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Série

« Minority Report » et la prévision des crimes

Des algorithmes, capables de « prédire » les crimes, un peu comme dans le film de Spielberg, sont utilisés depuis plusieurs années aux Etats-Unis et en Suisse. La France s'y met.

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Par Jacques Henno

Publié le 25 août 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

« Mon travail était de prévoir l'évolution des technologies au cours des quinze prochaines années », sourit John Underkoffler. Celui qui fut conseiller scientifique de Steven Spielberg sur le tournage de « Minority Report », en 2001, dirige aujourd'hui Oblong, une société de Los Angeles spécialisée dans les interfaces informatiques. « Mais certaines de ces technologies n'ont pas mis dix ans à bouleverser nos vies ! »

Dans le film, inspiré d'une nouvelle de Philippe K. Dick publiée en 1956, des mutants doués de précognition, les Precogs, sortes d'oracles modernes, prédisent quelle personne va commettre un meurtre, à quel moment et à quel endroit. Aujourd'hui, les services de police de Los Angeles, Modesto ou Santa Cruz, en Californie, et de Zurich, en Suisse, par exemple, planifient leurs patrouilles en fonction des « recommandations » élaborées par des logiciels dits de « prévision des crimes » (comme le système Precobs, mis au point en Allemagne et utilisé à Zurich) ou de « prophéties » (Predpol, d'origine californienne). « Le terme le plus approprié serait "cartographie" des crimes et délits », estime Robert Cheetham, fondateur d'Azavea, une société américaine spécialisée dans les systèmes d'information géographique, qui, entre autres, met à la disposition de la police locale des cartes numériques sur lesquelles s'affichent les évolutions estimées de la délinquance.

Ces logiciels existent depuis bientôt trois ans. Ils utilisent des algorithmes prédictifs, qui, en fonction des délits déjà commis dans tel immeuble ou dans telle rue, ainsi que de la saisonnalité de la criminalité, conseillent, jour après jour, de renforcer les équipes de police dans tel ou tel secteur. Ils formulent leurs suggestions sous forme de cartes indiquant les zones « chaudes » au cours des prochaines heures.

Bientôt en France

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Les progrès et la baisse des prix des cartes numériques, la numérisation des rapports de police, le croisement de ces informations avec des bases de données (recensant les banques, les bars, les arrêts de bus, les pistes cyclables, les écoles, etc.), ainsi que l'utilisation des historiques de la météo ou des données sociologiques des quartiers ont permis la mise au point de ces algorithmes. Pour leurs défenseurs, ces outils permettent de mieux gérer les effectifs tout en améliorant leur réactivité, mais, aussi, de préparer les grands événements, rencontre sportive ou concert par exemple. « 80 % des événements que nous annonçons se réalisent », affirme Michael Schweer, de Precobs.

Pour leurs détracteurs, ces systèmes ne font que réinventer l'eau chaude : voilà longtemps que les policiers apprennent qu'ils doivent patrouiller près des endroits où un délit a été commis; les malfaiteurs préfèrent travailler dans les quartiers qu'ils ont déjà repérés, car ils savent quelles ruelles prendre pour échapper à la police, où se trouvent les commissariats, etc.

La France pourra-t-elle bientôt trancher cette polémique ? Le laboratoire Teralab de l'institut Mines-Télécom, à Paris, associé à Morpho, filiale du groupe Safran spécialisée dans la sécurité, devrait recevoir 100.000 euros de la Gendarmerie nationale pour essayer de prédire, sur quelques mois ou quelques années, l'évolution des délits et crimes dans certaines régions. « Nous allons croiser toutes les données enregistrées par la gendarmerie sur certains crimes et délits avec des données ouvertes, comme celles de la répartition de la population élaborée par l'Insee, détaille Stephan Clémençon, enseignant-chercheur à Télécom ParisTech et responsable du projet. Peut-être pourrons-nous alors aider la gendarmerie à mieux répartir ses moyens. Mais peut-être que le degré d'incertitude sera tel que nos résultats ne seront pas exploitables. »

Anonymat préservé

Pour l'instant, les données « moulinées » par ces algorithmes prédictifs sont rendues anonymes : les noms des victimes, des suspects et des coupables ont été supprimés, ainsi que, normalement, leurs catégories socioprofessionnelles ou toute autre information permettant de les caractériser. « C'est la grande différence avec les Precogs de "Minority Report" : les outils actuels ne ciblent pas les personnes, mais calculent la probabilité qu'un vol ait lieu cette nuit dans tel quartier », remarque John Underkoffler.

Cependant la tentation est grande pour les organisations, qu'elles soient privées ou publiques, d'essayer d'évaluer la dangerosité de leurs interlocuteurs (clients, administrés...). « Jusqu'à une période récente, la plus forte contrainte qui pesait sur ces acteurs ne venait pas de la loi, mais de la difficulté d'acquérir les informations, rappellent les auteurs d'un rapport sur « Le numérique et les droits fondamentaux » publié par le Conseil d'Etat en septembre 2014. La facilité de la collecte des informations personnelles fait disparaître cette contrainte. » Verrons-nous un jour la police débarquer chez tous les maris qui auront cherché sur Google : « Comment se débarrasser de sa femme » ? « Dans ce cas-là, c'est que nous serons devenus tous d'accord pour dire que le libre arbitre, la possibilité de renoncer à commettre un méfait jusqu'au dernier moment, n'existe plus », prédit John Underkoffler. Pourvu qu'il ait tort, cette fois...

Jacques Henno

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