Résolution « historique » de l'ONU pour la justice climatique
La Cour internationale de justice pourra statuer sur les efforts des Etats dans la lutte contre le réchauffement climatique selon la résolution des Nations unies adoptée mercredi. Mais des interrogations subsistent.
Par Richard Hiault
C'est une grande victoire du Vanuatu. En première ligne pour les désastres occasionnés par le dérèglement climatique, ces îles du Pacifique ont obtenu dans la nuit de mercredi à jeudi une avancée majeure au siège des Nations unies. L'Assemblée générale de l'Organisation a en effet adopté une résolution demandant à la plus haute juridiction mondiale - la Cour internationale de justice (CIJ) - de définir les obligations des Etats en matière de lutte contre le changement climatique.
Lancée en 2021, l'initiative du gouvernement du Vanuatu , soutenue par une coalition de plus de 130 pays, visait à accélérer les engagements des Etats à réduire effectivement leurs émissions de gaz à effet de serre. Le Vanuatu et ses alliés espèrent donc que le futur avis de la CIJ, attendu d'ici à environ deux ans, encouragera les gouvernements à accélérer leur action, par eux-mêmes ou via les recours contre les Etats qui se multiplient dans les tribunaux à travers le monde.
Incertitudes
Avancée « historique », « moment qui fera date », « triomphe de la diplomatie climatique internationale », les envolées lyriques des ONG et de nombreux Etats n'ont pas manqué pour saluer cette avancée. « Ensemble, vous écrivez l'histoire », a lancé le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres.
#UNGA adopts resolution requesting advisory opinion of @CIJ_ICJ on countries' obligation to address the climate crisis. https://t.co/XZv6ViXCJy #ClimateAction pic.twitter.com/EeffrhemeO
— United Nations (@UN) March 30, 2023
Aujourd'hui, nous avons été témoins d'une victoire épique pour la justice climatique.
Ishmael Kalsakau (VANUATU)
« Aujourd'hui, nous avons été témoins d'une victoire épique pour la justice climatique », a commenté, pour sa part, Ishmael Kalsakau, Premier ministre de l'archipel qui a été ravagé début mars par deux puissants cyclones en quelques jours.
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Reste toutefois de nombreuses incertitudes. D'abord, l'avis de la CIJ n'est pas contraignant. Les engagements nationaux des Etats à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de l'accord de Paris ne le sont d'ailleurs pas plus. « Je ne vois pas ce que la Cour pourrait dire d'utile », a indiqué à l'AFP Benoît Mayer, spécialiste de droit international à l'Université chinoise de Hong Kong, qui à l'inverse évoque le risque d'un avis « contraire à ce que désiraient les tenants de la requête ».
La Chine et les Etats-Unis absents
Pour Kristin Tilley, ambassadrice du climat pour l'Australie, interrogée par Bloomberg, cette résolution clarifie les « obligations de tous les Etats, y compris tous les principaux émetteurs, ancien président et futur ». « Il est très clair que les dirigeants des îles du Pacifique voient cette initiative comme un moteur de l'élan mondial vers 1,5 degré. »
Nous sommes très préoccupés par le fait que ce processus puisse compliquer nos efforts collectifs et ne nous rapproche pas des objectifs communs.
Nicholas Hill (ETATS-UNIS)
Certes, mais les deux plus grands émetteurs de gaz à effet de serre - les Etats-Unis et la Chine - ne font pas partie des quelque 130 Etats ayant cosponsorisé l'initiative. Washington a même clairement indiqué après l'adoption son désaccord. « Nous sommes très préoccupés par le fait que ce processus puisse compliquer nos efforts collectifs et ne nous rapproche pas des objectifs communs » climatiques, a déclaré le représentant américain Nicholas Hill, soulignant préférer la « diplomatie » à un « processus judiciaire » qui risque « d'accentuer les désaccords ».
La CEDH aussi saisie
Professeur de droit à l'Université d'Amsterdam et conseillère principale du Vanuatu, Margaretha Wewerinke-Singh, estime cependant que la résolution pourrait permettre de répondre à la question de savoir si des projets comme un gigantesque plan de forage pétrolier ConocoPhillips dans le nord-ouest de l'Alaska sont conformes aux engagements mondiaux des Etats-Unis en matière de climat. « C'est un conseil à tous les Etats membres de l'ONU, sans aucune exception. Les Etats ne peuvent pas trouver d'excuses », a-t-elle ajouté dans une interview à Bloomberg. Même si les avis de la CIJ ne sont pas contraignants, ils portent un poids légal et moral important, souvent pris en compte par les tribunaux nationaux veulent croire les partisans de l'initiative.
A cet égard, la communauté internationale suivra de près la prochaine décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Cette dernière a été saisie par des retraitées suisses et un ancien maire français pour que la France et la Suisse fassent mieux en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Dans les deux cas, les requérants veulent démontrer que le manque d'efforts de leurs pays dans ce domaine enfreint les droits de l'homme, en particulier les droits à la santé et à la vie. La CEDH examinera la recevabilité et le fond de ces affaires puis rendra ses décisions dans quelques mois.
Richard Hiault