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Enquête

Avec le Brexit, le Luxembourg veut saisir sa chance

Par Pascale Braun

Publié le 18 janv. 2017 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Le Luxembourg est une place financière en plein boom, portée par la gestion de fonds et les fintech. Le Brexit est une opportunité à saisir mais avec prudence du fait des liens avec Londres.

Un effet Brexit ? Le 15 janvier, Rakuten Europe Bank a lancé ses activités commerciales au Luxembourg. Leader mondial du commerce électronique, le groupe japonais y interviendra en tant qu'opérateur bancaire et acteur de la fintech. Au cours du dernier trimestre, deux banques chinoises, China Everbright Bank et Shanghai Pudong Development Bank, ont également annoncé leur arrivée dans le centre névralgique de la gestion européenne d'actifs. En octobre dernier, le groupe britannique M&G Investments a pour sa part présenté à la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) une demande de création d'une nouvelle société dédiée à la distribution de fonds dans l'Union européenne dans la perspective de l'après-Brexit.

Ces arrivées ne constituent pas encore une déferlante, mais confirment un regain d'intérêt international pour la place financière luxembourgeoise. Même si les modalités du Brexit restent à préciser, le grandduché s'attend à voir arriver des institutions financières britanniques et des acteurs non-européens. « A l'avenir, les banques qui viendront en Europe choisiront une implantation dans l'Union européenne pour accéder au marché unique. Londres conservera son statut de place financière internationale, mais elle devra apprendre à fonctionner à l'instar des banques suisses, avec des sièges nationaux et des plates-formes de gestion implantées en dehors de ses frontières. Le Luxembourg est particulièrement bien placé pour lui apporter des solutions pragmatiques », estime Tom Théobald, directeur adjoint de Luxembourg for Finance, l'agence pour le développement du centre financier luxembourgeois. La Commission de surveillance du secteur financier se refuse à tout commentaire sur le sujet, mais des dizaines de banques lui auraient déjà présenté leur demande de passeport européen.

Pas d'ostentation

Stupéfait et consterné par l'annonce du Brexit, le grand-duché s'est bien gardé d'indisposer la Grande-Bretagne par une communication ostentatoire. Première place financière de la zone euro, le pays est d'autant plus soucieux de ménager le Royaume-Uni que la City constitue son premier partenaire tant en import qu'en export de fonds. Gestionnaire de 600 milliards d'euros britanniques, le grand-duché fait valoir un savoir-faire bien rodé dans la gestion des investissements et des transactions de change décidées à la City. Depuis l'annonce du Brexit, le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna, s'est cependant mué en VRP globe-trotter de sa place financière. Il s'est rendu à Londres, aux Etats-Unis et en Chine pour répéter que son pays constitue « un choix naturel pour les acteurs qui ont besoin de trouver une place dans la zone euro ou sur le continent ».

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Le discours s'appuie sur des atouts indéniables. Dans les années 1970, le petit Etat a progressivement remplacé la sidérurgie par une industrie financière internationalisée par essence. Le trilinguisme français-allemand-anglais inculqué dès l'enfance aux 549.000 ressortissants luxembourgeois a fait merveille. Ne pouvant pas se limiter à leur marché intérieur, à la différence de leurs voisines françaises ou allemandes, les banques luxembourgeoises se sont spécialisées dans le back-office de fonds étrangers publics et privés, l'assurance et la cotation de devises et d'obligations. Premier pays européen à accueillir dès la fin des années 1970 des institutions bancaires islamiques, puis chinoises, le Luxembourg a coté en 2002 les Sukuk (obligations conformes à la charia) et renforce aujourd'hui son statut de passerelle financière entre la Chine et l'Europe. Membre de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures, il accueille les six premières banques chinoises et gère 69 % des fonds d'investissement chinois en Europe.

L'affaire Clearstream, le scandale des Panama Papers, où le grand-duché est cité à des milliers de reprises, ou encore le retentissant procès des LuxLeaks, dont le jugement en appel sera rendu le 15 mars, auraient pu mettre à mal la place financière luxembourgeoise. Ces bourrasques ont au contraire conduit l'Etat à engager une fulgurante reconversion dans l'industrie numérique, quadrillant son espace de connexions à très haut débit et de cloud ultrasécurisés. Attirés par une fiscalité des plus clémentes, mais aussi par un vivier de compétences particulièrement dense, des géants du commerce en ligne dont Amazon Payments, PayPal ou eBay se sont ainsi implantés au Luxembourg. Une kyrielle de start-up internationales les y ont rejoints, dont Bistamps et Ripple, spécialistes de l'échange et du règlement en temps réel de bitcoins, que le grand-duché a été le premier pays européen à agréer.

