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Macron, le pari d’une présidence à poigne

Sa seconde prestation télévisée de la semaine, dimanche, a de nouveau mis en évidence le choix de la fermeté adopté par le chef de l’Etat. Un choix qui, au sein de sa majorité, n’est pas toujours partagé

Emmanuel Macron veut se donner les moyens de l’efficacité. — © Paco Nunez / Anadolu Agency / Getty Images
Emmanuel Macron veut se donner les moyens de l’efficacité. — © Paco Nunez / Anadolu Agency / Getty Images

La bataille politique la plus dure de l’an 1 du quinquennat Macron pourrait bien ne pas être le bras de fer engagé avec les cheminots sur l’avenir de la SNCF.

Echéance sociale décisive

Cette semaine, et Emmanuel Macron a été interrogé là-dessus dimanche soir sur Mediapart et BFM TV, une échéance sociale décisive interviendra: l’appel à manifester le jeudi 19 avril lancé par les syndicats. Deux jours avant, mardi 17, le président français se sera exprimé à Strasbourg, au Parlement européen. Mais pour les députés de son mouvement La République en marche (LREM), qui dispose de la majorité absolue à l’Assemblée, une autre ligne de fracture risque d’émerger autour du projet de loi sur l’asile et l’immigration dont le discussion plénière commence aujourd’hui, à l'issue du débat parlementaire (sans vote) sur les frappes en Syrie.

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Une quinzaine d’élus macronistes, fait sans précédent depuis les législatives de juin 2017, critiquent en effet le manque d’«humanité» de l’Elysée sur ce dossier. «On ne peut pas seulement montrer aux Français le visage de la fermeté présidentielle, râle l’un des dissidents, sous couvert d’anonymat. Il faut aussi de l’empathie, de la compréhension, et de la générosité.»

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Les «professionnels du désordre»

Cette critique adressée à Emmanuel Macron s’est accrue ces derniers jours, au fil des heurts qui ont émaillé l’actualité. Le fait que les policiers aient employé la force pour déloger les centaines d’activistes qui occupaient la «zone à défendre» (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, sur le site du projet d’aéroport abandonné fin janvier, laisse un goût amer dans la région de Nantes, où une nouvelle manifestation de soutien a été dispersée à coup de canons à eau et de gaz lacrymogènes ce week-end.

Quelques jours plus tôt, l’intervention des policiers français contre des migrants et leur incursion dans une clinique gérée par une ONG près de la gare italienne de Bardonecchia avaient, en plus d’attirer les protestations officielles de Rome, mis en évidence les consignes de dureté données aux forces de l’ordre par le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. S’y ajoute, jeudi dernier, l’évacuation manu militari par les CRS des étudiants en colère qui voulaient occuper l’Université de la Sorbonne.

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Pourquoi une telle fermeté? Emmanuel Macron a répondu en partie dans son entretien télévisé sur TF1, face à Jean-Pierre Pernaut. Interrogé sur les heurts à Notre-Dame-des-Landes et dans plusieurs universités françaises alors qu’approche le 50e anniversaire de Mai 1968, le président français a fustigé «les agitateurs» et les «professionnels du désordre». Avant d’ajouter à l’intention des étudiants qu’ils feraient mieux de réviser «parce qu’il n’y aura pas d’examen en chocolat dans la République».

Macron est convaincu que les Français veulent de l’ordre et des réformes

Un proche conseiller du premier ministre Edouard Philippe

Des remarques sacrément «jupitériennes» pour ce chef de l’Etat quadragénaire qui, depuis le déclenchement des frappes sur la Syrie ce samedi, a endossé le costume de chef de guerre. «Macron est convaincu que les Français veulent de l’ordre et des réformes», explique un proche conseiller du premier ministre Edouard Philippe. «Et il est hanté par l’idée qu’une marche arrière sur un dossier soit interprété comme une faiblesse définitive.» Le président a aussi, en matière d’asile, compulsé toutes les enquêtes d’opinion. Or elle montre, à l’image d’un sondage Odoxa du 29 mars sur l’attitude face au terrorisme (après la prise d’otages de Trèbes et la mort du colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame), que 61% des Français sont même prêts à des «mesures d’exception».

Un autre sondage est souvent cité par les défenseurs de la ligne dure prise par ce quinquennat. Il date de janvier 2018. 63% des Français estimaient alors que le locataire de l’Elysée faisait suffisamment respecter l’autorité de l’Etat. Autorité: un mot revenu ces jours-ci sur le devant de la scène avec la publication du livre Les leçons du pouvoir (Editions Stock) dans lequel François Hollande propose à son successeur de placer ses réformes «sous le signe de la protection et de la justice […] pour réconcilier la France avec elle-même et faire reculer le spectre populiste». Réponse du politologue Jérôme Fourquet, directeur à l’institut de sondage IFOP, interrogé hier par France Info: «Hollande incarnait un Etat perçu comme faible. Or les Français continuent à une nette majorité de soutenir les réformes. L’argument de l’efficacité, qui justifie le passage en force, n’est pas rejeté même si beaucoup pratiquent le «en même temps». Ils déplorent tel excès, telle précipitation.»

La fin des sujets consensuels

Le débat sur le projet de loi sur l’asile et l’immigration peut-il ouvrir des fractures dans la majorité aux ordres du président auquel elle doit tout? «Plus le temps passe, plus les sujets consensuels sont derrière nous», a déclaré au Monde Pacôme Rupin, l’un des ténors du groupe LREM. Autre écho du côté du nouveau camp de migrants parisiens, où s’entassent près de deux mille clandestins sous des tentes, porte de la Villette. Samir y est volontaire, jour et nuit: «Dans un moment de contestation, tout ne peut pas se résumer à l’ordre. Comme beaucoup de ses prédécesseurs, et en particulier depuis l’hommage national au colonel Beltrame, Macron semble persuadé que les gendarmes ou les militaires sont ses meilleurs alliés. Vraiment? Et les militants de la société civile, qui eux aussi ont voté pour lui?» La «poigne» présidentielle, à la moindre bavure, pourrait bien devenir un piège.