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Helmut Kohl, l'homme de la réunification allemande, est mort

L’ancien chancelier allemand conservateur est mort à 87 ans. Il détenait le record de longévité à la tête de l’Allemagne d’après-guerre, et restera dans l’Histoire comme le visionnaire de la Réunification dans l’Union européenne.

Par Pierre-Alain Furbury

Publié le 16 juin 2017 à 17:40

L'ex-chancelier Helmut Kohl est mort ce vendredi à 87 ans, selon le quotidien « Bild ». Il est décédé « ce matin dans sa maison de Ludwigshafen », dans le sud-ouest du pays, précise le journal. Figure marquante de la scène politique européenne de l’après-Guerre, Helmut Kohl restera dans les mémoires comme l'homme de la réunification allemande, en 1990.

« Je sais, disait Helmut Kohl, que Dieu existe et qu'il m'a pris sous sa protection. » L'ancien chancelier chrétien-démocrate allemand aurait pu ajouter : « Au moins jusqu'en septembre 1998. » Jusqu'à ce qu'il se fasse étriller aux élections législatives par son challenger social-démocrate, Gerhard Schröder. Et jusqu'à ce que le scandale des caisses noires de son parti, la CDU, vienne cruellement ternir sa stature d'homme d'Etat, celle de l'un des plus grands politiques de la fin du XXe siècle, entré dans les livres d'Histoire pour avoir su gérer la réunification allemande et pour avoir battu, au pouvoir, le record de longévité de son mentor, Konrad Adenauer.

Formidable animal politique, instinctif et tenace

Les années suivantes, le député Helmut Kohl les aura passées seul, barricadé dans son « sens de l'honneur », poursuivi par la justice comme un vulgaire malfrat, critiqué par la presse et poignardé par ses amis politiques. Triste sortie pour le « chancelier bâtisseur ».

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Etrange destin que celui de cet homme entier, amateur de panse de truie farcie et affirmant n'avoir l'esprit taraudé, la nuit, que par l'envie d'aller « piller le réfrigérateur », mais qui rendit à l'Allemagne son visage et sa capitale historique, Berlin, au sein d'une Europe unie. Eloignant un peu plus, au passage, le souvenir de la période nazie. A la fin de son règne, Helmut Kohl aimait se comparer à un « vieux cheval de bataille », puissant et expérimenté, que la peur n'empêchait pas d'avancer. Mais l'image qui lui convenait le plus, et qui fut même utilisée dans l'une de ses affiches électorales, fut celle de l'éléphant. Comme l'auguste pachyderme, l'ancien chancelier allemand était un colosse, d'un mètre quatre-vingt treize pour 130 kilos, son poids était, de son propre aveu, un « secret d'Etat ». Un formidable animal politique, instinctif et tenace, doté d'une mémoire formidable, et qui grimpa une à une, patiemment mais à coups de massue, les marches du pouvoir.

Adhésion au parti chrétien-démocrate à 17 ans

Incarnation de la classe moyenne allemande, provinciale, chrétienne et conservatrice, Helmut Kohl mit bien du temps à rencontrer son destin. A endosser les habits du « géant noir », selon l'un des surnoms dont il fut affublé, en allusion à la couleur de la CDU et à un produit de lessive, le Géant blanc, qui lavait « plus blanc que blanc ». Pour ce faire, il lui fallut d'abord adhérer au parti chrétien-démocrate, en 1947, dès l'âge de 17 ans. Payer ses études de doctorat d'histoire contemporaine en travaillant comme ouvrier fraiseur chez BASF, avant de faire son entrée, à 25 ans, au comité directeur de la CDU du Land de Rhénanie-Palatinat. Etre élu député à la Diète de Mayence et être propulsé, en 1969, à la tête du gouvernement régional. Puis accéder à la présidence du parti, en 1973.

Battu in extremis par le social-démocrate Helmut Schmidt dans la course à la Chancellerie, en 1976, il est même contraint, en 1980, de laisser à Franz Josef Strauss, la figure historique de la CSU, le pendant bavarois de la CDU, le soin de porter les couleurs des unions chrétiennes-démocrates. « Cet homme est totalement incapable. Il lui manque la force de caractère, les qualités intellectuelles et politiques. Croyez-moi, Helmut Kohl ne sera jamais chancelier », assure alors le « Taureau de Bavière ». « A 90 ans, il écrira ses mémoires, intitulés 'J'ai été pendant quarante ans candidat à la chancellerie - Leçons et expériences d'une époque amère'. »

Cette critique ne fut pas isolée. Loin s'en faut. Même après son accession à la Chancellerie, en 1982, à la faveur d'un retournement d'alliance du parti libéral FPD, il eut bien du mal à convaincre qu'il n'était pas le personnage pataud et sans envergure que brocardait l'intelligentsia. « Il serait préférable qu'on le croie incompétent parce qu'il se tait, plutôt qu'il nous le confirme en prenant la parole », lâcha un jour le patron du syndicat IG Metall.« Comparé au chancelier Kohl, l'éléphant dans un magasin de porcelaine est une vraie ballerine », fustigea Hans-Jochen Vogel, un des ténors du parti social-démocrate. Certaines de ses bévues furent, il est vrai, mémorables. Comme lorsqu'il compara les talents de Mikhaïl Gorbatchev, aux débuts de la Perestroïka, à ceux de Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande de Hitler. Ou qu'il répondit aux chômeurs : « L'Allemagne n'est pas un parc de loisir. »

Rendez-vous avec l’Histoire

Mais Helmut Kohl était, animé, selon ses propres termes, d'une foi « indestructible ». Persuadé, selon la formule de son mentor l’ancien chancelier chrétien-démocrate Konrad Adenauer, que « même en politique, il n'est jamais trop tard ». La chance, d'ailleurs, finit par tourner. Le 9 novembre 1989, il a rendez-vous avec l'Histoire. Ce jour-là, le « Mur de la honte » vole en éclat, qui coupait, depuis 28 ans, Berlin, l'Allemagne et l'Europe en deux.

