Publicité
Interview

Philippe Brassac : « Les taux bas engendrent des effets pervers à long terme »

Le patron de Crédit Agricole SA prend la présidence de la FBF pour un an. Il met en garde contre un excès de zèle des régulateur.

0211290968974_web.jpg
Philippe Brassac, patron de Crédit Agricole SA vient de prendre la présidence de la Fédération bancaire française (FBF).

Par Ninon Renaud, Véronique Chocron, Édouard Lederer, Guillaume Maujean

Publié le 15 sept. 2016 à 19:13

Vous venez de prendre la présidence de la Fédération bancaire française (FBF). Quelles sont vos priorités pour l’année qui s’ouvre?

Tout simplement permettre aux banques françaises de continuer à financer l’économie de manière efficace et d’accompagner les transformations sociétales en cours. Nous devons être des accompagnateurs : qu’il s’agisse de relever le défi de l’accession à la propriété par une offre de crédit immobilier adaptée, ou celui de la transformation énergétique grâce à des financements innovants comme les obligations vertes par exemple.

Les banques sont néanmoins pointées du doigt par des ONG car certaines d’entre elles financent encore des projets controversés comme les centrales à charbon...

Ces associations sont dans leur rôle d’aiguillon mais les établissements français ont réellement convergé vers des politiques de financement favorables à la transformation énergétique. A la marge, il peut toujours y avoir quelques incompréhensions lorsque nous estimons, par exemple, qu’il vaut mieux dans certains cas financer la modernisation d’un dispositif vétuste, pour le rendre moins polluant, que de le laisser en l’état.

Publicité

Vous revendiquez la solidité des banques françaises mais certaines figuraient par ailleurs dans la deuxième moitié du peloton des résultats des stress test de la BCE cet été...

Il n’y a aucune ambiguïté : l’impact des stress scénarios sur les fonds propres des banques françaises est nettement inférieur à la moyenne européenne : et elles conservent toutes un niveau de capital très satisfaisant. Nos établissements ont plus que doublé leurs réserves de fonds propres en quelques années et leur capacité de résistance est clairement confirmée par les derniers stress tests.

Pourquoi les banques sont-elles donc si mal valorisées en Bourse ?

Parce que les règles du jeu ne sont pas stabilisées, ce qui maintient les investisseurs dans le flou. Le nouveau projet de régulation Bâle IV fait en effet planer la menace de nouvelles exigences de fonds propres, alors que le renforcement considérable de la solvabilité des banques pèse structurellement sur leur rentabilité. Mais ce niveau de rentabilité, dans un environnement dérisqué, demeure attractif. Je ne doute donc pas que les valorisations pourront remonter dès que le paysage prudentiel aura été stabililisé.

Les banques françaises sont-elles particulièrement visées par les travaux du Comité de Bâle ?

En France, comme en Europe, le financement de l’économie passe en majorité par les banques, bien davantage qu’aux Etats-Unis où le financement par le marché domine. Du coup, toute nouvelle contrainte sur les banques affecte davantage le financement de l’économie européenne et française que celui des Etats-Unis. A titre d’exemple, lorsqu’il faut actuellement mobiliser un euro de fonds propres pour le financement de la vente d’un Airbus ou la construction d’une autoroute, il faudrait mobiliser demain 5 ou 6 euros si certaines hypothèses de Bâle 4 étaient adoptées en l’état. C’est inacceptable. Mais ce qui se discute aujourd’hui à Bâle 4 ce n’est pas un bras de fer entre les USA qui voudraient des règles plus strictes et plus prudentes pour les Banques et l’Europe qui se contenterait de plus de laxisme : c’est exactement l’inverse ! Les USA plaident, sous couvert de simplicité, pour un retour aux modèles dits standards (c’est-à-dire Bâle 1), et la France (entre autres pays) souhaite au contraire que les Banques qui ont beaucoup investi dans Bâle 2 et Bâle 3 sur des modèles beaucoup plus sophistiqués d’appréciation des risques, puissent les conserver ! Rajoutons que pour apporter de l’objectivité, il n’est pas difficile d’observer qu’en Europe, ce sont les banques qui ont le plus appliqué les modèles dits internes ou avancés qui ont le mieux maîtriser leur niveau de risque. Soyons simples : le risque de Bâle 4, c’est que ce soit en fait un « Bâle 1,5 ». Là aussi, c’est inacceptable.

Les autorités européennes ont néanmoins affirmé qu’il n’était plus question d’augmenter les fonds propres des banques. Ne criez-vous pas ainsi avant d’avoir mal ?

Si, mais lorsqu’il sera trop tard, qui aura vraiment mal ? Le système bancaire français n’aura d’autre choix que de s’adapter et cela se fera au détriment du financement de l’économie. Il faut arrêter de demander aux banques de consacrer plus de fonds propres à leur solvabilité, et leur permettre au contraire de les consacrer au financement de l’économie.

La politique de taux très bas de la BCE est-elle porteuse de risques ?

