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Ce que les Chinois nous enseignent en matière de dette

LE CERCLE/POINT DE VUE - Pour les Occidentaux, la dette non honorée devient une faute. Pour les Chinois, le refus de renégocier une dette est un affront.

Par Mathieu Chabran (cofondateur et co-CIO de Tikehau Capital), Thomas Friedberger (directeur général et co-CIO de Tikehau IM)

Publié le 25 juil. 2017 à 18:30

Et si l’approche chinoise était l’avenir de la dette ? En Occident, on accorde une place centrale au cadre cartésien du contrat, qui engage l’emprunteur à rembourser, quelles que soient les circonstances. Les Chinois , eux, accordent plus de prix à la parole donnée, humanisent la dette et s’intéressent davantage à qui l’on a emprunté et dans quelles circonstances.

Ces différences fondamentales sont le fruit de l’histoire et de la culture. Pour de nombreux historiens économiques, les origines du capitalisme résident dans l’essor du surendettement qui accompagna la découverte des Amériques. Après la première expédition de Christophe Colomb, marchands et banquiers européens financèrent massivement les suivantes dans ce qui furent sans doute parmi les premiers exemples de PPP de l’histoire.

Et c’est probablement parce qu’ils étaient surendettés que ces explorateurs européens se sont tous distingués par un recours systématique à la violence et à l’esclavagisme. L’exploitation gratuite d’une main-d’œuvre locale était en effet le meilleur moyen de s’assurer que ces dettes seraient remboursées.

Une culture qui privilégie la flexibilité

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Les Chinois, eux aussi, et même quatre-vingt ans plus tôt, ont mené entre 1405 et 1433 des expéditions vers l’Ouest. Mais, financés sur deniers impériaux, les explorateurs chinois n’étaient pas endettés et ont peu eu recours à la violence pour s’accaparer les ressources des nouveaux territoires.

En outre, la culture chinoise préfère le zigzag à la ligne droite, privilégie l’instant présent, envisage la planification comme une rigidité et une faiblesse. Elle considère comme une force la flexibilité et l’adaptation aux circonstances , d’où la propension à ne pas exécuter un contrat si les circonstances ont changé. Ces différences de vision de l’homme et du monde se traduisent très concrètement dans la relation à la dette.

Pour les Occidentaux, la dette non honorée devient une faute : le contrat donne en quelque sorte au créancier un droit de coercition, voire d’expropriation, comportant même un élément moral. Il s’ensuit que la renégociation d’une dette se déroule généralement sous la forme d’un rapport de forces. Telle a été l’attitude de l’Union européenne et du FMI dans leur gestion de la crise grecque , mettant le pays sous tutelle et provoquant des conséquences sociales lourdes.

Une logique sociale de la dette

A l’inverse, la pratique chinoise intègre les relations d’affaires, et a fortiori les prêts, dans une logique de réseau et dans une circonstance nécessairement changeante. Dès lors, le refus de négocier apparaît donc non seulement comme un affront, mais comme le refus du cycle de la nature et de l’essence même du monde. C’est pourquoi le contrat y vaut moins que la parole : l’important est de garder la face dans son groupe, sa communauté.

Cette logique sociale de la dette implique que l’on admette que le contrat soit modifié si les circonstances changent, bien au-delà des clauses usuelles de force majeure. Sans bien sûr renoncer à la place centrale du contrat, dont les termes sont un facteur clef de succès, il nous paraît utile de tirer les enseignements de cette conception, qui consiste à remettre cet instrument dans un contexte humain privilégiant le contournement et la discussion. Bref, tout simplement à faire preuve d’adaptabilité.

Concrètement, un bris de covenant peut ainsi avoir des causes multiples qui n’ont parfois rien à voir avec l’imminence d’une situation de faillite et est souvent l’occasion de renégocier les conditions du contrat. Cela exige une grande qualité de dialogue permanent et donc une grande proximité entre le management de l’entreprise financée et le gérant du fonds. Cette proximité rend possibles la flexibilité et la capacité d’adaptation aux circonstances qui caractérisent les fonds privés par rapport à d’autres activités de crédit plus intermédiées et mécaniques, donc moins humaines.

Le philosophe taoïste Guo Xiang ne dit-il pas que « ce que les sages ont fait appartient au passé et ne peut donc convenir à la situation actuelle » ?

Mathieu Chabran est cofondateur et co-CIO de Tikehau Capital. Thomas Friedberger est directeur général et co-CIO de Tikehau IM

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