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Covid2019 : que signifient ces ruées dans les magasins en Asie ?

L'apparition du coronavirus Covid2019 nous a plongés en pleine crise. En Asie, la ruée vers le papier toilette et d'autres produits de première nécessité dans les supermarchés est une réponse comportementale naturelle à la perte de contrôle psychologique.

Les spécialistes des sciences sociales considèrent plutôt ce phénomène comme une réaction instinctive et collective face à un sentiment de peur, d'autant plus que celui-ci est exacerbé par les réseaux sociaux.
Les spécialistes des sciences sociales considèrent plutôt ce phénomène comme une réaction instinctive et collective face à un sentiment de peur, d'autant plus que celui-ci est exacerbé par les réseaux sociaux. (Miguel Candela/SOPA Images/Sip)
Publié le 25 févr. 2020 à 07:00Mis à jour le 25 févr. 2020 à 09:01

Face à une épidémie de coronavirus Covid2019 galopante, faire des réserves de masques faciaux est une réaction tout à fait compréhensible. En revanche, la ruée vers les produits d'épicerie sèche, le papier toilette et d'autres articles dont on n'avait jusqu'à présent jamais manqué, semble moins logique.

À Singapour, les images de rayons vides et de clients achetant de grandes quantités de papier toilette, essuie-tout, serviettes en papier, riz et nouilles instantanées ont fait le tour des réseaux sociaux après que la ville-état a haussé son niveau d'alerte, le faisant passer de jaune à orange face à l'augmentation du risque d'épidémie. Cette vague sur-consommatrice en grande quantité a poussé certains magasins à imposer un plafond à leurs clients pour les achats de produits secs et de légumes, tandis que le Premier ministre Lee Hsien Loong a, quant à lui, appelé au calme en affirmant aux Singapouriens : « Nos stocks sont largement suffisants, il n'est pas nécessaire de faire des réserves ».

Pendant ce temps-là, à Hong Kong, les rouleaux de papier toilette et les produits d'entretien sont devenus une denrée très prisée. Les consommateurs ont vidé les rayons de ces produits de base. Les commerçants ont également remarqué une hausse des ventes de raviolis surgelés et de bouteilles d'eau. On a même rapporté des vols de papier toilette par des gangs armés à Hong Kong. En effet, le papier hygiénique est devenu la toute nouvelle monnaie en vogue dans cette région. En Indonésie, où aucun cas de Covid2019 n'a été rapporté par le ministère de la santé ni l'Organisation mondiale de la santé (OMS), on a assisté à des ruées sur les produits alimentaires de base, ce qui a fait grimper le prix des piments, de l'ail, des oeufs et des aubergines jusqu'au double de leur prix habituel.

Des achats thérapeutiques

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Ce comportement paraît difficilement compréhensible étant donné qu'il n'existe pas de pénurie de ces produits. Alors que certains rapports ont attribué ces achats paniques à une méfiance croissante à l'égard des autorités chinoises, de leur capacité à assurer la sécurité de la population ou à leur dire la vérité, les spécialistes des sciences sociales considèrent plutôt ce phénomène comme une réaction instinctive et collective face à un sentiment de peur, d'autant plus que celui-ci est exacerbé par les réseaux sociaux. Par ailleurs, il est également prouvé que se focaliser sur des achats utiles est une réaction comportementale courante face au stress et à l'incertitude. Ce sont des achats thérapeutiques en quelque sorte. Au lieu de d'acheter compulsivement des vêtements ou des gadgets à la mode, ici les consommateurs achètent des produits utiles qui leur permettent de résoudre une problématique, ce qui renforce leur sentiment de contrôle.

Dans mes travaux de recherches menés avec Charlene Y. Chen et Leonard Lee nous avons examiné les types de produits qui attirent les consommateurs lorsque ceux-ci se sentent privés de contrôle. Nous avons émis l'hypothèse, et constaté, que les consommateurs compensent la perte de contrôle perçue par l'acquisition de produits utiles conçus pour répondre à un besoin de base ou pour accomplir une tâche. Une analyse plus approfondie a montré que cette préférence était due à l'association de ces produits à la résolution de problèmes ou à leur capacité à aider à gérer un problème.

Dans le cadre de ces travaux de recherche, nous relatons aussi qu'avant une virée au supermarché, lorsqu'on leur avait demandé de se souvenir d'une situation de perte de contrôle sur leur environnement, un groupe d'individus avait acheté des articles plus utiles (comme des ingrédients culinaires et des produits d'entretien) qu'un autre groupe à qui l'on avait demandé de se souvenir d'une situation où ils exerçaient un certain contrôle. Des études ultérieures ont montré, par exemple, que les consommateurs dont le sentiment de contrôle était menacé étaient beaucoup plus susceptibles de préférer des chaussures confortables à des chaussures à la mode, ou plus enclins à une séance de massage thérapeutique qu'à un massage relaxant.

Une impression de contrôle

Dans le cas présent, la perte de contrôle ne signifie pas être hors de contrôle ou manquer d'autodiscipline. Il s'agit de l'expérience courante et fondamentale où l'on est dans l'incapacité de prendre des mesures pour remédier à une situation ou produire un résultat souhaité dans un environnement donné. Il est important de noter que la perte de contrôle diffère du manque d'autonomie, qui correspond au sentiment de ne pas avoir le pouvoir d'agir selon sa propre volonté.

Les habitants des pays - et plus encore des villes - à forte densité de population où règne une véritable crainte de pandémie peuvent se sentir stressés à l'idée d'une propagation du virus. Ils peuvent aussi céder à la panique qui s'installe autour d'eux. Ils cherchent alors à contrebalancer cela en exerçant un contrôle sur leur propre vie, notamment en achetant des produits utilitaires.

Compte tenu des 50 millions de personnes actuellement en quarantaine en Chine et de la rapidité de propagation du Covid-2019, il est peu probable que l'achat de lingettes pour les mains, de nouilles instantanées ou même de masques faciaux puisse assurer la sécurité sanitaire de la population. Cependant, le simple fait d'acheter ces produits peut contribuer à rassurer les individus, les aider à garder leur calme et leur donner le sentiment qu'ils ont encore un certain contrôle sur leur vie.

Cette chronique vous est proposée par Andy J. Yap, professeur assistant de psychosociologie des organisations à l'Insead  et Charlene Y. Chen, professeure assistante de marketing à la Nanyang Business School.

Andy J. Yap et Charlene Y. Chen

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