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Philippe Brassac, le croisé du mutualisme

Ce pur produit des caisses régionales a été nommé ce mardi à la tête de l’organe central coté du groupe mutualiste à compter du 20 mai. Il veut bouleverser la gouvernance du Crédit Agricole et imposer à chacun de jouer à nouveau collectif.

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Philippe Brassac, directeur général du Crédit Agricole Provence Côte d'Azur, vient d’être désigné directeur général de Crédit Agricole SA.

Par Véronique Chocron

Publié le 24 févr. 2015 à 18:28

C’est maintenant officiel. « Le Conseil d’Administration de Crédit Agricole S.A., sur proposition de son président Jean-Marie Sander et après avis du Comité des nominations et de la gouvernance, a nommé Philippe Brassac Directeur général de Crédit Agricole S.A », a indiqué mardi soir l’entité coté du groupe dans un communiqué. Le microcosme parisien connaît peu cet homme discret qui va succéder à Jean-Paul-Chifflet à compter du 20 mai.Sa carrière, Philippe Brassac l’a bâtie en ascète, depuis sa caisse régionale de Provence Côte d’Azur. Foncièrement méditerranéen, natif de Nîmes, ce passionné de tauromachie n’a pas la faconde des Latins. « Il n’est pas très facile d’accès au premier abord, ce n’est pas un grand expansif. Il est même un peu rugueux mais quand on a brisé la glace, on découvre un homme remarquablement intelligent », décrypte un de ses anciens compagnons de route au Crédit Agricole. « La clef, c’est d’établir une relation de ­confiance avec lui », poursuit-il.

Cette discrétion, alliée à des qualités de stratège, a permis à ce banquier compétentde franchir sans encombre les marches du pouvoir au sein du groupe ô combien complexe et politique qu’est le Crédit Agricole. Nombre de barons ne l’ont pas vu venir. En 2010, il décroche ainsi le poste de secrétaire général de la Fédération nationale du Crédit Agricole (FNCA), à la barbe du favori. « Il n’était pas prévu qu’il prenne la tête de la Fédération. Au service de presse sa biographie n’était même pas prête », se souvient un proche. « Son arrivée à la Fédé a été une surprise, confirme un banquier du Crédit Agricole. Il est devenu le patron des directeurs généraux de caisses régionales, le “primus inter pares”, alors qu’il n’était pas le plus ancien dans le grade. Il a gagné parce qu’il a fait une excellente campagne. »

C’est par Casa qu’il faut passer pour présider aux destinées du Crédit Agricole

S’ouvre alors pour Philippe Brassac la voie royale qui mène à la tête de Crédit Agricole SA (Casa). Car si la « Fédé » représente les caisses régionales et détient le pouvoir politique, les marchés et les régulateurs n’ont d’yeux que pour Casa, la structure cotée du groupe. C’est donc par Casa qu’il faut passer pour présider aux destinées du Crédit Agricole et imprimer sa marque. Or Philippe Brassac a un projet pour le groupe. « C’est un homme de convictions », juge un ancien patron du groupe, « un croisé du mutualisme », renchérit une ancienne collaboratrice. Son corpus idéologique du mutualisme se construit autour d’un impératif d’utilité. N’allez pas lui parler de naïveté ! Pour lui, l’utilité constitue au contraire le moteur de la performance économique. La mettre au cœur d’une organisation revient donc à la pérenniser.

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Sa réflexion sur le rôle des caisses régionales dans le groupe se nourrit originellement de l’influence d’André Costabel, figure forte du groupe, qui le recrute pour son premier job, au Crédit Agricole du Gard. Jeune Nîmois de vingt-trois ans, issu d’un milieu modeste, porté sur les mathématiques, Philippe Brassac a alors terminé ses études à l’Ensae, la grande école nationale de la statistique, et son service militaire dans l’aéronavale. Très vite, sa carrière s’accélère. Rapidement repéré par ses aînés, il gravit les échelons un à un, devient à trente-huit ans directeur général de caisse régionale, puis effectue une mobilité à Paris, à la CNCA, feu la Caisse nationale de Crédit Agricole, de 1999 à 2001. A l’époque, le groupe s’apprête à faire son aggiornamento en lançant l’introduction en Bourse de Casa. Et Philippe Brassac estime alors que d’autres politiques sont possibles. Il est coopté deux ans plus tard, en 2003, pour entrer au bureau fédéral. Une carrière nationale s’ouvre à lui. Elle se concrétise avec son arrivée aux fonctions de secrétaire général de la Fédé en 2010.

