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Les coraux, chef-d'oeuvre naturel en péril

La goélette « Tara » va partir pour le Pacifique afin de passer au crible l'état de santé des récifs coralliens, dont dépend un tiers de toutes les espèces marines.

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Par Yann Verdo

Publié le 23 mai 2016 à 01:01

Ce sera, samedi prochain, l'effervescence des grands jours dans le port de Lorient. Après s'être laissée dériver avec la banquise arctique de 2006 à 2008, avoir fait le tour du monde pour étudier le piégeage du gaz carbonique par le plancton entre 2009 et 2012, puis s'être intéressée à l'impact des microplastiques sur la mer Méditerranée en 2014, la célèbre goélette « Tara », dédiée à l'exploration et à la défense de l'environnement marin, va une nouvelle fois quitter son port d'attache pour une nouvelle expédition scientifique. Celle-ci durera deux ans et quatre mois, et l'emmènera cette fois sur le Pacifique.

Au cours de la seule première année, quelque 80 chercheurs - pour l'essentiel des écologues et des généticiens - se relaieront à bord par groupes de sept. « Tara » va sillonner le plus vaste océan du globe terrestre de façon méthodique, selon un gradient est-ouest qui la conduira des côtes du Panama à celles du Japon, et un gradient sud-nord qui la fera remonter de la Nouvelle-Zélande à la Corée. Sur sa route, elle croisera une quarantaine d'archipels coralliens qu'elle examinera un par un à la loupe.

Car tel est l'objet de cette nouvelle mission : l'étude des coraux, dont 40 % se concentrent dans le Pacifique. Ces animaux dénués de système nerveux, et appartenant au même embranchement que les méduses, sont parmi les plus anciens à vivre sur Terre : ils étaient déjà présents à l'ère primaire, il y a plus de 250 millions d'années ! Leur beauté à couper le souffle fait la joie des plongeurs et a valu à la Grande Barrière de corail s'étirant sur 2.300 km au large de la côte nord-est de l'Australie d'être inscrite par l'Unesco, en 1981, au Patrimoine mondial de l'humanité. Mais les récifs coralliens concentrent dans leurs parages, dans un complexe réseau de relations symbiotiques, 30 % de toutes les espèces marines recensées !

Episodes de blanchissement

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Or, ces « réserves naturelles » se portent mal, très mal. Lorsque la température des océans augmente, cela provoque l'expulsion des algues symbiotiques qui vivent à l'abri des coraux et leur donnent en échange non seulement leurs belles couleurs, mais aussi et surtout une grande partie de leurs nutriments; si l'eau reste chaude et les algues absentes trop longtemps, le corail se met à blanchir et dépérir faute d'énergie.

C'est notamment ce qui se produit lorsque le phénomène climatique naturel El Niño réchauffe les eaux du Pacifique. C'est le cas en ce moment même : une étude du Centre of Excellence for Climate System Science, un organisme financé par le gouvernement australien, a constaté en mars dernier une hausse de 1 °C des eaux baignant l'Etat du Queensland.

« Ces épisodes de blanchissement dramatiques peuvent entraîner une mortalité importante. En 1998, suite à un précédent passage d'El Niño, 18 % des coraux de la planète sont morts en trois ou quatre mois », rappelle Serge Planes, chercheur CNRS et directeur scientifique de l'expédition Tara Pacific. « A titre de comparaison, poursuit-il, il a fallu vingt-cinq ans à l'espèce humaine pour détruire exactement le même pourcentage de la forêt amazonienne. »

Mais El Niño n'est pas seul en cause. Avec le réchauffement de l'air - et donc de l'eau - provoqué par l'accumulation dans l'atmosphère des gaz à effet de serre, ces conditions extrêmes, plutôt que l'exception, risquent de devenir la règle. La même étude australienne conclut qu'avec le réchauffement climatique, des épisodes de blanchissement massifs tels que ceux de 1998 ou 2016 risquent dans un proche avenir de se produire tous les deux ans en moyenne. Selon un des auteurs, la probabilité d'en voir un se déclencher est 175 fois plus élevée que dans un monde vierge de tous gaz à effet de serre d'origine anthropique.