La BCE a fait sa part de travail avec la baisse des taux, qui est une condition nécessaire -mais non suffisante- de la reprise de la croissance . Cette politique engendre toutefois des effets pervers à moyen et long terme. Elle est par exemple adverse aux épargnants, qui ne trouvent plus de rendement significatif non risqué et qui, par ailleurs, ont perdu leur repère, dans un environnement où il est quasiment plus rémunérateur de prêter à l’Etat à 15 jours sous forme de Livret A, qu’à dix ans sous forme d’OAT. Pour le système bancaire français, la situation est d’autant plus complexe que notre système d’épargne réglementée [Livret A, LDD, PEL...] fixe des planchers de rémunération, empêchant tout le système d’intermédiation de s’adapter à un environnement de taux durablement bas. Quant au taux de dépôts négatif sur les liquidités que les banques déposent aux guichets de la BCE, il s’agit d’une pénalisation objectivement inefficace. Car si l’intention de la BCE est bien d’inciter ainsi les banques à utiliser leurs liquidités pour faire plus de crédits, dans le même temps, la réglementation prudentielle durcit la capacité à faire du crédit, via des exigences en solvabilité toujours plus élevées. Nous demandons tout simplement plus de cohérence entre la politique monétaire et la politique prudentielle.

Le mouvement continu de renégociations de crédit immobilier peut-il fragiliser les banques françaises ?

Il faut d’abord rappeler que ce mouvement a fonctionné comme une réinjection de pouvoir d’achat au bénéfice des emprunteurs et de leur solvabilité. La difficulté est que le système de prêts à taux fixe qui domine en France est utilisé comme étant flexible à la baisse et évidemment jamais à la hausse ! Il faut faire attention à ne pas aller trop loin car nous sommes tous attachés, en France, à ce que se soit les banques qui prennent et gèrent le risque de taux, et non les clients via des taux variables, comme dans la plupart des pays anglo-saxons.

Publicité

La loi Macron qui va faciliter la mobilité bancaire va-t-elle stimuler la concurrence et rebattre les cartes ?

La concurrence est une bonne chose, mais attention au diagnostic : si les clients changent peu de banque en France, ce n’est pas principalement pour des raisons techniques, c’est aussi (pourquoi ne pas le dire ?) parce que les clients ont un intérêt objectif à une relation globale et durable avec leurs banquiers dont le métier est bien de les accompagner dans le temps. A trop faire l’apologie de la non fidélité à son banquier, nous pouvons dériver vers un modèle fragmenté, une nouvelle fois de type anglo-saxon, dans lequel chaque intervenant essaye de convaincre que son champ d’activité est la réponse la plus adéquate aux besoins de gestion patrimoniale de leurs clients. Je ne pense pas que ces pays soient des modèles de satisfaction généralisée des consommateurs vis-à-vis des banques ou des assurances.

Après le Brexit, les banques françaises pourraient-elles récupérer des activités de la City ?

Pour le moment, strictement rien n’a évidemment changé. Le Brexit n’est qu’une intention déclarée et les négociations n’ont même pas débuté. Pour que la France et Paris puissent en tirer un profit indirect, il faut présenter une attractivité particulière comparativement à d’autres places. Paris Europlace a réalisé un important travail. Mais de façon pragmatique, si la fiscalité sur les systèmes bancaires demeure très élevée, si la taxe sur les salaires qui nous frappe particulièrement reste élevée, ce sera difficile d’attirer la création de nouveaux emplois de la finance chez nous. La France peut tirer son épingle du jeu, mais il faut bien sûr pour cela une stratégie globale cohérente et constante. Cela se jouera donc au niveau politique.

Les acteurs du digital investissent en masse les services financiers. Comment les banques doivent-elles réagir ?

De nouveaux acteurs bancaires et non bancaires apparaissent ce qui est parfaitement normal dans le jeu de la concurrence. Mais le digital existe en France depuis longtemps dans le domaine de la banque et des paiements notamment. On le voit avec l’usage du mobile par nos clients qui est d’ores et déjà quasi généralisé. Mais je crois surtout qu’il y a une erreur d’appréciation : tout le monde sait d’ores et déjà ouvrir des comptes, faire de la banque à distance et innover dans le mobile-banking : mais la banque ce n’est pas que de la distribution, que des process opérationnels. La banque est avant toute chose un métier de l’engagement relationnel, où la confiance joue un rôle fondamental : à la fois en termes de sécurité des systèmes que de loyauté des conseils. La concurrence est ouverte, mais ce sera toujours ceux qui mériteront vraiment la confiance de leurs clients qui gagneront.

Les fameux « Gafa » américains ne pourraient-ils pas bousculer le jeu ?

D’une façon générale, les Gafa sont des acteurs redoutables parce que puissants , et avec une image de marque solide. La question est de savoir s’ils sauraient mériter la confiance de leurs clients pour être loyaux, transparents et travailler dans une industrie bancaire injustement peu reconnue comme à très faibles marges. Je comprends qu’ils puissent hésiter. Mais s’ils devaient prendre une telle direction, je leur dirais tout simplement « bienvenue au Comité de Bâle ! ».

Face à ces géants de l’Internet, américains ou chinois, faudrait-il promouvoir un champion européen ?

Le minimum en tous cas à attendre c’est que l’Europe ne se préoccupe pas que d’ouvrir son marché à la concurrence internationale, mais qu’elle sache aussi créer des conditions pour faire émerger ses propres champions. La défiance portée aux initiatives nationales, qui profite aux grands réseaux internationaux non européens, nous laisse perplexes.

Ségolène Royal a critiqué il y a quelques jours les banques françaises qui refusent d’intervenir en Iran...

Son constat est fondé : les banques Françaises ne peuvent pas aujourd’hui intervenir dans ce pays car les régimes d’embargo américain ne sont pas réellement levés, et que les risques demeurent pour elles énormes de se faire lourdement sanctionner par les autorités américaines. C’est un sujet politique qui nous dépasse.

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité