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Analyse

L'industrie du luxe cherche la bonne martingale numérique

Alors que s'observe un ralentissement du marché du luxe à l'échelle mondiale, les griffes espèrent que le digital leur offrira de nouveaux relais de croissance. Toutes ont désormais pris le virage numérique et s'efforcent de trouver le bon modèle.

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Par Dominique Chapuis

Publié le 24 nov. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Le recrutement par LVMH (propriétaire des « Echos »), en septembre, d'un poids lourd d'Apple comme directeur digital du groupe a mis en lumière un nouvel enjeu pour le secteur du luxe : conquérir la Toile, comme il l'a fait sur de nombreux marchés dans le monde, jugés souvent inaccessibles. Souvent pionnières dans la conquête de nouveaux territoires - on songe à la boutique Vuitton, ouverte dès 2009 à Oulan-Bator, ou encore à Cartier, présent au Kazakhstan -, les griffes ont, en revanche, pris du retard dans le numérique, privilégiant l'« expérience en magasin » des consommateurs. D'où les milliards investis ces dix dernières années dans leurs réseaux de boutiques « cathédrales ». « Jusque-là, le digital était considéré comme une menace par les groupes de luxe, qui n'avaient la main ni sur la discipline des prix ni sur le contrôle et la présentation de leurs produits vendus par des distributeurs », relève Nathalie Longuet, analyste responsable du secteur des biens de consommation chez Lombard Odier. « Aujourd'hui, ils avancent à marche forcée. »

Les achats en ligne de produits de luxe pèsent à ce jour environ 6 % des ventes des marques dans le monde, selon différentes études. D'ici à 2020, la part du digital devrait au moins doubler, selon les prévisions de ContactLab et Exane BNP Paribas. Déjà, une majorité de clients font des recherches en ligne avant un achat en boutique. Le britannique Burberry a été le premier à en faire un axe stratégique pour ses célèbres imperméables. Ecrans géants dans les points de vente, vendeurs équipés de tablettes : la griffe au tartan est considérée comme la plus connectée au monde. Les autres maisons, à la traîne sur le Web, n'en sont pas pour autant absentes. Hermès a été l'un des premiers à ouvrir un site d'e-commerce dès 2002 aux Etats-Unis, avant un site institutionnel en 2008. L'an passé, le sellier a lancé un espace dédié à ses carrés de soie et, depuis quelques jours, une sélection d'accessoires et de bijoux. Gucci fait aussi partie des pionniers sur la Toile. La dernière étude de ContactLab et d'Exane BNP Paribas sur l'engagement des griffes dans le digital place la marque star du groupe Kering en tête de son palmarès, avec Louis Vuitton pour « les services proposés » (conseiller, assistance téléphonique, rendez-vous...). Ces maisons sont aussi très présentes sur les réseaux sociaux, avec des audiences qui font tourner la tête : Louis Vuitton compte plus de 18 millions de « j'aime » sur Facebook, Chanel quelque 13 millions. La griffe des frères Wertheimer fait d'ailleurs partie des dernières converties. Après les cosmétiques, en ligne depuis 2014, elle promet pour l'an prochain la commercialisation de ses collections de mode sur la Toile.

Désormais, c'est plus globalement que les groupes veulent intégrer le digital dans leur démarche. Une nouvelle étape qui devrait donner lieu à une accélération. La prise de conscience remonte à un an, avec le début d'une industrialisation de cette gestion. Alors que le marché du luxe ralentit mondialement - il ne devrait progresser que de 5 % en 2015, selon les dernières données de l'étude du cabinet Bain pour Altagamma -, les griffes cherchent de nouveaux relais de croissance. « Le digital sera en tout cas pour elles un relais de substitution permettant de capter au mieux les dépenses qui se répartiront entre les magasins et Internet », reprend Nathalie Longuet. Une évolution incontournable aussi pour répondre aux nouveaux comportements des acheteurs, tous équipés désormais de mobiles ou de tablettes. « Les Chinois ont poussé dans ce sens. Au début, des plates-formes ont joué les intermédiaires pour offrir des articles de luxe aux consommateurs en Chine », note Martin Crépy, spécialiste du secteur chez Simon-Kucher & Partners. « Mais cela a favorisé la contrefaçon. Les marques ont alors compris qu'elles devaient y aller. »

Tout l'enjeu pour elles est de conserver la notion d'exclusivité sur la Toile, et d'offrir le même niveau de service que dans les boutiques. Les clients du luxe exigent une livraison rapide, et souvent gratuite. Le pari sera aussi d'intégrer leurs magasins dans la démarche, avec, par exemple, la possibilité de récupérer des articles sur place. Surtout, le digital va les aider à mieux connaître leurs consommateurs et à les relancer régulièrement. Les vendeurs en boutique connaîtront ainsi demain les achats d'un client vivant à Singapour, et pourront lui réserver les articles qu'il préfère lors d'un séjour à Tokyo. « Au cours des cinq prochaines années, les marques de luxe connaîtront virtuellement chacun de leurs clients par son nom », assurent les auteurs de l'étude Exane BNP Paribas. Attention à ne pas effrayer non plus une clientèle pour laquelle la discrétion est une règle...

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Mais ces nouveaux objectifs coûtent cher. Même si les investissements sont moins lourds que pour des magasins, le coût opérationnel est élevé. Il faut financer des contenus en ligne de plus en plus sophistiqués, des centres d'appels, sans parler des livraisons et des retours. La rentabilité est loin d'être assurée. Burberry, qui réalise avec les sites tiers près de 9 % de ses ventes en ligne, affiche sur ce canal une profitabilité quasi nulle, selon les analystes. Autre écueil à gérer : la transparence des prix. « En naviguant, un Chinois peut voir que les prix sont moins élevés en France ou aux Etats-Unis », reprend Martin Crépy. « Cette transparence met la pression sur les écarts de tarifs entre pays. » Des spécificités qui font que le luxe est en quête d'un modèle numérique bien à lui. De ce point de vue, les grands acteurs du secteur n'ont pas encore trouvé le Graal.

Les points à retenir

Représentant aujourd'hui 6 % des ventes des marques de luxe, la part du digital devrait doubler d'ici à 2020.

Les maisons de luxe sont très présentes sur les réseaux sociaux (Louis Vuitton : 18 millions de « j'aime » sur Facebook; Chanel : 13 millions).

L'enjeu : conserver la notion d'exclusivité sur la Toile, et d'offrir le même niveau de services que dans les boutiques.

Reste que le coût opérationnel est élevé et la rentabilité loin d'être assurée.

Journaliste au service Industrie Dominique Chapuis

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