Au réchauffement de l'eau s'ajoutent d'autres périls. L'acidification des océans, due à l'accumulation du dioxyde de carbone, fragilise le corail, un peu comme l'ostéoporose fragilise le squelette humain. Le dérèglement climatique se traduit aussi par une multiplication et une montée en puissance des tempêtes et cyclones, qui ravagent les récifs coralliens sur leur passage. Un autre ennemi mortel du corail est l'acanthaster pourpre, une espèce invasive d'étoile de mer qui le tue en dévorant ses polypes et a proliféré dans toutes les eaux du globe. Les causes de ce phénomène restent objet de controverses, mais on soupçonne les nitrates contenus dans les pesticides rejetés en mer par l'agriculture côtière d'y jouer un rôle actif. Les dragages géants effectués pour permettre l'expansion des ports industriels et l'augmentation du trafic maritime pèsent aussi bien lourd dans la balance.

Rôle de la microfaune

Confrontés à tant de menaces, les coraux et les innombrables espèces marines auxquelles ils servent de refuge vont-ils disparaître ? Certains l'affirment haut et fort. Ce n'est cependant pas l'avis de Serge Planes. « Les coraux étaient là longtemps avant nous et seront sans doute là longtemps après. Ce qui est sûr, c'est que les récifs coralliens vont se transformer sous la pression de leur environnement. Les espèces dominantes de corail, la biodiversité associée ne seront plus les mêmes qu'aujourd'hui. »

C'est justement pour essayer de prévoir et même de modéliser cette évolution que l'équipe de « Tara » va porter toute son attention sur les micro-organismes vivant au sein des récifs : microalgues, champignons, bactéries et virus. « Les 1 à 2 kg de bactéries que comporte un corps humain sont essentiels à son bon fonctionnement. On peut supposer qu'il en va de même avec les colonies coralliennes, estime le chercheur. Quel sera le rôle joué par cette microfaune dans l'adaptation du corail au changement climatique ? C'est la grande question à laquelle l'expédition va chercher à répondre. »

Pour cela, trois espèces de corail (un corail branchu, un corail massif et un corail de feu), ainsi qu'un petit poisson herbivore, feront l'objet de prélèvements systématiques qui seront envoyés en France et passés au crible des séquenceurs d'ADN du Genoscope d'Evry. Cette attention portée à la diversité globale d'une colonie corallienne, y compris et surtout dans sa dimension microscopique, couplée au fait que la goélette quadrillera l'ensemble d'un océan (et non le moindre) font que l'expédition Tara Pacific se démarquera des nombreuses autres études déjà menées sur les coraux, notamment par les Australiens sur la Grande Barrière. Des conclusions auxquelles parviendront les chercheurs embarqués sur la goélette dépendent le devenir non seulement d'un des plus merveilleux joyaux naturels de notre planète, mais aussi de près d'un tiers de la prodigieuse diversité cachée dans les profondeurs des océans.

Océans : les données clefs

Grands absents des négociations de la COP 21, les océans couvrent pourtant 70 % de la surface du globe.Ils absorbent 25 % du CO2 émis chaque année par l'homme et concentrent 50 fois plus de carbone que l'atmosphère.Le surplus de chaleur provoqué par l'effet de serre est absorbé à 93 % par le réchauffement de l'eau des mers, à 3 % par celui des sols, à 1 % par celui de l'air; les 3 % restants sont absorbés par la fonte des glaces.Dans une publication parue dans « Science » en juillet 2015, une équipe internationale de chercheurs avait sélectionné sept indicateurs de la plus ou moins bonne santé des océans : 1) les plantes 2) les mangroves 3) les coraux 4) les coquillages 5) le krill 6) les poissons 7) les ptéropodes (de petits mollusques).La même étude indiquait : « Avec une hausse de la température de l'eau de 1,2 °C, les impacts sont modérés, mais en cas d'une hausse de 3,2 °C, tous les organismes sont attaqués. »

Yann Verdo

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