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Supprimer les vols intérieurs pour réduire les émissions de CO2, bonne ou mauvaise idée ?

Chaque jeudi, c'est Le Match. On confronte deux opinions autour d'une question… et à vous de forger votre propre point de vue// Aujourd'hui, une nouvelle question : mettre fin aux vols intérieurs qui peuvent être remplacés par des trajets en TGV de moins de quatre heures, bonne ou mauvaise idée ?

La semaine dernière, la Convention citoyenne pour le climat a rendu publiques ses 149 propositions. L'une d'elles préconise la suppression des vols intérieurs quand il existe une alternative bas carbone qui dure moins de quatre heures à l'horizon 2025.
La semaine dernière, la Convention citoyenne pour le climat a rendu publiques ses 149 propositions. L'une d'elles préconise la suppression des vols intérieurs quand il existe une alternative bas carbone qui dure moins de quatre heures à l'horizon 2025. (SIPA)

Par Léa Taieb

Publié le 1 juil. 2020 à 08:00Mis à jour le 3 juil. 2020 à 14:44

La semaine dernière, la Convention citoyenne pour le climat a rendu publiques ses 149 propositions. L'une d'elles préconise la suppression des vols intérieurs quand il existe une alternative bas carbone qui dure moins de quatre heures à l'horizon 2025. Cette mesure permettrait d'atténuer les 4 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports causées par les vols intérieurs.

Le groupe de citoyens s'appuie sur les recherches de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) : un aller-retour Paris-New York pour une personne émet autant de CO2 que la consommation annuelle du domicile d'une personne. En comparaison, un Paris-Marseille consommera 7,5 fois moins.

« Nous allons demander […] qu'Air France se retire des lignes, notamment vers Orly, pour lesquelles il existe une alternative ferroviaire à moins de deux heures et demie », déclare dans la foulée Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'Etat chargé des transports, sur RTL. Il a précisé que la suppression des vols intérieurs concernerait toutes les compagnies aériennes.

En Europe, les vols sur de très courts trajets sont largement décriés. Dernier scandale en date : la ministre flamande qui a pris l'avion pour seulement 55 kilomètres. La « honte de prendre l'avion » (« flygskam », en suédois) popularisé par Greta Thunberg, réunit de plus en plus d'adeptes. Pour preuve, sur les sept premiers mois de 2019, sur leurs vols intérieurs, les compagnies aériennes suédoises ont accueilli 8,7 % de passagers en moins , au profit du transport ferroviaire et du hashtag #trainbrag (la fierté de prendre le train).

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La suppression des vols intérieurs pour limiter les émissions de dioxyde de carbone est-elle souhaitable ? Sans aucun doute répond le collectif Citoyens pour le Climat qui appelle à réduire radicalement notre empreinte carbone pour respecter les Accords de Paris et l'objectif de réduction de 75 % de nos émissions de CO2 d'ici à 2050. À l'inverse, Jean-François Dominiak, le président du syndicat des compagnies aériennes autonomes, assure que le train n'est pas aussi écologique qu'on le croit et rappelle le caractère vertueux de l'industrie aéronautique.

Pour : le collectif Citoyens pour le Climat

Les vols intérieurs en France représentent environ 4 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, lui-même responsable de 30 % des émissions françaises . 4 % de 30 %, cela semble peu.

Si le chiffre paraît faible, c'est que le reste des émissions est bien trop élevé. Avec plus de cinq millions de tonnes de CO2 émis par an, le trafic national actuel représente à lui seul le budget carbone annuel que pourraient se permettre deux millions et demi de Français, dans un scénario compatible avec les Accords de Paris. La nécessaire division par un facteur six de notre empreinte carbone ne permet pas d'ignorer un tel levier d'action.

Selon les prévisions de l'organisation de l'aviation civile internationale, même en tablant avec optimisme sur une amélioration de l'efficacité énergétique de 30 %, les émissions du secteur aéronautique vont être multipliées par quatre d'ici à 2050 . Sans intervention de l'Etat, il n'y a aucune raison d'imaginer que le trafic intérieur ne suivra pas une trajectoire analogue.

D'autre part, le ratio bénéfice/coût environnemental de ces vols apparaît bien médiocre. Un Paris-Marseille produit 45 fois plus de CO2 en avion (1h20) qu'en train (3h20). Et son pouvoir réchauffant est en fait plutôt 100 fois supérieur, à cause des émissions d'autres gaz réchauffants et de l'impact des traînées de condensation.

