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EPR anglais d’EDF : les 7 questions clefs d’un projet à haut risque

Le conseil de l’électricien doit se prononcer ce jeudi sur la construction de l’EPR de Hinkley Point, en Angleterre. Un investissement à 18 milliards de livres, qui suscite de vives inquiétudes.

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En plus des installations actuelles, le site d’Hinkley Point doit accueillir deux nouveaux EPR à compter de 2025

Par Anne Feitz, Vincent Collen

Publié le 27 juil. 2016 à 20:47

L’heure des choix sonne pour le grand projet d’EDF au Royaume-Uni. Convoqué ce jeudi à 14 heures 30, le conseil d’administration de l’électricien devra notamment se prononcer sur la décision finale d’investissement relative à la construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point, dans le sud-ouest de l’Angleterre. Un projet controversé, compte tenu du poids de l’investissement et des risques industriels qu’il génère. « C’est aujourd’hui le début de la fin d’EDF », a twitté Cyrille Cormier, chargé des dossiers énergétiques chez Greenpeace. A l’inverse, le PDG du groupe, Jean-Bernard Lévy, estime que le projet est absolument nécessaire pour conforter son avenir tout comme celui de la filière nucléaire française. Tour d’horizon des sept questions clefs de ce projet à haut risque.

Le conseil d’administration va-t-il donner son feu vert ?

Pour les partisans du projet, le feu vert du conseil est acquis. L’instance compte 18 membres : 6 administrateurs salariés, 6 représentants de l’Etat et 6 indépendants. Les représentants des salariés sont tous contre. Côté Etat (qui détient 85 % d’EDF), il n’y a en réalité juridiquement qu’un seul représentant en la personne du patron de l’APE, Martin Vial. Quatre autres, « proposés par l’Etat », sont hauts fonctionnaires ou représentants d’établissements publics. Le sixième, Gérard Magnin, fondateur du réseau européen de villes Energy Cities, a, lui, un profil plus atypique.

C’est in fine la voix des indépendants (Philippe Crouzet, Bruno Lafont, Colette Lewiner, Laurence Parisot et Claire Pedini) qui sera déterminante, sachant que Jean- Bernard Lévy (qui bénéficie d’une voix prépondérante) est pris sur le quota des indépendants. « Les administrateurs engagent leur responsabilité, ils devront voter en leur âme et conscience », rappelle un opposant au projet, tout en reconnaissant que le suspens est en réalité assez limité.

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VIDEO Les chiffres du défi pour EDF

Quels sont les risques financiers ?

Si le projet suscite autant de ­réticences, c’est que les risques paraissent considérables pour l’électricien. Il représente un investissement de 18 milliards de livres (22 milliards d’euros) hors coût du financement, qu’EDF devra assumer sur son bilan à hauteur de 66,5 % (aux côtés du chinois CGN qui en détiendra 33,5 %). L’électricien avait prévu d’y associer Areva et d’autres partenaires de sorte à être minoritaire et à pouvoir le déconsolider, mais les déboires d’Areva ont mis à mal ce scénario. Cet investissement représente pour EDF 1,5 milliard d’euros par an sur dix ans, soit 15 % de ses investissements annuels moyens. Un niveau qu’il juge supportable.

Les sceptiques ne sont pas du même avis. Le groupe, qui a dégagé un excédent brut d’exploitation (Ebitda) de 17,6 milliards l’an dernier, voit ses revenus baisser avec la chute du prix de l’électricité ou la baisse de ses parts de marché liée à l’ouverture à la concurrence. Il doit aussi racheter la division réacteurs d’Areva (Areva NP) pour quelque 2,5 milliards et investir dans la maintenance et la prolongation de son parc nucléaire en France (le « grand carénage »), qui représente 51 milliards d’euros.

Pour soulager un endettement net atteignant déjà 37,4 milliards d’euros, une recapitalisation a été annoncée fin avril (4 milliards, dont 3 souscrits par l’Etat), accompagnée du versement du dividende en actions, d’un programme de cession d’actifs (10 milliards d’euros), ainsi que d’un plan d’économies annuelles (1 milliard d’ici à 2019). Mais beaucoup estiment que cela ne suffira pas.

La direction assure le contraire, affirmant même que l’EPR anglais sera très rentable avec un retour de 9 % par an, après impôts. Car ses revenus seront assurés sur trente- cinq ans, grâce à un contrat de droit privé, juridiquement bordé, selon elle : il garantit un prix de vente de l’électricité (92,50 livres de 2012 le MWh, indexé sur l’inflation) ainsi que les volumes vendus.

Quels sont les risques industriels ?