Fédérer les caisses régionales autour d’un projet révolutionnaire

C’est à cette époque que le jeune baron décide de fédérer les caisses régionales autour d’un projet révolutionnaire pour le groupe. Il consiste à faire remonter l’organe central, c’est-à-dire les fonctions régaliennes aujourd’hui logées au sein de la structure cotée Crédit Agricole SA, dans une structure détenue par les caisses régionales. Avec l’objectif de redonner une unité de pilotage au groupe. Il lui apparaît en effet que celui-ci a perdu progressivement cette unité après le rachat de la CNCA, à la fin des années 1980. Celle-ci s’est alors lancée dans un processus de croissance externe, rachetant Indosuez, Finaref, Sofinco, et elle s’est mise à avoir accès à des clients et à des territoires. Après la cotation et l’acquisition du Crédit Lyonnais, Casa et la Fédération ont commencé à communiquer en parallèle, la première allant même jusqu’à présenter son propre plan stratégique. « Cette mise en silo n’a fait que s’accentuer, mais tant que les résultats étaient là, tant qu’il ne fallait pas partager la liquidité, cela semblait convenir à tout le monde», observe un fin connaisseur du groupe.

Arrive la crise, les pertes significatives du groupe dans les « subprimes » américains, la facture de ses mésaventures grecques, qui plongent la banque verte dans la tourmente. La volonté d’un retour aux sources du mutualisme portée par Philippe Brassac provoque l’adhésion de la majorité des caisses. « Philippe, c’est quelqu’un qui réfléchit beaucoup, ça percole, dit de lui, dans un sourire, son ami Jacques Delpla, professeur associé à l’Ecole d’économie de Toulouse. Je ne suis pas toujours d’accord avec lui, il lui est arrivé de me rentrer dedans, et de me convaincre. »

« Il est prêt à affronter des situations complexes, s’il considère que c’est dans l’intérêt du groupe ». 

Philippe Brassac a convaincu les caisses régionales, mais la direction actuelle de Casa n’approuve pas les modalités actuelles du projet de réforme de la gouvernance. Ce qui coince ? Un problème de dosage dans l’organisation et le prix proposé par la Fédération pour dédommager Casa du transfert de son organe central. En prenant à partir de mai la direction de la structure cotée du groupe, Philippe Brassac aura davantage les coudées franches. Mais il lui faudra encore convaincre le régulateur européen des banques du bien-fondé de sa réforme. « Il est très analytique. Et très déterminé lorsqu’il est ­convaincu, dit de lui un banquier de chez Rothschild. Il est aussi courageux : il est prêt à affronter des situations complexes, s’il considère que c’est dans l’intérêt du groupe. »

Dans cette perspective, il faudra aussi réconcilier. Jean-Paul Chifflet, qui quittera le groupe en mai prochain, fut longtemps un allié précieux. Il vient chercher Philippe Brassac pour le faire entrer à la CNCA, il le coopte en 2003 au bureau fédéral et l’aide en 2006 à en devenir vice-président. De même, Philippe Brassac fait partie de ceux qui ont soutenu Jean-Paul Chifflet dans sa conquête de la direction générale de Casa. « Ces deux hommes se sont beaucoup appréciés. Il faut se rappeler que Chifflet est arrivé chez Casa en tant que champion des caisses régionales. C’est l’organisation actuelle du groupe qui, par essence, génère des tensions », souligne un ancien responsable du Crédit Agricole qui les a côtoyé tous les deux.

En s’installant aux commandes, Philippe Brassac se trouvera confronté aux mêmes difficultés que son aîné. Il va devoir diriger un groupe coté et ses filiales métiers, dont l’activité à l’international ou sur les marchés financiers n’a que peu à voir avec la banque de proximité en région. Parviendra-t-il à faire évoluer le système ? De ce judoka émérite (« judo » signifie littéralement « la voie de la souplesse et de l’adaptation »), tous ses proches s’accordent à penser qu’il a une vision et le charisme nécessaire pour l’imposer.

Véronique Chocron

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