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Analyse

Radio France : la crise qui ne profite à personne

Après plusieurs années d'immobilisme, les mesures lourdes qui doivent être mises en oeuvre par Radio France nécessitent un soutien sans faille de sa double tutelle - le gouvernement et le CSA -, ainsi qu'un management fort. Des conditions qui sont loin d'être réunies aujourd'hui.

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Par Grégoire Poussielgue

Publié le 2 avr. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Au sein de l'audiovisuel public français, Radio France a toujours donné le sentiment d'être le bon élève. Un groupe solide, doté de sept antennes complémentaires - France Inter, France Info, France Culture, France Musique, France Bleu, FIP et Le Mouv' - et bien identifiées par les auditeurs, souvent viscéralement attachés à leur radio publique. Des audiences solides, faisant du groupe le premier pôle radiophonique national, une stratégie de déploiement vers le numérique entamée dès le début des années 2000, un lourd chantier de rénovation de la Maison de la radio en cours, certes coûteux, mais destiné à lui donner un site moderne, sans oublier les quatre formations musicales de renom... Comparé à France Télévisions, dont les crises récurrentes ont agité le paysage depuis l'annonce de la suppression de la publicité sur ses antennes en janvier 2008, Radio France faisait figure d'îlot de stabilité, coulant des jours heureux le long de la Seine.

La tempête traversée ces jours-ci par la Maison ronde tend à prouver le contraire. Le public a découvert un Radio France en crise, lourdement déficitaire (21 millions de pertes prévues en 2015, un trou de trésorerie de 290 millions à l'horizon 2019), et obligée de procéder à une restructuration drastique pour ne pas aller dans le mur. A savoir un plan social de 200 à 300 salariés (sur un total de 4.600 équivalents temps plein), une refonte de sa stratégie musicale, une redéfinition de ses priorités en matière de fréquences, l'éventualité de fermeture d'une antenne, la rationalisation de la diffusion... Radio France doit se transformer après plusieurs années d'immobilisme. Autant de mesures lourdes à mettre en oeuvre, nécessitant un soutien sans faille de la double tutelle du groupe public (gouvernement, CSA) et un management prêt à naviguer par gros temps.

Or, sur tous ces points, le groupe est loin du compte. Son PDG est fragilisé par les révélations successives du « Canard enchaîné » sur les dépenses de sa présidence, et la persistance d'un conflit social. Le gouvernement, par la voix de la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, puis de Manuel Valls, accentue sa pression pour trouver une issue à la crise. Mais il se retrouve lui aussi avec peu de marge de manoeuvre, coincé entre un président qu'il n'a pas choisi et qu'il n'a pas franchement soutenu depuis sa nomination, une contrainte financière à laquelle il ne peut échapper et un climat qui va en se pourrissant, tout en tâchant d'éviter la crise encore plus grave que constituerait le départ du président. Enfin, le CSA est lui aussi dans une situation inconfortable, avec un président qu'il a nommé, remis en cause à peine un an après sa prise de fonction. En février 2014, le Conseil supérieur de l'audiovisuel avait tenté un pari en mettant à la tête de Radio France un homme jeune (37 ans à l'époque), sans expérience du monde de la radio, affichant la volonté d'incarner le passage de Radio France dans le monde du XXIe siècle. Nul ne sait encore si ce pari est gagné ou perdu mais il est en tout cas mal parti.

Pourtant, les symptômes dont souffre aujourd'hui Radio France ne surprennent pas vraiment les bons connaisseurs de la Maison ronde. S'il est facile de réécrire l'histoire, nombre d'observateurs relèvent que Radio France a fait du surplace au cours des dernières années. En arrivant en mai 2014, Mathieu Gallet a trouvé une entreprise en panne de vision stratégique, dotée d'un modèle de fonctionnement caduc, alors que la radio a également entamé sa mue sous la pression du numérique, et que l'Etat est dans une disette budgétaire qui interdit la moindre souplesse financière. Radio France a plus que jamais besoin de son rapport Schwartz, du nom du document qui vient de dresser la feuille de route du nouveau président de France Télévisions jusqu'en 2020. La paix sociale, basée sur le maintien des recettes de l'Etat en échange de la stabilité des effectifs, a volé en éclats depuis 2013 et l'amorce de la baisse des ressources. L'origine de la crise se trouve là.

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Et plus elle dure, plus elle génère des conséquences lourdes et nombreuses qui ne feront que des perdants. Certains auditeurs vont fuir en l'absence de leurs programmes favoris, et notamment à cause du blocage des matinales, le moment fort d'une journée radiophonique. Il faudra sans doute du temps pour les faire revenir. Le président Mathieu Gallet se trouvera durablement affaibli alors que son mandat ne fait que commencer. Le CSA sera contesté sur ce choix, pourtant affiché haut et fort « à l'unanimité » l'année dernière et surveillé de près pour la nomination du président de France Télévisions qui s'annonce. Le gouvernement, ou plutôt les gouvernements successifs, montrés du doigt pour n'avoir pas su anticiper ni définir un projet d'entreprise pour Radio France. Les grévistes, qui semblent plus s'acharner sur Mathieu Gallet que sur la contestation d'un plan de restructuration dont les grandes lignes leur sont connues, mais qui n'a toujours pas été enclenché. Les non-grévistes qui ne peuvent que constater le gâchis. L'ensemble des salariés enfin, qui constatent la dégradation de leur entreprise, et celle de son image. Radio France, qui vient de fêter son quarantième anniversaire, ne méritait pas ça.

Les points à retenir

Jusqu'ici, Radio France faisait plutôt figure de bon élève dans l'audiovisuel public français.

Depuis le début de la grève, le public a découvert la profondeur de la crise, dans une maison lourdement déficitaire, et obligée de procéder à une restructuration drastique.

La crise actuelle était pourtant prévisible : en panne de vision stratégique, la Maison ronde faisait du surplace depuis plusieurs années.

Journaliste au service high-tech médias des « Echos » Grégoire Poussielgue

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