Presse : bataille à Bruxelles sur la « taxe Google news »
Le Parlement pourrait revenir sur le droit voisin prévu pour les éditeurs de presse.
Par Derek Perrotte
Beau pataquès en vue à Bruxelles sur la très sensible réforme du droit d’auteur. Alors que le texte entame son examen au Parlement, sa rapporteur, l’eurodéputée PPE (centre droit) maltaise Therese Comodini Cachia vient semer le trouble en préconisant de revenir, dans son projet de rapport, sur la création d’un « droit voisin » pour les éditeurs de presse, un des points majeurs du projet de la Commission européenne.
Ce droit vise à sécuriser la position juridique des éditeurs et autres ayants droits face à des acteurs numériques accusés de contourner ou d’ignorer le droit d’auteur de contenus dont ils tirent des revenus. Sont visés les agrégateurs d’informations, comme Google news, mais aussi, voire surtout, les « crawlers », qui dénichent pour un commanditaire tous les articles sur un sujet dans une période donnée.
Suppression du droit voisin
Aujourd’hui, les éditeurs sont pénalisés par la lourdeur et la complexité des démarches pour prouver que les auteurs (journalistes, photographes, etc.) leur ont bien cédé leurs droits. Le rapport de Therese Comodini Corchia supprime ce droit voisin, pour le remplacer par une « présomption de représentation des auteurs » se voulant plus simple et plus adaptée à des procédures judiciaires.
Mais « cela va affaiblir le texte ; les éditeurs resteraient en mauvaise position pour négocier en amont l’utilisation de leurs contenus », alerte un expert de la Commission européenne. « Le « droit voisin » répondrait aux défis majeurs des éditeurs qui cherchent à financer une presse indépendante et un journalisme professionnel face au vol généralisé de leurs contenus digitaux », souligne un communiqué commun de quatre organisations d’éditeurs de presse européens.
Selon eux, l’approche de la rapporteur « encouragerait les procédures judiciaires au lieu d’inciter à utiliser des licences de contenus » négociées en amont.
Bras de fer
Les agences montent aussi au front : « Les moteurs de recherche sont devenus des banques de données tirant profit de contenus qu’ils n’ont ni créés ni financés. Il est crucial que des droits voisins soient créés », insiste l’AFP dans un communiqué.
Le bras de fer est lancé, comme le laissent augurer les premiers échanges en commission au Parlement, mercredi. Y compris au sein du PPE, le plus gros groupe du Parlement, dont est issue la rapporteur mais qui a salué cet hiver la création d’un droit voisin.
« La presse est face à des défis vitaux. Il faut un vrai droit voisin, pas le dispositif trop étriqué que propose la rapporteur », y insiste l’eurodéputée Constance Le Grip. Mercredi, en séance, le SND (socialistes) et l’Adle (libéraux) ont défendu cette même ligne.
S’il faut payer pour tous les liens, les plus petits agrégateurs et moteurs seront étouffés
Le droit voisin a toutefois de nombreux et actifs détracteurs, regroupant l’industrie du net et des défenseurs de la liberté et des consommateurs, emmenés par l’eurodéputée du parti Pirate Julia Reda. Ils estiment que le projet de la Commission reprend la logique, jugée éculée, des « taxes google news » et rappellent qu’elles ont échoué en Allemagne et en Espagne, les journaux y perdant un précieux trafic.
Ils craignent aussi que le projet ne fasse même au final le jeu des plus gros acteurs : « S’il faut payer pour tous les liens, les plus petits agrégateurs et moteurs seront étouffés et les dépenses iront en priorité sur les titres incontournables. Les autres perdront en visibilité et le consommateur en choix », analyse Caroline de Cock, du réseau Copyright for creativity (C4C). Le débat sera long. Selon les acteurs du dossier, un vote final du Parlement n’est pas à attendre avant l’automne.