Dans la lumière de Turner en 5 chefs-d’œuvre

Dans la lumière de Turner en 5 chefs-d’œuvre
Wiliam Turner, La Visite de la Tombe, huile sur toile, 91,4 x 121,9 cm © Tate

Maître de la lumière, William Turner a également porté l'art de l'aquarelle à un niveau inégalé. Conçue en collaboration avec la Tate Britain de Londres, qui abrite aujourd'hui la plus grande collection d'œuvres de Turner au monde, l'exposition du musée Jacquemart-André à Paris en 2020 retraçait la quête de sublime de cet artiste « ivre de couleur ». Démonstration en 5 chefs-d'oeuvre.

1. Forteresse à la mode italienne

La pratique de l’aquarelle répond chez Turner à plusieurs objectifs. Certaines, soigneusement « finies », sont destinées à l’exposition publique, à l’instar de ce Château de Caernarvon, présenté dans l’exposition du musée Jacquemart-André. Peinte d’après un dessin exécuté in situ lors de son voyage au Pays de Galles en 1799, l’œuvre est présentée à la Royal Academy l’année suivante. Elle est accompagnée d’un poème, sans doute écrit par Turner lui-même, qui élucide le sens de la composition. L’artiste s’est inspiré pour ce texte d’un poème de Thomas Gray, Le Barde (1757), qui narre la disparition des bardes gallois suite à l’invasion anglaise.

William Turner, Château de Caernarvon, nord du Pays de Galles, exposé en 1800, aquarelle sur papier, 70,6 x 105,5 cm ©Tate

William Turner, Château de Caernarvon, nord du Pays de Galles, exposé en 1800, aquarelle sur papier, 70,6 x 105,5 cm ©Tate

Ainsi, l’aquarelle représenterait, au premier plan, un barde chantant pour ses compagnons rassemblés sous un arbre. Au loin, on devine la forteresse de Caernarvon, bâtie par Edouard Ier. Ces références à la fois poétiques et historiques renvoient naturellement aux tableaux de Claude Gellée, dit Le Lorrain, autant que la lumière si caractéristique du soleil couchant. Les paysages du maître romain ont exercé une puissante impression sur Turner, si l’on en croit les témoignages de ses contemporains.


2. Les couleurs de l’aube

Ainsi, en cette même année 1799, le peintre découvre une toile du Lorrain récemment arrivée en Angleterre, Paysage avec le père de Psyché, sacrifiant au temple d’Apollon, et se sent « à la fois ravi et malheureux en le regardant… il semblait impossible à imiter ». Et pourtant, inlassablement, Turner s’emploie à relever le défi. Comment la lumière, selon les heures du jour, colore le ciel et l’eau, la végétation et la roche, voilà en résumé les interrogations auxquelles l’artiste cherche une réponse, en produisant de nombreuses études à l’aquarelle où prime une manière spontanée et expérimentale.

William Turner, Richmond, Yorkshire : étude de couleur, 1797-1798, graphite et aquarelle sur papier, 42,2 x 54,7 cm ©Tate

William Turner, Richmond, Yorkshire : étude de couleur, 1797-1798, graphite et aquarelle sur papier, 42,2 x 54,7 cm ©Tate

Réalisée à partir du matériau collecté lors de ses voyages, Richmond, Yorkshire : étude de couleur saisit avec beaucoup de sensibilité le site à l’aube, grâce à de larges plages de lavis. En dépit de la simplicité des moyens, cette simple étude étonne par sa qualité de fini. Mais il est vrai qu’elle était susceptible de servir de matrice à des tableaux ou des aquarelles plus abouties.


