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La blockchain peut-elle révolutionner le droit d'auteur ?

PROSPECTIVE La blockchain ne se limite pas aux cryptomonnaies. Grâce à cette technologie d'enregistrement des transactions, les artistes peuvent directement protéger leurs oeuvres. Et espérer augmenter leur rémunération.

Par Raphaël Bloch

Publié le 16 mars 2018 à 18:02

Ascribe, Bittunes, Storj… Si ces noms ne vous disent pas encore grand-chose, cela ne devrait pas durer très longtemps. Car ces start-up, lancées récemment, sont en train de bouleverser le droit d'auteur et l'ensemble de l'industrie culturelle.

Le secret de ces jeunes pousses tient en un seul mot, devenu quasi magique ces derniers mois : blockchain. Cette technologie d'enregistrement des transactions, rendue populaire par l'explosion du bitcoin, permet de protéger des données de manière sécurisée et décentralisée. Une petite révolution dans l'univers des artistes, surtout les moins connus, touchés de plein fouet par la vague numérique.

Mieux protéger les oeuvres

Car c'est là l'un des principaux enjeux de la blockchain dans la musique, la littérature ou le graphisme… Et la raison d'être de ces start-up, qui promettent aux auteurs, compositeurs et autres artistes de les aider à mieux protéger leurs oeuvres dans un environnement dématérialisé, où les consommateurs et les géants du Net, YouTube en tête, peuvent accéder à leurs productions et les distribuer à volonté.

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Concrètement, ces start-up, à l'image de Storj, proposent aux artistes d'enregistrer via une transaction sur une blockchain un morceau de musique ou un document, comme un roman par exemple. Une démarche qui peut se faire via leurs applications en quelques clics, et à des coûts réduits. De l'ordre de quelques centimes d'euro, de dollar ou de cryptomonnaies.

Grâce à ce système, la traçabilité des oeuvres des artistes est garantie et réputée infalsifiable. « L'idée, c'est de mettre dans la blockchain une empreinte numérique. Si vous n'avez pas le lien entre la transaction et l'oeuvre, vous ne pourrez rien trouver », précise Gilles Cadignan, fondateur de Woleet, une start-up spécialisée dans la sécurisation de données.

Prouver l'antériorité

Une situation d'autant plus intéressante pour les artistes que le droit d'auteur actuel n'exige aucune formalité juridique spécifique. Les artistes peuvent, s'ils le souhaitent, protéger leurs oeuvres auprès d'un notaire ou de sociétés spécialisées, mais cela coûte au moins quelques centaines d'euros. « En France, il n'y a pas de copyright comme dans le droit anglo-saxon », confirme Laurence Joly, directrice de l'observatoire de la propriété intellectuelle à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi).

Vidéo : la blockchain, révolution pour les transactions

Parallèlement à l'enregistrement de l'oeuvre, la blockchain, reconnue en droit positif depuis l'ordonnance du 8 décembre 2017, permet à un artiste de pouvoir justifier directement et informatiquement de sa qualité d'auteur. Le tout avec un système de datation précis et transparent des oeuvres, car de nombreuses blockchains sont publiques et donc consultables par tous. « L'avantage de la blockchain c'est que c'est une preuve mathématique, froide, valable pour tous. En cas de conflit sur le droit d'auteur, on présente la preuve numérique, c'est incontestable », insiste Gilles Cadignan.

La rémunération, nouvelle frontière

Mais au-delà de sa capacité à sécuriser les oeuvres des artistes, la blockchain peut également, et surtout, fournir des solutions aux artistes pour faciliter et augmenter leur niveau de rémunération. « Tout l'enjeu est de réussir à fédérer les acteurs du secteur, ce qui n'est toujours pas le cas », relève Romain Rouphaël, cofondateur de Belem, une start-up qui accompagne les entreprises dans l'intégration de la blockchain.