Compte tenu des retards et surcoûts accumulés sur les EPR d’Olkiluoto, en Finlande, et de Flamanville, en France, le délai de six ans et demi prévu par EDF pour construire Hinkley Point paraît plutôt optimiste. Or, tout retard amputera la rentabilité prévue. Le risque est d’autant plus élevé que l’autorité de sûreté nucléaire britannique a demandé des modifications par rapport à l’EPR de Flamanville, ce qui fera de Hinkley Point une ­nouvelle tête de série. Un autre risque est lié aux « falsifications » découvertes à l’usine du Creusot d’Areva, suite à l’anomalie révélée sur la cuve de Flamanville : certains s’interrogent sur la capacité d’Areva à produire les pièces du réacteur anglais. En l’occurrence, la fabrication du couvercle et du fond de la cuve devrait être confiée à Japan Steel Works.

Pourquoi EDF ne voulait-il pas retarder le projet ?

Alors que les salariés – notamment – auraient préféré reporter le projet de quelques années afin de bénéficier du retour d’expérience d’autres EPR, comme ceux de Flamanville ou de Taishan, en Chine, le PDG d’EDF souhaitait à l’inverse le lancer au plus vite. Un décalage risquait de remettre en cause les contrats déjà signés et, surtout, de voir le gouvernement britannique se tourner vers un concurrent. Or, ce projet, aussi censé permettre aux équipes qui auront achevé le chantier de Flamanville de basculer ensuite sur le chantier anglais, est, aux yeux de l’électricien, crucial pour maintenir le savoir-faire et l’activité d’Areva en attendant d’éventuelles autres commandes en France. Il s’agit aussi de restaurer la crédibilité de la filière nucléaire française à l’export. EDF espère ensuite construire deux autres ­réacteurs sur le site de Sizewell, dans l’ouest de l’Angleterre.

Qui sont les opposants ?

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Si l’opposition d’ONG antinucléaires ou d’élus écologistes est assez naturelle, celle de salariés ou de dirigeants du groupe public l’est moins. La démission début mars du directeur financier, Thomas Piquemal, a jeté en pleine lumière les oppositions internes au projet, y compris au sein de la direction. Auditionné par l’Assemblée nationale début mai, il s’est ainsi justifié : « Qui parierait de 60 à 70 % de son patrimoine sur une technologie dont on ne sait toujours pas si elle fonctionne alors que ça fait dix ans qu’on essaie de la construire ? »

Le plan de financement annoncé fin avril n’a pas réellement calmé toutes les inquiétudes internes. Les syndicats, notamment l’intersyndicale CGT, CFE-CGC et FO, s’alarment des risques sur « la filière industrielle, les investissements d’EDF sur le territoire national et par conséquent l’emploi en France ». Consulté, le CCE (comité central d’entreprise) a jugé le 4 juillet n’avoir pas eu assez d’information pour rendre un avis et déposé un recours en justice contre la décision de la direction de poursuivre sans cet avis. Recours dont l’audience doit se tenir le 22 septembre. Enfin, l’association représentant les actionnaires salariés estime que le projet « menace la viabilité de l’entreprise », et a sollicité l’intervention de l’AMF (Association des marchés financiers). Cette dernière a lancé la semaine passée une enquête sur l’information financière d’EDF depuis 2013. EDF assure à l’inverse avoir démarré une étude interne auprès du management, selon laquelle de 81 % à 92 % des participants se déclarent convaincus de la pertinence du projet.

Où en est le chantier ?

Face à la baie de Bridgewater, sur la côte ouest de l’Angleterre, le chantier de Hinkley Point attend depuis des mois un feu vert définitif. EDF a déjà dépensé 2,5 milliards de livres, en particulier pour préparer le ­terrain de 175 hectares, qui doit accueillir les deux EPR. Terrassement, construction d’une cimenterie, canalisations d’eau, alimentation électrique… les travaux préparatoires sont déjà bien avancés et ils ne se sont jamais totalement arrêtés. Aujourd’hui, quelque 600 personnes travaillent sur le site, notamment pour construire les logements qui accueilleront les ouvriers et les ingénieurs. EDF prévoit que 5.600 personnes y travailleront lorsque le chantier sera en plein régime. « Les ouvriers sont la pelle à la main et prêts à se mettre au travail, a expliqué mercredi le syndicat Unite. Ils n’attendent plus que le feu vert du conseil d’administration d’EDF ».

Quel est le calendrier ?

Un vote positif du conseil d’administration donnera pouvoir au PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, pour signer les principaux contrats liés au projet, avec son client le gouvernement britannique, et avec ses partenaires chinois de CGN. Cette signature, qui pourra alors intervenir « à tout moment à compter de vendredi matin », sera en elle-même un petit événement nécessitant la présence de personnalités (ministres, hauts dirigeants des groupes). C’est elle qui donnera le coup d’envoi à la construction des réacteurs, dont le premier béton est prévu mi-2019 et la mise en service en 2025.

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