3. Atmosphères vénitiennes

En 1819, Turner découvre enfin l’Italie, sa lumière, ses sites, qu’il ne connaissait alors qu’à travers les œuvres des paysagistes des siècles passés. Et, arrivé à Lorette, il se réjouit d’une « première vision digne du Lorrain ». Mais, loin des rêveries classiques, Venise lui ouvre des horizons radicalement nouveaux avec son atmosphère vaporeuse, sa lumière limpide ou encore ses palais décatis se reflétant dans les eaux troubles du Grand Canal. Signe de la singularité du lieu, Turner déroge à ses habitudes de travail en peignant directement sur le motif, alors qu’il se contentait généralement de dessiner en plein air, ajoutant les couleurs dans un second temps. Il faut dire que le motif, pour lui, est inédit et à nul autre pareil.

William Turner, Venise : San Giorgio Maggiore, tôt le matin, 1819, aquarelle sur papier, 22,3 x 28,7 cm ©Tate

William Turner, Venise : San Giorgio Maggiore, tôt le matin, 1819, aquarelle sur papier, 22,3 x 28,7 cm ©Tate

Captant l’éclat du soleil une heure ou deux après son lever, Venise : San Giorgio Maggiore, tôt le matin combine « une utilisation habile du papier blanc avec des plans de couleur bleu-gris pour suggérer l’éblouissement aveuglant, faisant apparaître les objets vus à contre-jour essentiellement plats », observe l’historien de l’art et écrivain Ian Warrell. La lumière semble être l’unique sujet de l’aquarelle, où les monuments sont réduits à la portion congrue face à l’immensité du ciel et de l’eau.


4. Des impressions pures

Dans la dernière décennie de sa carrière, Turner largue les amarres. Débarrassé des soucis matériels, il approfondit les pistes développées dans les années 1830. Son art se fait plus suggestif encore, tout entier tendu vers l’élucidation du mystère de la lumière. Inlassablement, l’artiste continue d’observer avec avidité le réel et d’accumuler dessins et aquarelles.

William Turner, Coucher de soleil, vers 1845, aquarelle sur papier, 24 x 31,5 cm ©Tate

William Turner, Coucher de soleil, vers 1845, aquarelle sur papier, 24 x 31,5 cm ©Tate

Par exemple, à l’occasion d’un voyage sur les côtes normandes en 1845, il réalise une série d’études d’une extraordinaire concision, peintes sur le motif. La mer, le ciel, la plage y sont réduits à de vagues nappes de couleurs, qui ne renvoient plus à un site en particulier. Ces pures impressions emmènent son art vers une sorte de synthétisme, où le peintre « agit davantage par soustraction que par abstraction, comme s’il retirait d’un paysage la représentation des éléments solides, pour ne garder que les couleurs », observe le conservateur Olivier Meslay. Sa peinture emprunte le même chemin, laissant une grande partie du public de plus en plus circonspecte.

5. Lumière irradiante

La Visite de la Tombe est caractéristique de cette période tardive mais féconde. Comme beaucoup de tableaux postérieurs à 1840, celui-ci est construit autour d’un axe central lumineux, éblouissant même, qui irradie l’ensemble de la toile « en mesurant le vaste espace concave de l’air ambiant », ainsi que le note Turner lui-même en marge d’une de ses conférences. Ce rayonnement pénètre les éléments, dissout les détails en même temps qu’il opacifie la surface.

Wiliam Turner, La Visite de la Tombe, exposé en 1850, huile sur toile, 91,4 x 121,9 cm © Tate

Wiliam Turner, La Visite de la Tombe, exposé en 1850, huile sur toile, 91,4 x 121,9 cm © Tate

Car cette explosion de lumière est d’abord une transfiguration de la matière picturale, appliquée à l’aide de larges coups de brosse circulaires. Dès 1816, William Hazlitt avait vu en germe ces potentialités dans les œuvres de Turner, lorsqu’il écrivait que ses tableaux « représentent non pas tant les objets de la nature que le médium à travers lequel ils sont vus ». Toutefois, le travail de l’artiste ne se résume pas à une recherche purement formelle mais participe d’une quête d’essence mystique, d’où émerge un monde instable, informe, mis en mouvement par une énergie divine.

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