Car les artistes, sauf ceux qui pèsent le plus dans des industries comme celle de la musique, peinent à se faire rémunérer correctement. 0,0006 euro… C'est la somme moyenne que YouTube a versée en 2017 aux artistes pour chaque écoute, selon le site Digital Music News. Un tarif dérisoire comparé aux moyens financiers du mastodonte américain, mais qui montre le déséquilibre induit par la numérisation de la culture. Pour gagner plus de 1.000 euros avec une chanson, il faut qu'un artiste affiche plus d'un million de vues au compteur…

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Et si la possibilité de rémunérer directement les artistes via une blockchain n'est encore qu'au stade de la recherche et de l'expérimentation, elle progresse dans le secteur, notamment au sein des syndicats représentant les artistes. « La blockchain ouvre des perspectives et offre des réponses à des problèmes que l'industrie culturelle a encore du mal à gérer, comme la rémunération de tous les artistes », souligne Laurence Joly.

La révolution des « smart contracts »

Un début de réponse qui pourrait passer par les « smart contracts », cette technologie disponible sur Ethereum, la deuxième plus grosse blockchain au monde, derrière celle du bitcoin. L'avantage de ces « contrats intelligents », c'est qu'ils fonctionnent comme des options qui sont activées dès que deux cocontractants entrent en contact. « Les 'smart contracts' sont une vraie avancée pour gérer les transactions et la rémunération des auteurs », confirme Laurence Joly. En France, la Sacem (société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) travaille sur un projet de ce type.

Grâce à une telle blockchain, dès qu'un artiste serait écouté, il pourrait être directement rémunéré. C'est d'ailleurs une technologie sur laquelle la start-up Mycelia travaille pour court-circuiter les labels et plates-formes, qui se font rémunérer par les artistes tout au long de la chaîne de production.

Avec ce système, inspiré des « smart contracts », Mycelia veut permettre, à terme, à des artistes d'être directement rémunérés par leur public. Les artistes pourraient bénéficier d'une répartition dynamique et en temps réel de leurs droits, sans aucune intervention tierce. Une garantie pour les artistes d'être payés en fonction de leurs productions. Mais les géants du Net sont-ils prêts pour cette révolution ?

Définitions

Blockchain : technologie permettant de stocker des données numériques pour un coût minime, de manière décentralisée et sécurisée. Elle se base sur un registre qui contient la liste de tous les échanges effectués entre utilisateurs. Ce registre est décentralisé, c'est-à-dire stocké sur les serveurs de ses utilisateurs. Les ensembles de transactions - les lignes du registre - sont inscrits dans le livre après validation, par blocs de données, et formant ainsi une chaîne de blocs inaltérables : la blockchain.Microtransaction : transaction d'un montant si faible (quelques centimes) qu'elle ne vaudrait pas la peine d'être effectuée via le système bancaire actuel (les frais de transaction seraient plus élevés que le montant à transférer).Noeud : ordinateur relié au réseau blockchain qui participe à la transmission et à la vérification des transactions. Chaque noeud conserve une copie du registre blockchain.Smart contracts : contrats numériques autonomes qui sont exécutés automatiquement par la blockchain. Chaque engagement exécuté par une des parties est automatiquement répertorié dans la chaîne de blocs. Quand tous les engagements ont été respectés, celle-là s'auto-exécute, sans qu'aucune des parties ne puisse s'y opposer. (Sources : « Les Echos Start », Livre blanc « La Blockchain pour les entreprises » BCG/Medef/Cigref)

Creative Commons : des licences libres mais traçables

Ce n'est pas parce qu'une oeuvre est mise à disposition gratuitement que son auteur n'a aucun droit : c'est en vertu de ce principe qu'est né en 2001 le mouvement Creative Commons qui est aussi, depuis 2015, pionnier dans l'expérimentation de la blockchain. Inspiré du logiciel libre, Creative Commons est une organisation à but non lucratif proposant gratuitement six licences différentes permettant aux auteurs de définir simplement si leur création peut - ou pas - être reprise, modifiée, partagée et utilisée à des fins commerciales. Les licences Creative Commons (CC) ne se substituent pas au droit d'auteur, mais elles viennent le compléter et le préciser - on parle généralement de « copyleft » par opposition à « copyright ».

Raphaël Bloch

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