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Décryptage

Qu'est-ce qu'un recruteur dans le secteur de l'impact recherche chez un candidat ?

Si vous pensez que votre quête du sens ou votre motivation à vouloir changer le monde suffisent à convaincre un recruteur à impact, détrompez-vous. En plus des compétences métiers et des soft skills, il faudra aussi prouver votre envie d'engagement.

En dehors des grands acteurs de l'économie sociale et solidaire, les petites structures cherchent elles aussi à attirer des talents.
En dehors des grands acteurs de l'économie sociale et solidaire, les petites structures cherchent elles aussi à attirer des talents. (Getty Images/iStockphoto)

Par Corinne Dillenseger

Publié le 26 avr. 2021 à 09:09Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

« Nous écartons d'emblée les candidats qui n'ont pas réfléchi suffisamment à leur aspiration à vouloir trouver un emploi qui a du sens. Le 'sens' n'est pas un métier : si vous n'aimez pas l'audit, vous n'aimerez pas l'audit social et environnemental », assure Jean-Philippe Teboul, directeur du cabinet de recrutement Orientation Durable, spécialisé dans les métiers de l'économie sociale et solidaire (ESS) et de l'intérêt général. Ce chasseur de têtes a procédé à 120 recrutements de cadres en 2020 et intervient pour une quarantaine de gros clients : Amnesty International, Emmaüs, Oxfam, Scouts unitaires de France, la Fondation Nicolas Hulot, Foodwatch, l'association Aurore…

Des cadres hybrides dans l'ESS

En tête des profils les plus recherchés, des dirigeants et membres de codir, suivis de près par des RAF/DAF, et une demande de plus en plus forte pour des fundraisers. « Nos clients réclament des profils hybrides capables de réunir la culture du résultat et l'appétence sociétale, et qui ont conscience que le 'tout quantifiable' est bien plus compliqué à évaluer que dans le secteur privé lucratif », insiste Jean-Philippe Teboul. Dénicher ces perles rares relève du tour de force tant le fantasme autour du management dans l'ESS à la vie dure. « Des cadres du privé pensent y trouver le poste rêvé, sans conflit, où tout le monde est gentil et sympathique. Or ils seront amenés à gérer les pouvoirs entre salariés et administrateurs, à trouver un juste milieu de démocratie participative, à éviter la confusion entre statut militant et statut salarié, ou encore à jongler entre objectifs sociétaux et économiques », avertit le directeur d'Orientation Durable.

Accepter de travailler sans chef

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En dehors des grands acteurs de l'ESS, les petites structures cherchent elles aussi à attirer des talents, en particulier sur la plateforme gratuite « Jobs » de Makesense, une association et une communauté de citoyens, d'intrapreneurs et d'entrepreneurs à impact. Plus de 4.000 recruteurs y publient au moins une annonce tous les ans et les candidats affluent depuis le dernier confinement. « Le site connaît un boom du trafic hallucinant, avec 50.000 visiteurs uniques par mois », constate Mathilde Thorel, directrice de l'incubateur Makesense.

Tous les mois 1.400 offres d'emploi tournent, dont celles provenant des start-up incubées par l'association, à l'instar d'Allo Louis, Konexio, Myfuture, BioDemain… 70 % des recruteurs de la plateforme ont entre 0 et 15 salariés, issus pour moitié du monde associatif ou du public, localisés à Paris ou d'autres grandes métropoles. « Ils proposent un tiers de CDI, un tiers de CDD et un tiers de stages, avec des attentes fortes en gestion de projet et en business development », résume Mathilde Thorel, qui elle-même embauche régulièrement pour le compte de l'association (120 salariés). « En ce moment, nous recrutons beaucoup de coordinateurs de projets à l'international : Mali, Sénégal, Liban… Nous recevons 200 CV en moyenne pour un CDI, 50 pour un stage et, bien sûr, ce sont des personnes très engagées avec de fortes valeurs sociales ou environnementales. »

Pour les départager, la jeune femme évalue leur potentiel de montée en compétences, « car nos métiers s'inventent au quotidien », et leur adaptabilité au modèle de gouvernance très particulier de la structure. « Makesense est bâti sur une organisation libérée, sans hiérarchie, chacun a le même niveau de pouvoir et de responsabilités, et détermine sa propre progression salariale en tenant compte ou pas de l'avis des autres. Cette gouvernance partagée et cette transparence ne conviennent pas à tout le monde », prévient Mathilde Thorel.