Face à l'urgence climatique, nous devons nous poser la question : est-ce que « gagner deux heures » justifie de multiplier l'effet de réchauffement de notre déplacement par 100 ?

Cette mesure vient réinterroger notre rapport à la rapidité, au travail. 30 % des trajets en avion se font pour motifs professionnels. Quelle partie de ces déplacements nécessite réellement une présence physique de la personne qui fera le plus souvent l'aller-retour dans la journée ?

De plus, ce type de mesure est plus équitable qu'une taxation du kérosène, automatiquement reportée sur les passagers avec des conséquences bien différentes en fonction des revenus. Sur le tiers des Français qui prend l'avion plus d'une fois par an, en 2017, on ne retrouvait que 2 % d'ouvriers (alors qu'ils représentent 20 % de la population active), mais 50 % de « classes supérieures », le double de leur proportion dans la population française totale, selon les chiffres de la Direction générale de l'Aviation civile datés de 2017.

Bien sûr, la suppression doit être étudiée trajet par trajet. Mais à noter que la limite de quatre heures posée par la Convention citoyenne pour le climat est cohérente avec les règles déjà imposées aux transports professionnels pour les fonctionnaires . A l'inverse, celle de 2h30 de trajet proposée par Emmanuel Macron est en contradiction avec les préconisations de la Cour des comptes , et permet de maintenir arbitrairement les lignes aériennes entre Paris et Marseille, Brest, Montpellier,… Autant de vols qui pourraient avantageusement être remplacés par un trajet en train, sous réserve d'un alignement des prix et du développement d'interconnexions génératrices d'emplois.

Contre : Jean-François Dominiak, le président du syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA) qui regroupe 50 % des compagnies aériennes françaises, basées en métropole et dans les territoires ultramarins.

Supprimer les vols intérieurs, ce n'est tout simplement pas une bonne solution. Avec cette interdiction, on passe à côté de la seule question fondamentale en matière de réduction des émissions de CO2 : comment rendre plus vertueux les moyens de communication ?

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Un récent rapport du Sénat a mis en évidence le fait que l'utilisation d'Internet, que l'on pourrait imaginer être une bonne alternative aux déplacements des personnes, serait deux fois plus polluante que l'avion et représenterait à l'horizon 2030, 7 % des émissions de CO2, quand l'avion compte pour seulement 3 % des émissions mondiales.

La ministre de la Transition écologique et solidaire, après avoir instauré une taxe sur le transport aérien en mai 2019 pour financer le développement du transport ferroviaire, s'interroge sur le bilan carbone de ce même transport ferroviaire et demande qu'une étude sur le sujet soit menée rapidement.

Le transport aérien n'a pas à rougir de son empreinte environnementale par rapport au transport ferroviaire. Rappelons que l'électricité qui alimente le TGV est produite majoritairement par des centrales nucléaires - dont la solution au stockage des déchets radioactifs sous terre ou dans les mers n'est pas satisfaisante -, ou par des centrales thermiques à charbon ou à pétrole, dont il n'est pas besoin de démontrer la nocivité en termes d'émission de CO2. En 2014, un rapport de la Cour des comptes intitulé « La grande vitesse ferroviaire : un modèle porté au-delà de sa pertinence » précisait que « si le taux d'occupation du TGV était inférieur à 50 %, le bilan CO2 du TGV n'est pas meilleur que celui de l'autocar. En outre, ces émissions dépendent aussi de l'origine de l'électricité utilisée. »

En mettant fin aux vols intérieurs, le gouvernement se trompe de cible. Il devrait plutôt inciter tous les modes de transport à être plus vertueux, plus écologiques. Notons que depuis son origine, le transport aérien est exemplaire sur ce point. L'industrie aéronautique s'est toujours évertuée à rendre ses avions plus performants en utilisant des matériaux toujours plus légers et des moteurs toujours plus efficaces. Résultat : entre 2000 et 2018, le nombre de passagers a augmenté de 62 % tandis que la croissance des émissions de CO2 du transport aérien en France a été de 21 %, soit une baisse de 25 % des émissions de CO2 par passager ?

Sur un plan sociétal, voire politique, cette interdiction des vols intérieurs irait à l'encontre de l'esprit d'entreprise. De plus, cette interdiction devra recevoir l'aval des autorités européennes. Pour cela, le gouvernement devrait démontrer que les vols intérieurs représentent un danger grave pour l'environnement, ce qui sera évidemment impossible à démontrer.

Léa Taieb

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