L'événement est une aubaine pour le chancelier, dont les heures semblaient comptées. « Le moment, avoue-t-il, est venu pour moi de définir une vision historique ». Helmut Kohl prend les affaires en main. Et impose à l'Allemagne le rythme d'une union monétaire puis politique menée tambour battant. « Nous nous aventurions en terrain inconnu », a-t-il écrit plus tard. Au grand dam de la Bundesbank, c'est lui qui décide le fameux « un contre un », le remplacement du mark est-allemand à parité avec le glorieux deutsche Mark. Et arrache au Kremlin l'adhésion de l'Allemagne réunifiée à l'Alliance atlantique.

« King Kohl »

Le 1er octobre 1990, à peine 330 jours après la chute du Mur, une foule compacte célèbre, devant le Reichstag, l'acte de naissance d'une puissance de 80 millions d'habitants. Une nation décomplexée, qui reconnaît sa responsabilité dans l'Holocauste et retrouve sa capitale historique, Berlin. Helmut Kohl triomphe. Il devient, comme le baptise le magazine américain « Vanity Fair », « King Kohl ». A savoir « l'homme au monde jouant le rôle le plus important dans la création d'un nouveau système politique porteur de succès ».

Le processus d'absorption des cinq Länder de l'Est, véritablement titanesque, est étroitement lié à la construction européenne. Pour le chancelier allemand, les deux chantiers ne sont rien d'autre que « les deux faces d'une même médaille ». Sans la seconde, la première n'aurait tout simplement « jamais pu voir le jour ». « Nous n'allons pas bien ensemble, a un jour écrit l'ancien leader de Mai 68 et député Vert Daniel Cohn-Bendit. Pourtant, Kohl demeurera pour moi l'homme qui aura su prendre position. Cela restera toujours à mes yeux son mérite historique, d'avoir inséré solidement dans l'intégration européenne la réunification allemande. »

Européen convaincu

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Patriote, Helmut Kohl l'était. Mais pas nationaliste. C'était un Européen convaincu, qui contribua à ériger la « maison Europe », celle du marché unique et du traité de Maastricht. « Il n'y a pas d'alternative à l'unification européenne », disait-il. L'homme n'appréciait guère la gestion des affaires courantes, ni l'économie. Et même s'il imposa, contre vents et marées, une monnaie unique à une population viscéralement attachée au mark, l'Union européenne n'était pas, à ses yeux, une affaire de déficits et de maîtrise de l'inflation. « L'Europe est une question de guerre et de paix au XXe siècle. Nous, Allemands, avons besoin de l'Europe plus que tous les autres, afin de ne pas être de nouveau poussés par un destin singulier. »

Le chancelier savait de quoi il parlait. Un de ses oncles fut tué durant la Première Guerre mondiale, son frère aîné tomba pendant la Seconde. Lui-même fut contraint de prêter serment au Führer, à l'âge de 15 ans, avant d'errer, pour retrouver ses parents, dans un pays dévasté par les bombes. Une expérience « de la mort et de la destruction » qui explique pour une large part sa volonté de consolider le couple franco-allemand. fit le reste. L'image reste dans toutes les mémoires : deux hommes photographiés de dos, main dans la main, devant le monument aux morts de Verdun.

Kohl et Mitterrand main dans la main à Verdun

Sacrifié par son parti et lâché par les siens

En seize années de pouvoir, Helmut Kohl s'est assuré une place de choix dans les livres d'Histoire. Mais l'homme a raté sa sortie. Sûr de lui jusqu'à la présomption, persuadé qu'il ne ferait qu'une bouchée des « souris » qui convoitaient son poste, il n'a pas su raccrocher les gants. Sa cinglante défaite aux élections de septembre 1998, « difficile à avaler », a écorné le mythe.

Le scandale du financement de la CDU s'est ensuite chargé de lui donner l'estocade. « Naguère fêté, aujourd'hui chassé », a-t-il résumé. « J'ai investi dans le travail de mon parti 2,1 millions de marks de dons sans les inscrire dans les bilans et donc enfreint la loi sur le financement des partis politiques. Je regrette cette faute. Ma conduite m'a valu bien des horions », a-t-il expliqué, se refusant, tout le long de la procédure, à révéler les noms des généreux donateurs. En l'espace de quelques semaines, l'homme de la réunification a repris ses habits de petit fonctionnaire de parti, provincial et entêté, qui plus est muré dans son silence et ses certitudes.

Le premier chancelier de la République fédérale battu par les urnes n'a par la suite plus occupé sur l'échiquier politique allemand, comme simple député, de rôle à la mesure de son passé, et a quitté la vie politique il y a dix ans. On ne l'a plus écouté. On ne l’a plus suivi. Meurtri, sacrifié par son parti et lâché par les siens, affecté par le suicide de sa femme Hannelore - atteinte d'une maladie rarissime -, Helmut Kohl s’est fait discret. D’autant plus qu’une fracture de la hanche, en 2009, doublée d’un accident vasculaire cérébral, l’avait depuis cloué dans un fauteuil roulant.

Vincent de Feligonde et Pierre-Alain Furbury

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