47 ans, gère une boulangerie qui dénombre une dizaine de salariés. (DR)

Par Chloé Marriault

Publié le 4 mai 2021 à 18:21Mis à jour le 4 mai 2021 à 20:11

« Mes parents étaient à la tête d'une auto-école à Nancy et recevaient beaucoup d'élèves qui étudiaient dans l'école de commerce de la ville. Ils aimaient bien leur style et rêvaient que je fasse moi aussi une école de commerce. A leur grande joie, j'ai intégré Audencia, à Nantes, après une prépa HEC. Mes études se sont conclues en 1997 par un stage à la Société Générale, avant d'exercer pour cette banque en Suisse. J'ai ensuite travaillé pour le Crédit commercial de France (devenu HSBC), le Crédit Agricole, Lehman Brothers et la banque d'investissement japonaise Nomura, en occupant divers postes. Dans l'ensemble, j'adorais ce que je faisais.

En 2012, j'ai été envoyé à New York par Nomura en vue de développer les opérations de financement sur titres avec la clientèle américaine. Au bout de deux ans et demi, on m'a rapatrié à Londres, où j'avais vécu entre 2005 et mon départ aux Etats-Unis. Ce retour s'est fait un peu contre mon gré… J'avais 40 ans et l'impression de rester au milieu du gué.

Côté travail, je gagnais très bien ma vie mais n'avais plus vraiment de perspectives. Je n'avais jamais été très bon pour me vendre en interne et je me disais que je ne pourrais jamais devenir managing director. Je commençais à m'ennuyer, à être fatigué. Et puis l'ambiance dans la finance avait vraiment changé depuis mes débuts. C'était un secteur beaucoup plus réglementé et la responsabilité personnelle que j'engageais dans ces opérations était devenue disproportionnée.

Faire quelque chose de concret

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Des amis qui géraient un café à New York m'avaient dit que c'était très facile de créer un établissement comme le leur. Si on lance un business viable aux Etats-Unis, on décroche un visa. L'idée a fait son chemin… Je me suis dit que ce serait bien d'ouvrir un café français. Il y avait encore très peu de bon pain là-bas, alors j'ai pensé en acheter à un grossiste pour le revendre dans mon café. Finalement, j'ai eu envie de faire quelque chose avec mes mains, de concret, et j'ai préféré me former à la boulangerie pour faire le pain moi-même. Début 2014, j'ai quitté Nomura pour repartir à New York.

Grâce à mes économies issues de ma carrière dans la finance, j'ai acheté un immeuble de trois étages à Brooklyn, à deux pas du café de mes amis. L'idée : ouvrir une boulangerie-café au rez-de-chaussée et louer les étages supérieurs sous forme d'appartements. Je me suis inscrit dans une école de la ville pour suivre une formation de dix semaines en boulangerie. Quelques mois plus tard, en juin 2015, l'établissement que j'ai nommé 'L'imprimerie' ouvrait ses portes.

Gus Reckel se lève aux aurores pour produire des viennoiseries.

Gus Reckel se lève aux aurores pour produire des viennoiseries.DR

J'ai eu la liberté de faire ce projet quand j'étais célibataire et sans enfant. N'ayant jamais été un grand dépensier avec des goûts de luxe, ça ne me rendait pas malheureux de savoir que je n'aurais peut-être pas beaucoup d'argent. C'était forcément plus simple de se dire que si me plantais, je n'embarquais pas avec moi ma femme ou mon mari et mes enfants.

Réveil à 3 heures du matin

J'ai très vite été vu comme le boulanger frenchy et cela a aidé en termes d'image. Mais ce projet n'a pas été de tout repos, bien au contraire. Mon établissement est ouvert 365 jours par an. J'ai bossé non-stop les premières années et fait une croix sur ma vie sociale à ce moment-là. Au départ, j'avais seulement une personne à temps complet pour m'aider, contre une dizaine d'employés aujourd'hui.

Mon réveil sonne quasi quotidiennement à 3 heures. Je commence le travail à 3h30 et prépare les pains, viennoiseries et quiches jusqu'à midi. L'après-midi, je m'occupe de la gestion : il faut payer les factures, verser les salaires, gérer les stocks… Et depuis la crise sanitaire, gérer les commandes. La pandémie ne nous a pas trop impactés, nous ne pouvons plus servir nos cafés à table mais le service à emporter fonctionne bien.

Fier de gérer un établissement viable

J'ai voulu créer un établissement bien implanté dans son quartier et créer un lien fort avec les habitants. Nous communiquons beaucoup sur Instagram, en expliquant ce qui va bien mais également nos déboires. Ce lieu se veut aussi engagé. Je me revendique comme étant gay, un drapeau LGBT flotte sur la devanture et 80 % du staff est LGBTQI.

La boulangerie du Frenchy reconverti s'engage en faveur des droits LGBT.

La boulangerie du Frenchy reconverti s'engage en faveur des droits LGBT.L'imprimerie

Ma vie est ici désormais. J'ai gardé ma nationalité française mais j'ai fait une demande récemment pour décrocher en parallèle la nationalité américaine. Ma green card prend fin dans huit ans, son renouvellement n'est jamais garanti à 100 % et je souhaite m'assurer de ne pas avoir de problèmes pour rester. J'aimerais aussi pouvoir voter.

New York est une ville assez épuisante, polluée et bruyante. J'aspire à une vie plus calme à la campagne, peut-être ailleurs dans l'Etat. Mais pour l'heure, je suis fier et heureux de gérer cet établissement, et surtout, qu'il soit viable. Je ne suis pas le prochain Pierre Hermé mais mes seules ambitions sont d'avoir un endroit 'sûr' pour notre communauté et de faire le meilleur pain possible. »

Propos recueillis par Chloé Marriault

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