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Echapper au salariat pour redevenir soi-même

Ne plus être obligé d’assister à des réunions interminables, rédiger des notes inutiles oo commenter les promotions internes à la cantine : chacun rêve de sortir de ces contraintes du salariat. D’où le succès du travail indépendant, qui va devenir notre nouvel horizon social.Il est temps que les réglementations s’adaptent.

Par Gaspard Koenig (philosophe)

Publié le 21 mars 2017 à 11:21

Le salariat est mort, vive le travail ! Une étude publiée la semaine dernière par Hopwork et Ouishare apporte un démenti cinglant aux pythies du « précariat » : 90% des freelances français ont choisi d’être indépendants, tandis que 75% s’estiment heureux de leur statut et de leurs conditions de travail. On pourra comme toujours critiquer la méthodologie ou la définition de l’échantillon, mais les résultats sont trop massifs pour être ignorés. Les 800 000 freelances, qui viennent s’ajouter aux professions libérales et aux chefs d’entreprise, font du travail indépendant un nouvel horizon politique et social. Le salariat, même s’il reste largement dominant dans les grands secteurs industriels comme dans nos représentations culturelles, est concurrencé par un nouveau rapport au travail.

Les freelances donnent raison à Karl Marx, qui décrivait dans les Manuscrits de 1844 le salariat comme une « perte de soi-même », vecteur d’aliénation : « l’ouvrier n’a le sentiment d’être auprès de lui-même qu’en dehors du travail, et, dans le travail, il se sent en dehors de soi ». Le freelancing réconcilie le travailleur avec lui-même, en lui conférant la maîtrise de son emploi du temps, le choix de ses clients et la flexibilité dans ses lieux de travail (avec un recours croissant au coworking, dont les espaces dédiés se multiplient dans les centres urbains). L’étude précise ainsi que, pour 88% des répondants, le freelancing répond à un besoin d’indépendance, loin devant le désir de gagner davantage. Quand j’ai moi-même quitté le très confortable salariat de la Banque Européenne, c’était pour ne plus être obligé d’assister à des réunions interminables, de rédiger des papiers inutiles ou de commenter les promotions internes à la cantine. Le salariat vous vieillit avant l’âge. Il est fascinant de constater la vitesse avec laquelle s’affadissent les brillants diplômés qui y entrent. Echappez-vous, il est encore temps : l’étude montre qu’un quart des freelances ont plus de quarante ans. Aujourd’hui, je travaille beaucoup plus, je gagne beaucoup moins, mais je suis moi-même. Ce qui n’a pas de prix.

Il est vrai qu’il faut encore affronter un regard social au pire méprisant, au mieux compatissant : l’employé des douanes qui devient suspicieux quand vous bafouillez pour définir votre profession, le voisin de table qui vous demande ce que vous faites « en vrai », la maîtresse d’école qui, vous voyant accompagner vos enfants à l’école tous les matins, vous a définitivement rangé dans la catégorie des losers. Sans surprise, seuls 26% des freelances pensent que leur entourage comprend leur métier. Mais le plus grave, c’est que ce regard trahit l’inadéquation de nos structures économiques et sociales. Comment obtenir un prêt bancaire, s’assurer pour sa santé ou remplir un dossier immobilier lorsqu’on ne possède pas de contrat de travail ? Si le statut d’auto-entrepreneur a été un incontestable succès pour mettre le pied à l’étrier aux nouveaux indépendants, il ne permet pas de développer son activité, et doit laisser la place à un fatras de dispositifs lacunaires (EI, EIRL, EURL…). Il faut donc aujourd’hui rebâtir l’ensemble de nos systèmes assurantiels et de nos réglementations sociale s autour du travailleur indépendant, comme l’Etat-Providence le fut autour du salarié. C’est l’occasion d’une révolution profonde qui, paradoxalement, pourrait redonner un rôle plus légitime à l’Etat central, devenu gestionnaire des fameux « droits portables ».

Pour faire entendre leur voix, les freelances doivent aujourd’hui s’organiser politiquement, comme aux Etats-Unis où la FreeLancers Union compte 350 000 membres, ou au Royaume-Uni où les « self-employed », bien représentés dans les médias, ont récemment forcé le ministre de l’Economie à revenir sur son projet d’augmenter leurs cotisations sociales. En France, les différents candidats à l’élection présidentielle avancent timidement des propositions sur le RSI ou le statut des indépendants. Il faudra aller beaucoup plus loin dans les années qui viennent.

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Il ne s’agit pas de dénigrer le travail salarié, qui est lui-même en pleine mutation et peut répondre à d’autres aspirations. Mais dans la révolution schumpétérienne que nous vivons, aménager une place correcte au freelancer est essentiel pour que la destruction reste créatrice, et que la raréfaction de l’emploi salarié ne se transforme pas en crise économique et sociale.

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