Multiculturalisme

En parallèle, les banques grand-ducales ont mis au point des fonds innovants dédiés au financement de l'adaptation au changement climatique. Inventeur des obligations « vertes » assorties d'un contrôle avant et après l'engagement des projets financés, le Luxembourg contrôle la moitié du « green exchange » mondial. Avec 75.000 employés - assureurs, auditeurs et fiscalistes compris -, la place financière a atteint une masse critique qui lui permettra, le cas échéant, de saisir les opportunités du Brexit. Le foisonnement de banques, de compagnies d'assurances et d'organismes de paiement a créé un véritable marché intérieur où plusieurs centaines de fintech venues du monde entier couplent finances et nouvelles technologies. Et de France : spécialisée dans les outils de prévision comportementale de la finance sur la base de l'analyse des réseaux sociaux, la start-up d'origine lorraine Sesamm a ainsi choisi de s'implanter au Luxembourg. « L'écosystème luxembourgeois se caractérise par son accessibilité, son ouverture et son multiculturalisme. Je n'ai jamais fait l'expérience d'un tel esprit communautaire dans aucun des pays dans lequel j'ai travaillé auparavant », témoigne Nasir Zubairi, passé par les places financières singapourienne et londonienne avant d'être nommé, en novembre dernier, CEO de la toute jeune Luxembourg House of Financial Technology (LHoFT), qui ouvrira cette année un incubateur de start-up à Luxembourg-ville.

Venues de Chine, d'Israël, des Etats-Unis ou de Lorraine, les fintech trouvent déjà au grand-duché l'expertise d'un régulateur hospitalier, un programme d'accompagnement technique et financier orchestré par le ministère de l'Economie et des fonds de capital-risque. D'initiative publique ou financés par des banques, trois incubateurs accueillent des start-up spécialisées dans la finance, mais aussi dans la biomédecine, la logistique ou le secteur spatial.

Complémentarité

Outre le centre historique de Luxembourg-ville et le plateau du Kirchberg, imposant quartier des affaires et des institutions, le site de Belval, à la frontière française, symbolise un renouveau qui passe encore inaperçu. Reconvertis en creuset du savoir et de l'innovation, les anciens haut-fourneaux accueillent une nouvelle population de chercheurs, d'entrepreneurs et d'étudiants venus du monde entier. La trentaine de start-up hébergées par l'incubateur Technoport disposent des ressources de la monumentale Maison du savoir de 18 étages, érigée en 2014 par l'université luxembourgoise. Ils y trouvent également un accès direct aux marchés frontaliers de France et d'Allemagne.

Le Luxembourg s'est ainsi imposé discrètement comme acteur majeur de l'innovation numérique. « Le Luxembourg a toujours été obligé de s'adapter pour survivre. Sa compétence s'est développée tant dans le domaine des fintech que dans les secteurs de la robotique, de la médecine ou du spatial. Le Luxembourg est la place forte dont l'Europe a besoin », affirme Kamel Amroune, associé de Farvest Group et organisateur de la Startup World Cup.

La Grande-Bretagne s'est, elle aussi, dotée d'un accélérateur de start-up placé sous l'égide de la Banque d'Angleterre et a conçu un cadre réglementaire propice aux fintech. Le Brexit peut aussi bien entraver cette croissance que la vivifier en obligeant Londres à s'impliquer davantage encore dans un marché européen digital que sa sortie de l'Union européenne n'exclut pas. Là encore, le Luxembourg compte jouer la carte de la complémentarité. « Le grandduché est sur la bonne voie pour renforcer sa réputation et ses relations auprès des investisseurs, des particuliers et des acteurs institutionnels. Le pays doit donc continuer à collaborer avec le Royaume-Uni et soutenir le développement des activités fintech en Europe », estime David Diné, « media relation project manager » de PwC Luxembourg.

Confiante en son agilité, la place financière luxembourgeoise se tient prête à saisir toutes les opportunités. Mais reste consciente des menaces qui planent, notamment si Londres décidait de se muer en nouveau paradis fiscal après le Brexit comme l'a annoncé cette semaine Philip Hammond, le chancelier de l'Echiquier britannique. Le Luxembourg, qui s'est soumis à contrecoeur aux règles de transparence fiscale en 2014, n'apprécierait pas en effet de se voir concurrencer par la City sur le terrain de la gestion de fonds. La petite nation méconnue est consciente de ne pouvoir rivaliser avec le prestige londonien. Le grand-duché, que l'ex-président Jacques Chirac qualifiait naguère de sous-préfecture, constitue certes un des pays les plus sûrs du monde, mais manque d'éclat. Sa force réside en partie dans cette discrétion qui a toujours payé.

Chiffres clefs

3.500 milliards d'euros d'actifs sous gestion luxembourgeoise répartis dans 70 pays.

1er centre de fonds d'investissement d'Europe.

2e centre de fonds d'investissement au monde après les Etats-Unis.

143 sièges sociaux de banque.

55 devises et 72 dettes souveraines cotées au Luxembourg.

46.000 salariés dans le secteur bancaire, dont 80 % de non-Luxembourgeois.

9e rang mondial de l'économie numérique en 2016 (Global Information Technology Report).

Correspondante à Metz Pascale Braun

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