Pas de place pour les carriéristes

Transversalité et collaboration imprègnent aussi la culture de ChangeNOW. Rose-May Lucotte, cofondatrice de cette start-up de 22 personnes, organisatrice depuis 2017 d'un sommet international annuel fédérant des acteurs du changement, assure « repérer très vite, dans l'entretien de recrutement, la sincérité de la démarche des candidats et leur volonté de faire bouger les choses ». Et de rajouter : « Ici, pas question d'être dans un esprit compétitif ou carriériste, on est tous au service d'une cause commune. » ChangeNOW propose, le samedi 29 mai, un salon de recrutement digital entre recruteurs de l'impact et talents en quête de sens. « Les start-up se professionnalisent, elles ont des ambitions d'internationalisation, d'expansion rapide, elles développent des solutions tech et digitales à des fins sociales et environnementales. C'est pourquoi elles sont à l'affût de profils très pointus », analyse la chief operating officer. Avis aux développeurs, chefs de projet IT, data scientits ou growth hackers, recrues phares de la Tech for Good.

Des candidats curieux…

Chez Ecovadis, les profils ciblés sont tout autres. Ce leader mondial de la notation et l'évaluation de la performance RSE des entreprises (800 salariés, 70 nationalités) a levé 200 millions d'euros en janvier 2020 et a embauché dans la foulée 250 personnes. L'agence compte en recruter de 250 à 300 cette année, pour atteindre le seuil de 1.300 en 2022. « Nous cherchons en priorité des ingénieurs high-tech, des sustainability analysts et des customer success [managers] », détaille la DRH Laurianne Le Chalony. Parler anglais couramment est obligatoire et être prêt à s'expatrier, un vrai plus.

Jeunes cadres ou personnes en reconversion sont les bienvenus. « Nous regardons si leur projet professionnel est connecté à l'urgence écologique, évaluons leur intérêt pour les enjeux sociétaux, leur ouverture culturelle, leur adaptabilité, leur soif d'apprendre, car une fois recrutés, ils bénéficient d'une solide formation maison », pointe la DRH, étonnée par la curiosité des postulants. « Ils nous questionnent beaucoup sur notre politique de diversité, notre propre engagement en faveur de la RSE, sur la façon dont ils peuvent s'engager dans des actions positives en interne ou à l'externe », constate avec plaisir cette ex-RH d'Atos.

… et en quête de preuves

Une tendance que relève aussi Emmanuelle Le Merrer, directrice du recrutement externe de Schneider Electric France : « D'un côté, nous évaluons la quête de sens des candidats et leur engagement en creusant leurs choix d'orientation, de vie ou associatif, de l'autre, ils sont eux aussi dans cette recherche de discours de preuves sur notre démarche RSE, nos actions dans le développement durable, nos engagements sur le plan climatique ou en faveur de l'égalité femmes-hommes. » Le groupe, classé en janvier dernier en tête du top 100 des entreprises les plus durables au monde réalisé par « Corporate Knights », a prévu d'embaucher 300 personnes en CDI dans toute la France, 700 alternants, 600 stagiaires et une centaine de VIE.

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« Nous recrutons majoritairement des ingénieurs en R&D, production, logistique, systèmes embarqués, IT et dans les métiers de la vente et du service au client. Mais au-delà des hard skills, ce sont les soft skills qui font la différence : l'ouverture à l'autre, l'inclusion, l'agilité, la capacité à innover », insiste Emmanuelle Le Merrer, qui avoue crouler sous les CV. « Notre notoriété dans le développement durable fait que notre marque est de plus en plus attractive auprès d'une génération qui veut embrasser ce changement climatique et environnemental. Les candidats nous le disent très spontanément en entretien. Et nous en sommes ravis ! »

Les métiers à impact qui montent, selon le cabinet de recrutement Birdeo

- dans la finance durable : consultant ESG, head of ESG research, auditeur ESG ou ESG advisor, très recherchés par les sociétés de gérant de fonds, les établissements bancaires, les compagnies d'assurances, les agences de rating…

- les experts en bilan carbone, pour conseiller les entreprises dans les questions de diagnostic et de préconisations énergétiques : bilan carbone, plan climat, Agenda 21…

Corinne Dillenseger

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