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Interview

Olivier Bomsel : « La France a raté le marché mondial des séries télé »

Olivier Bomsel (Directeur de la chaire ParisTech d'économie des médias et des marques)

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Par Grégoire Poussielgue

Publié le 2 sept. 2014 à 01:01

L'arrivée de Netflix est-elle une bonne chose pour le paysage audiovisuel et cinématographique français?
Oui. Pour deux raisons. La première, c'est que de nouvelles offres vont être proposées au consommateur avec de larges catalogues et des tarifs attractifs. Partout où cela s'est produit, cela a contribué à réduire le piratage en y substituant du marché... La seconde, c'est que cette concurrence va obliger le secteur audiovisuel français à se moderniser. Je m'explique. L'industrie française de la télévision est encore structurée par les choix réglementaires des années 1980 ayant accompagné la libéralisation de la télévision d'Etat. Ce système était basé sur la concession de fréquences hertziennes à des entreprises privées (et amies) en échange d'obligations de production et de diffusion. A l'époque, c'était très habile car la télévision, à commencer par Canal+, créait de nouveaux marchés dont les recettes se réinvestissaient dans la création française : la télévision achetait à des producteurs externes des programmes pour exploiter ses fréquences. Mais rapidement, le monde a évolué. L'introduction du satellite dans les années 1990, et surtout de la TNT dans les années 2000, a intensifié la concurrence sans accroître les marchés. Le système s'est adapté à la marge avec de moins en moins d'efficacité. Les règles féodales d'échanges de concession contre des obligations d'investissement ne sont compatibles ni avec la numérisation des médias, ni avec la mondialisation d'Internet. Leur maintien se fait au prix d'un renforcement des inefficacités de marché : l'irréformable chronologie des médias en est un bon exemple. L'entrée de Netflix qui refuse le régime concessionnaire de la télévision française signe la péremption de ce dispositif. On ne peut plus se contenter de replâtrer.

Pensez-vous que le système actuel de financement de la création en France soit caduc?
Ce système est complexe et totalement obscur pour le grand public. Ce qu'il faut retenir, et que nous illustrons dans l'étude, c'est que la part des financements correspondant aux obligations de la télévision va baisser avec les chiffres d'affaires. Pour le cinéma, ces obligations représentent un tiers des montants investis : l'effet sera peu sensible et des incitations existent pour accroître les apports commerciaux, notamment à l'export. Pour la fiction audiovisuelle, en revanche, ces montants représentent plus de deux tiers des apports. L'impact sera d'autant plus fort que la réglementation ne permet pas aux chaînes d'exploiter les programmes en dehors de leurs propres antennes : elles ne sont que locataires des programmes qu'elles financent. Il n'y a pas d'incitation à l'export. Si le marché français baisse, la télévision paiera moins pour des programmes qui lui rapporteront moins. Et compensera ses achats par des importations américaines, moins risquées au plan de l'audience. C'est ainsi que la France a raté le marché mondial des séries télé, quand ses concurrents anglais ou scandinaves, sans parler des américains, avaient des incitations à créer des fictions exportables. Ce qui est caduc, c'est de légitimer des obligations de production par des marchés protégés, alors même qu'ils ne le sont plus et que la télévision régresse.

Quelles sont les évolutions structurelles que vous anticipez à court, moyen et long terme?
Il faut une politique industrielle. Autrement dit, fixer un objectif de long terme et régler les étapes pour y parvenir. L'objectif de long terme doit être de structurer l'industrie non plus autour de concessions, mais autour de catalogues.

Il faut promouvoir une logique de studios dans laquelle les télévisions deviennent propriétaires des programmes et financent la création par l'exploitation multi-support des catalogues. Pour cela, il faut mettre fin à la désintégration verticale, c'est-à-dire augmenter la part des droits octroyée à la télévision en l'échange de ses apports en production. L'important est de fixer le point d'arrivée. Il faut, à terme, trois ou quatre grands studios de télévision - trois privés, un public - capables de s'allier au plan international et de développer des structures d'exportation proches des marchés finaux. Bien entendu, il faut que l'écosystème de la production s'adapte et apprenne à travailler autour de studios. On peut imaginer une ou deux étapes intermédiaires entre la désintégration actuelle et l'intégration verticale totale. Cette réforme est d'autant plus praticable que tous les acteurs du secteur ont à y gagner : l'accroissement de l'investissement en France ne peut venir que de l'export.Voyez-vous, comme Reed Hastings, le PDG de Netflix, la disparition de la télévision linéaire dans vingt ans ?
Non. La télévision est un outil de synchronisation sociale. Elle fonctionne au registre de l'événement, du récit collectif instantané. Les news, la politique, le sport, voire des jeux suscitant de l'émotion collective, tous ces récits ont besoin du direct. La fiction suit sa propre temporalité, c'est pour ça qu'elle peut se désynchroniser. Les médias fabriquent de l'addiction au récit. Chaque média a son registre thématique et temporel. La télévision est une addiction au présent, à un présent socialisé. Les séries que vend Netflix créent de l'addiction à des récits au passé. Les deux pratiques sont complémentaires, interdépendantes, pas entièrement substituables.

G. P.

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